VIII

Surprise, puis crise : c’était fatal. Se mettre au pied du mur n’arrange rien, quand on ne sait pas comment s’y prendre pour l’escalader. De plus près on le voit tout hérissé de tessons. À faire le magister, durant vingt ans, j’ai appris à faire un cours, à dire des choses exactes, avec des mots triés. Au bas de la chaire, je ne trouve plus d’autorité pour faire face aux entretiens de la vie courante, je ne sais plus parler ; à plus forte raison dans les situations exceptionnelles.

La semaine fut pénible. Le dimanche matin, au petit déjeuner, je trouvai devant moi trois visages de bonne humeur, trois sourires courants dont je songeais aussitôt que je n’allais pas manquer de les éteindre. Le quatrième, celui de Louise, était un peu crispé. On ne me posa pas de questions ; on ne me demanda même pas à quelle sorte de réunion j’étais allé et l’honorable père ne s’en crut pas honoré : il y a des gens qui sont vraiment au-dessus de tout soupçon ; et d’autres, réputés tels — et les plus nombreux — qui en réalité sont au-dessous de tout soupçon, incapables de les mériter. Louise fit seulement, pour meubler son inquiétude :

« Je ne t’ai pas entendu rentrer. »

Je répondis :

« Ton cinéma, c’était quoi ? »

Marmonnant un titre, elle piqua le nez dans son bol d’Ovomaltine. Lourd d’indulgence mon regard s’attarda sur cette poitrine, ces hanches de petite femme qui gonflaient chandail et blue jean. Au sortir de cette nuit, je ne me sentais pas le courage et à peine le droit de lui faire des reproches. Il fallait pourtant. J’attendis une heure, puis une autre. Laure était à la messe, les garçons dans leur chambre, je rejoignis ma fille dans la sienne, où elle passait une robe en prévision de l’inévitable déjeuner dominical chez sa grand-mère, ennemie du pantalon.

« Deux mots à te dire, fis-je, pour tout préambule. Qui est ce garçon avec qui tu étais, hier soir, au bord de la Marne ?

— Ce garçon… », répéta Louise, hésitant à nier, mais nullement démontée.

Elle m’observait du coin de l’œil, finaude, pour voir si j’étais vraiment très en colère ; elle tirait sur sa robe, feignait de s’intéresser aux pressions de la fermeture qui craquaient, délicatement, comme des puces écrasées, entre deux bouts de doigts aux ongles vernis. « Sa mère », pensai-je soudain, hargneux et attendri, en reprenant :

« Je t’ai vue, par hasard. Je n’ai pas voulu faire d’esclandre dans la rue. Je n’ai pas voulu en faire ici. Mais tu vas m’expliquer… »

Expliquer quoi ? Comment à dix-sept ans les coquettes se prouvent que, justement, elles ont dix-sept ans ?

« Nous ne faisions pas de mal », dit Louise, piteuse.

Où commençait-il le mal, pour elle ? À la cession d’un excès de rouge, à l’intervention des mains, aux premiers ou aux derniers outrages ? Elle n’avait sans doute pas été embrassée ; seulement un peu encensée d’haleine, émoustillée de regards. Nous n’étions plus au temps de Mamette dont la verte morale aime les vertes formules et qui proclame : « Rien, c’est rien. Une pucelle ne fait pas le détail. » Louise ferait le détail, c’était probable, comme toute cette génération que la nôtre juge sèchement et dont elle est pourtant responsable. Je grognai :

« Qui est-ce ?

— André Rouy, un copain. Il est en rhéto, avec Michel.

— Alors ne vous cachez pas. Je ne t’interdis pas d’avoir des amis. Je ne veux pas te rencontrer avec eux dans les coins. »

Louise releva la tête, visiblement ravie d’en être quitte à bon compte et le père moderne, compréhensif, sachant faire la part du feu, redescendit l’escalier, en rougissant. À la vérité ce n’était pas le moment de me mettre ma fille à dos. Une seconde, j’avais même failli enchaîner : « À propos, je voulais aussi t’annoncer que je vais épouser Mlle Germin », j’avais failli échanger mansuétude pour mansuétude. Un père moderne ! J’en faisais un beau, moi qui, récusant les tabous, conservais la pruderie farouche des marguilliers qui furent nos grands-pères et tremblais à l’idée d’ouvrir la bouche pour avertir mes enfants et remplacer chez eux la vieille peur, mêlée à la vieille curiosité de « ces choses », par cette bonne franchise familiale qui est la seule véritable éducation sexuelle. En fait de précautions, Laure — une jeune fille ! — était censée y avoir pourvu pour Louise, lorsque la petite avait été réglée, à une date que je n’aurais su préciser, faute d’en avoir été instruit et de m’en être préoccupé. À Michel j’avais donné Ce qu’un jeune homme doit savoir pour ses quinze ans. Il l’avait rangé entre deux dictionnaires et j’espérais que Bruno l’y avait déniché. C’était tout. Je laissais le reste à leur innocence, bon Joseph distribuant ses lis, géniteur décidé à oublier que ses garçons ont aussi des génitoires et s’imaginant vaguement qu’ils font une puberté de marbre, qu’ils n’ont rien à confier à la discrétion de leurs mouchoirs.

Je ressassais ces choses, avec ennui — et parce que ma faute, en somme, me les faisait voir sous un autre jour — quand mes enfants me rejoignirent dans le vivoir. Louise avait un petit air contrit, une gentillesse de chatte qui a chapardé l’escalope. Nous passâmes au mair, pour y trouver une Mamette rare : châtaigne pour une fois sans bogue. Laure fut presque gaie, Michel aimable, Bruno bavard. Un fait exprès ! Une conjuration que je renforçais en débordant d’attentions pour tout le monde, en faisant le joli cœur avec une hypocrisie de dentiste qui va vous arracher une dent. Le soir vint, inutile : puis la nuit, le lundi, le lycée, le chapeau, la serviette de Marie, qui m’attendait à la porte.

« Alors, fit-elle, ça ne s’est pas trop mal passé ? »

Je l’embrassai devant trois élèves qui traînaient leur cartable. Petite compensation : il était plus facile de m’afficher à Villemomble qu’à Chelles. Puis j’avouai :

« Je n’ai pas voulu gâcher leur dimanche.

— Tu as préféré gâcher le mien. On ne peut pas épargner tout le monde », dit Marie, piquée.

Le soir même j’essayai de me jeter à l’eau. Au dîner (j’use, j’abuse des cènes de famille. Bon gré, mal gré, vos gens sont réunis, la fourchette vous donne une contenance et les bouchées meublent les silences)… Au dîner, j’annonçai, faisant mon sérieux :

« À propos, j’ai quelque chose d’important à vous dire… »

À propos : locution adverbiale des gênés pour servir à propos de rien de méchantes nouvelles. Quatre paires d’oreilles, habituées, traduisirent : « Attention, j’ai quelque chose de pénible à vous dire. » Quatre paires d’yeux se braquèrent sur moi. Ceux de Bruno, gris de granit et où s’allument, quand il s’excite, comme des parcelles de mica, me parurent insoutenables. Incapable d’aller plus loin, j’inventai, tout à trac, n’importe quoi :

« Au lieu de l’éternel Anetz, que j’aime bien, remarquez, nous pourrions peut-être, cette année, aller à la mer.

— Quelle idée ! fit Laure. Ça coûtera au moins cent mille francs.

— Ah ! non, chouette, dit Louise, moi j’aimerais Le Pouliguen. »

Balle manquée, en plein filet. Le mardi, le mercredi passèrent. Je m’arrangeais pour éviter Marie, en arrivant avec cinq minutes de retard au lycée, en repartant avec cinq minutes d’avance. Je rêvais de l’intervention d’un tiers ; mais en dehors de mon cousin Rodolphe, que je n’osais entreprendre, je ne connaissais personne qui fût susceptible de tenter une démarche auprès de ma belle-mère. Les tentations les plus saugrenues, les plus déshonorantes, m’assaillirent. Une lettre anonyme aurait pu créer l’incident : Madame, votre gendre s’apprête à convoler. Défendez donc votre fille. Mme Hombourg pouvait réagir, mais elle pouvait aussi brûler la lettre. Une visite directe valait mieux.

Rassemblant mon courage, je réussis, le jeudi matin, à franchir sa porte. Bien entendu, comme je n’allais jamais la voir seul, Mamette fut aussitôt sur ses gardes et sembla prendre un malin plaisir à déjouer les astuces que j’avais imaginées pour mener à bon port la conversation. Au bout d’une heure nous voguions toujours dans les balivernes et la salive commençait à me manquer, tandis que ma belle-mère postillonnait à merveille. Enfin elle me fit grâce et, contre toute attente, consentit même à me tendre la perche :

« Bon, cessons de chipoter les hors-d’œuvre et passons au rôti. Vous avez l’os en travers de la gorge, mon ami, ça se voit. Toussez un peu et confiez-moi ce désagrément. »

Je toussai, ce qui me valut un éclat de rire fêlé et l’offre d’un bonbon. Mais la phrase partit :

« Vous m’avez souvent conseillé de me remarier…

— Moi ? » fit Mme Hombourg, candide.

Dans sa bouche entrouverte, la langue se mit à tourner : on se consultait. Mais craignant de ma part quelque irréparable gaffe, Mamette ne prit point le temps de la tourner sept fois. Elle se réfugia vivement dans la bonne foi.

« Il est vrai que je vous aime bien et que je vous aurais volontiers donné ma petite Laure. »

Pause d’une fraction de seconde :

« Mais vous venez me dire, n’est-ce pas, que ce n’est pas possible et que, dans ces conditions, vous estimez ne plus pouvoir la garder ? »

Je hochai la tête. Elle hocha la tête à son tour, toute bonne, compréhensive, affligée. Mais hop, la vérité dépouillée, elle en jetait la peau. Elle disait, avec rondeur :

« Mais non, gardez-la donc, allez ! N’ayez pas de faux scrupules. Elle a compris. Elle a Michel, Louise et Bruno, c’est déjà beaucoup. Elle n’a peut-être pas choisi la meilleure part, en son temps ; mais cette part-là lui suffit et elle ne lui sera point ôtée. Je vous connais, Daniel, vous êtes un bon père. Vous avez pensé un moment, je sais, à épouser Mlle Germin, cette collègue infirme dont votre mère n’avait pas voulu. Je sais aussi pourquoi vous avez renoncé : fût-elle adoptive, on n’enlève pas une mère à ses enfants. »

J’étais cloué. J’avais envie de saluer. Par précaution, du reste, Mamette rompait les chiens :

« Ne vous mettez pas martel en tête : il y a des problèmes plus sérieux. Puisque vous voici, parlons un peu de Louise. Je n’aime pas la voir, comme ça, rentrer tous les soirs entourée de petits miauleurs. Je m’inquiète sans doute à tort, mais les cajoleuses, l’âge venu, donnent souvent des frôleuses. Avec ce genre de filles on ne sait jamais : ça joue encore, la veille, à chat perché ; le lendemain ça joue à chat couché. »

Je la quittai, si démonté, que sur-le-champ je pris le seul parti convenable : je filai à Villemomble avouer mon impuissance à Marie qui m’attendait depuis trois jours. Elle ne le fit pas remarquer, mais ne me manqua pas :

« La vigilante Mamette, la silencieuse Laure, l’orgueilleux Michel, la trop jolie Louise et l’ombrageux Bruno, s’écria-t-elle, ça fait un tout, serré comme un chou. Tu ménages le chou. Moi, je suis l’horrible chèvre qui pourrait dévorer le chou : tu la ménages moins. Te voir à ce point esclave des tiens me rend folle. J’aime mes parents, mais je ne raterais pas ma vie pour eux. »

L’aigreur me gagnait moi aussi. J’eus envie de répliquer : « Tu en parles à ton aise. Tu n’as qu’une famille reçue. À celle-là on peut, au besoin, s’opposer, la naissance ne constituant point un engagement. À la famille que l’on a créée, c’est autre chose ! Nous lui devons exactement ce que Dieu, s’il existe, nous doit pour nous avoir obligés à être. » Mais comme tant d’autres, la réplique me resta pour compte. Je me contentai de plaider :

« Essaie de comprendre ! Nous serons bien avancés si nous commençons par mettre la maison sens dessus dessous. Je ne vois qu’une solution : une présence progressive. Viens tous les jeudis, par exemple. Ensuite tu viendras deux ou trois fois par semaine.

— J’y pensais, dit Marie, mais je ne voulais pas avoir l’air de m’imposer. »

Rassurée — il lui en fallait trop peu pour qu’elle fût vraiment forte — elle me garda jusqu’au soir. Quand je rentrai, soulagé moi-même par la perspective d’une semaine de répit où nous n’aurions, ni Marie ni moi, la salive amère, le couvert était mis. On m’attendait sans impatience. Laure était debout, très droite, dans le coin sombre qu’elle affectionne, au bout du vivoir et cette statue, pour ne rien perdre d’un temps qu’elle perdait depuis des années, tricotait, tricotait, en ne laissant bouger que ses doigts. Elle sourit. Louise vint me becqueter les pommettes. Il y avait de l’amitié dans l’air. Je surpris seulement le coup d’œil de Bruno, louchant vers le carillon.


La première visite de Marie se passa bien. Depuis des mois elle n’avait pas mis les pieds à la maison et cette absence avait sans doute été interprétée comme une renonciation. Son retour pouvait aussi la confirmer : « Nos intentions sont si bien oubliées que toute précaution devient inutile. Maintenant, nous pouvons être amis. » Laure se mit en frais : d’un canard et de quelques amabilités. Mamette dans son fauteuil, au mair, Michel indifférent, Louise tournant de la jupe, nous fûmes simplement environnés de réserve et obligés de surveiller nos phrases. Bruno, seul, encore une fois, me sembla réticent : il écoutait à peine et surveillait mes yeux. « Comme il tient à Laure ! L’affection le rend plus perspicace que les autres », pensai-je avec une pointe d’envie. Quant à Marie, elle paraissait presque étonnée :

« Tes fauves ne sont pas si féroces ! » me souffla-t-elle en partant.

La seconde visite, trop rapprochée de la première pour signifier encore une installation dans l’amitié, allait la faire déchanter. On fut convenable, mais tout juste. La cause était jugée cette fois : retour de flamme. Les « Bonjour, mademoiselle » plombèrent tout de suite la conversation et Marie dut s’avancer dans un enchevêtrement de regards entendus. Arrivée à trois heures, elle ne se vit rien offrir et je dus fouiller moi-même le placard pour y dénicher une bouteille de porto, tandis que Laure, avec une respectueuse autorité de servante épousée par son maître, nous laissait le champ libre en s’excusant d’avoir à préparer le pot-au-feu. Louise la suivit, puis Michel, armés d’un superbe prétexte : l’urgence du bachotage, à dix semaines des examens. Bruno tint plus longtemps, roulé en boule comme un chien qu’on néglige. Il finit par s’en aller, à regret, sur des talons traînants. Mais il revint chercher un livre, il revint chercher un stylo et chaque fois je pus déchiffrer son visage — qu’il ne sut jamais composer. Enfin il renonça et nous fûmes tout à fait seuls, en quarantaine :

« La Sainte-Alliance ! » murmura Marie, consternée.

C’était mieux que cela : une entente tacite, immédiate, spontanée.

« En temps normal, fis-je à voix basse, leur tante, ils la bousculent, ils l’ignorent, ils font d’elle leur bonniche. Qu’ils la croient en danger et ils font bloc.

— Tu les approuves, ma parole ! dit Marie.

— Je ne peux pas leur reprocher d’avoir du cœur.

— Excuse-moi », dit Marie, en rougissant.

Ses mains tremblaient. Elle continua, d’une voix humble (et de cette humilité je m’en voulus aussitôt) :

« Ils ont raison et nous n’avons pas tort. J’oublie toujours qu’épouser un veuf, c’est épouser sa famille et qu’on ne l’a pas vraiment conquis, lui, si on n’arrive pas à la conquérir, elle. Ça sent la partie nulle : Laure et moi, nous n’avons chacune que la moitié des atouts. Pardonne-moi aussi ce découragement. Il faut te rendre justice : depuis des années tu piétines, mais toi, au moins, tu ne t’es jamais découragé. »

Elle se regantait déjà. Elle paraissait vieillie et, surtout, hors de son cadre. Peut-être ne m’étais-je point découragé parce qu’elle m’offrait à Villemomble un peu d’autre vie : une sorte de vaccin contre le désir de fuir la mienne. Peut-être son pouvoir s’arrêtait-il là. Elle était ma maîtresse et je me sentais maintenant des obligations envers elle. Des obligations : comme j’en avais envers Michel, Louise, Bruno, Laure, Mamette, mes élèves, étagées par ordre d’importance et les unes primant inéluctablement sur celles-là.

« Ma pauvre Marie, murmurai-je, nous n’avons pas eu de chance. »

Qui ne sait point la forcer à temps n’en a jamais. J’avançai la main pour saisir ce poignet où luisait, entre le gant et la manche, un mince anneau d’argent terni. Mais je la retirai très vite, en reconnaissant derrière la porte vitrée la cravate à pois, le menton dur, l’œil gris de Bruno. L’inquiétude n’y aurait pas suffi ; la jalousie seule pouvait lui allumer ce regard. La jalousie ! Une joie glacée m’envahit.

« Tiens bon ! La question est posée, au moins », dit Marie qui se reprenait.

La question était posée en effet, l’atmosphère créée, comme je l’avais voulu ; et maintenant j’avais peur. J’appelai mes enfants pour dire au revoir. La politesse les contraignit à sortir ces deux mots, dont chacun semblait leur coûter une dent. Mais je fus seul sur le gravier crissant de la cour à raccompagner Marie, à exposer ma confusion devant Mamette qui, embusquée à son observatoire, écartait ostensiblement le pot d’herbe-aux-chats et saluait du bout du menton en pinçant un sourire qui disait tout sur l’intrigante et son benêt. En revenant, je dus passer en revue tout le monde, silencieux, s’efforçant de cacher sa réprobation, mais enfoncé comme les foules de 40, après l’alerte, dans le genre ayez-pitié-de-nous. Je passai, étouffant de gêne, fouillant ma poche pour en extirper un mouchoir inutile.

« On a raté France-Yougoslavie », dit enfin Michel, lugubre et tourné vers sa tante qui ne bougeait pas, impénétrable, enchâssée dans son tablier.

Bruno glissa vers la télé :

« On aura peut-être la fin de la seconde mi-temps, fit-il. Ça ne t’ennuie pas, dis, Papa ? »

L’hostilité l’enveloppa comme si, en m’adressant la parole, il venait de se désolidariser du reste de la famille. Je fis non de la tête et Bruno s’assit près de moi. L’anxiété se lisait toujours sur son visage, mais une anxiété maladive, amicale, autrement efficace que la raideur de Michel, la moue de Louise, une anxiété qui me remuait comme elle le remuait lui-même, au plus creux. Les rideaux furent tirés, le Stade de Colombes apparut juste au moment où les avants yougoslaves marquaient un but et Bruno ne cria pas, comme d’ordinaire : « Ça y est. » Il s’agitait sur sa chaise, il sifflotait, tss, tss, entre ses dents. Il se penchait de côté, comme pour renifler ma présence, s’assurer d’elle, m’entendre respirer le même air que lui. Il découvrait son mal, pour moi délicieux, mais non moins redoutable si bientôt il en pouvait aussi mesurer le pouvoir.

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