À peine le carrosse se fut-il mis en mouvement, tandis que d’Assas écrasé, l’âme éperdue, reprenait le chemin de Paris, les gens qui s’étaient étendus dans le champ voisin et avaient assisté à cette scène se relevèrent.
Du Barry courut aux chevaux, sauta sur le sien, et, donnant l’ordre à ses acolytes de reprendre le chemin de la ville, s’élança sur la route.
Il avait sinon tout vu, du moins tout entendu.
Il savait donc qu’au lieu de Berryer, c’était Louis XV qui se trouvait dans la voiture.
Ayant franchi d’un saut le fossé qui le séparait de la route, il prit le galop et ne tarda pas à rejoindre le carrosse. Alors, il lui laissa une avance suffisante pour ne pas être aperçu lui-même dans l’obscurité, et se mit à suivre.
– Ce d’Assas a toutes les chances! grondait-il. Un autre, moi, n’importe qui, eût été arrêté demain matin, et alors la Bastille!… le bourreau, peut-être!… Ah! ce roi est bien faible!… D’Assas s’en tire les mains nettes… Et qui sait si cette aventure ne le servira pas!… Voici la petite d’Étioles favorite! Or, elle me fait l’effet d’éprouver pour le joli chevalier un sentiment qui frise la tendresse!… Enfin, tout n’est pas dit! Qui vivra verra!…
Vingt minutes plus tard, le carrosse fut en vue du gigantesque château, évocation de l’immense orgueil de Louis XIV… Sans doute le roi avait donné des indications à Bernis, car celui-ci, sans hésiter, contourna l’aile droite du château, et lança le carrosse sur la route qui aboutissait à l’endroit où plus tard devait s’élever Trianon.
Au bout de dix minutes, la voiture s’arrêta…
Du Barry sauta vivement de sa selle, et sans se préoccuper de son cheval dressé à ne plus bouger de place dès que le chevalier mettait pied à terre, il se rapprocha d’arbre en arbre et put ainsi arriver à temps pour voir Louis XV descendre… Jeanne demeurait dans la voiture…
Bernis, n’ayant reçu aucun ordre, restait immobile à sa place.
Du Barry embrassa cette scène d’un coup d’œil.
Il vit alors que le carrosse était arrêté devant la porte d’un élégant pavillon de style Renaissance où tout paraissait dormir, volets clos et portes fermées…
Le roi s’approcha de la porte d’entrée et souleva trois fois le marteau.
Aussitôt, comme s’il y eût quelqu’un qui veillât en permanence, la porte s’ouvrit, et une gracieuse soubrette apparut, éclairée par la lampe qu’elle tenait à la main. Cette femme reconnut-elle le roi? Peut-être. Mais elle ne fit aucun geste de surprise, ne prononça pas un mot et se contenta d’éclairer le passage en élevant sa lampe.
Alors Louis XV se rapprocha du carrosse, ouvrit la portière et tendit la main.
Du Barry vit apparaître Mme d’Étioles qui, pâle et tremblante, s’appuya sur cette main pour descendre.
Le roi la conduisit jusqu’à l’entrée de la maison, et, s’adressant à la soubrette:
– Suzon, dit-il, voici votre nouvelle maîtresse. J’espère que tout est prêt pour la recevoir dignement.
– Oui, monsieur, répondit la soubrette.
– Madame, reprit Louis XV en se tournant vers Jeanne, veuillez vous considérer ici comme chez vous. Et vous y êtes réellement. Car cette maison, dès cet instant, vous appartient. J’ose espérer que vous voudrez bien parfois, parmi les amis qui viendront vous saluer, recevoir le plus fidèle et le plus soumis de vos serviteurs.
En même temps il s’inclina profondément.
Jeanne, troublée jusqu’à l’âme, eut une dernière hésitation…
Elle fit une révérence et murmura d’une voix confuse:
– Vous serez toujours le bienvenu… monsieur!…
Et elle entra!…
Louis XV demeura un instant devant cette porte, un singulier sourire au coin des lèvres. Puis, vivement, il remonta dans le carrosse qui, quelques minutes plus tard, s’arrêta devant le château où tout était toujours prêt, nuit et jour, pour recevoir Sa Majesté…
– Ouf! murmura Bernis en remettant le carrosse aux mains des valets d’écurie, je ne sais combien maître Berryer a pu grimper d’échelons cette nuit… je crois que, de mon côté, l’escalade se présente assez bien… Or çà! réfléchissons maintenant!… Dois-je ou non prévenir ce cher M. Jacques… oh! pardon… monseigneur!… Voyons: de quel côté dois-je me laisser pousser?… Si je laissais faire?… Qui sera vainqueur? le roi, ou la puissante société à laquelle je suis affilié?… Prenons toujours deux jours de repos… et de réflexion…
Sur ce, M. de Bernis se retira dans la chambre qu’on lui avait préparée, et se mit, en effet, à réfléchir.
Quant à du Barry, il était remonté sur sa bête et avait repris à franc étrier le chemin de Paris.
À trois heures du matin, tandis que Bernis réfléchissait, que Berryer attendait, que Jeanne songeait à l’étourdissante aventure et que le roi dormait fort paisiblement, du Barry frappa à la maison de la rue du Foin, et, malgré l’heure, fut aussitôt introduit.
Là aussi, on était prêt à toute heure du jour et de la nuit…
Le lendemain, Paris apprit avec indifférence que la Cour s’était transportée à Versailles que le roi fût au Louvre ou au château, les édits sur les impôts n’en pleuvaient pas moins avec leur implacable régularité. Les Parisiens ne furent donc ni attristés ni joyeux de savoir que, par un de ces caprices qui étaient fréquents, leur monarque avait quitté la ville dans la nuit pour aller dormir à Versailles.
Toute la journée ce fut un exode de cavaliers, de carrosses, seigneurs et hautes dames s’empressant de courir là où ils étaient sûrs de retrouver Sa Majesté, c’est-à-dire la source des honneurs et des faveurs.
Seulement, comme tout ce monde était au courant des habitudes de Louis XV, il ne témoignait pas la même philosophie indifférente que les bons bourgeois de Paris.
Les ministres étaient soucieux.
Les jeunes seigneurs étaient au contraire tout joyeux: car Versailles, c’était le lieu de délices… les fêtes de toute nature, la grande vie royale et somptueuse…
Les dames se demandaient ce que cachait ce caprice du roi…
Et plus d’une songeait à cette petite Mme d’Étioles avec qui Sa Majesté s’était entretenue pendant la fête de l’Hôtel de Ville… Quelques unes, aussi, pensaient à cette superbe Mme du Barry que le roi avait paru si fort admirer, – et toutes, avec inquiétude, avec une sourde jalousie, se demandaient si, en arrivant à Versailles, on n’allait pas leur présenter quelque nouvelle duchesse de Châteauroux…
L’étonnement de tous et de toutes fut grand lorsque, le soir, on vit le roi causer affectueusement avec la pauvre Marie Leszczynska, la reine si dédaignée, si délaissée…
Louis XV avait assidûment travaillé avec M. le marquis d’Argenson. Puis, il avait eu une longue entrevue avec son lieutenant de police. Avec ses courtisans, il se montra gai, affable, plus de vingt hautes dames à qui il n’avait jamais adressé la parole reçurent ses compliments…
Il en résulta que tout le monde au château de Versailles était radieux, depuis la reine Marie, qui put espérer un retour de son royal époux, jusqu’au premier ministre qui n’avait jamais trouvé Louis XV aussi attentif au conseil, jusqu’aux seigneurs de moindre importance qui, dans la bonne humeur du roi, voyaient un présage des fêtes prochaines.
Mais ce qui surprit surtout ce monde si mobile et si prompt aux commentaires, ce fut de voir Sa Majesté s’entretenir assez longuement et en particulier avec ce petit abbé dédaigné, ce freluquet de poète qu’était M. de Bernis.
De Bernis portait le bras en écharpe, et, en l’abordant, le roi lui avait dit à haute voix:
– Vous êtes donc blessé, monsieur?…
– Oui, Sire, avait répondu de Bernis, je me suis quelque peu foulé le bras gauche…
– Il faut vous reposer, avait repris le roi avec sollicitude.
– Sire, il n’est pas pour moi de repos plus propice à la guérison que de me trouver auprès de Votre Majesté.
Le roi avait souri à cette extravagante flatterie et avait entraîné le petit abbé dans une embrasure de fenêtre.
Lorsque Louis XV quitta Bernis, les seigneurs les plus huppés se crurent obligés de venir lui demander des nouvelles de son bras. Jamais Bernis ne s’était vu à pareille fête. Quelques-uns essayèrent habilement de savoir la cause de cette mystérieuse foulure… mais il demeura impénétrable, papillonna de groupe en groupe, reçut et rendit force œillades, force compliments; chacun l’admira et lui découvrit tout à coup un esprit, une galanterie, une foule de qualités jusque-là insoupçonnées!… Bernis était sur le chemin de la fortune!…
Vers dix heures, Louis XV se retira dans ses appartements et se remit aux mains de Lebel, son valet de chambre.
Bernis rayonnant monta les escaliers qui conduisaient à la chambre qui lui avait été assignée: car le roi avait voulu qu’il logeât au château.
– Décidément, se disait Bernis, je crois que j’ai bien fait de ne pas aller trouver… M. Jacques! Vive le roi, morbleu!… surtout s’il tient les promesses qu’il m’a faites… Et pourquoi ne les tiendrait-il pas?
En prononçant ces paroles in petto, Bernis tourna le bouton de sa chambre, et aperçut un homme installé au coin de la cheminée, devant un bon feu clair…
Bernis crut d’abord s’être trompé, mais il s’assura promptement qu’il était bien chez lui…
Il entra donc, ferma la porte et, marchant à l’homme qui, assis dans un fauteuil, lui tournait le dos, il lui dit gaiement:
– Enchanté de vous recevoir chez moi, monsieur, surtout si vous me dites qui j’ai l’honneur… de…
Les derniers mots expirèrent dans sa gorge.
L’homme s’était retourné, se levait… et dans cet inconnu, Bernis reconnaissait… M. Jacques!… son supérieur… le chef redoutable et redouté… le maître tout-puissant!…
– Monsieur… balbutia-t-il… Monseigneur!…
Il fléchit le genou, pâle soudain.
– Remettez-vous, dit M. Jacques. Relevez-vous… et regardez-moi… Que craignez-vous?… Qu’on m’ait vu entrer ici?… Rassurez-vous…
– Oh! Monseigneur…
– Alors?… Vous avez donc une faute sur la conscience?… En ce cas, confessez-la-moi, mon enfant. Vous savez que notre ordre, s’il est impitoyable pour les hypocrites et les traîtres, sait pardonner à ceux qui se repentent… Parlez donc sans crainte, je vous écoute…
En même temps, M. Jacques se laissa retomber dans son fauteuil.
Bernis était atterré…
Mais il avait rapidement pris son parti. Et ce fut d’une voix raffermie qu’il dit:
– Monseigneur, j’ai en effet une faute à me reprocher: c’est d’avoir tardé à vous mettre au courant des incidents de la nuit dernière…
– Ce n’est pas grave, dit paisiblement M. Jacques, et d’ailleurs, vous avez une excuse…
Bernis frémit. Il lui semblait deviner une effrayante ironie sous l’air calme de son terrible interlocuteur.
– Hélas! non, Monseigneur, dit-il.
– Mais si fait!… Vous êtes blessé… C’est une raison suffisante!…
– C’est vrai, Monseigneur, fit de Bernis avec joie, je n’y pensais plus…
– À la raison ou à la blessure?… C’est le chevalier qui vous a blessé?…
– Oui, Monseigneur.
– Coup d’épée?…
– Non: il a fait feu sur moi…
– Un coup de pistolet. Tenez, mon enfant, j’ai sur moi un baume souverain contre les coups de feu… laissez-moi débander votre bras et je réponds d’une prompte guérison…
– Monseigneur, balbutia Bernis devenu blême, je… ne permettrai pas… je suis confus…
– Bah! Bah!… Laissez-moi faire, vous dis-je!
En même temps, M. Jacques débouchait un flacon qu’il venait de sortir de sa poche et saisissait le bras en écharpe.
Bernis se recula de deux pas et tomba à genoux.
– Monseigneur, dit-il en courbant la tête, accablez-moi: j’ai menti! Je ne suis pas blessé!…
– Ceci est plus grave, dit M. Jacques après quelques instants de silence. Un mensonge!… Vous savez comme nous punissons le mensonge de l’inférieur au supérieur, à plus forte raison le mensonge au général de l’ordre!… Vous n’avez qu’un moyen d’espérer l’absolution: c’est de mettre à nu votre âme. Si vous avez éprouvé quelque mauvaise tentation, si le démon de l’ambition précipitée vous a soufflé des conseils pernicieux, dites-le moi… et nous verrons!…
– Monseigneur, dit Bernis en se relevant, je n’ai d’autre faute à me reprocher que celle de ne pas être venu vous prévenir, comme c’était mon devoir…
M. Jacques, sans dire un mot, alla à un fauteuil où il avait déposé son manteau. Il saisit le vêtement et s’en enveloppa.
– Que faites-vous, Monseigneur! s’écria Bernis en tremblant.
M. Jacques, alors, se retourna vers lui.
Il était méconnaissable. Ses yeux flamboyaient. Ses traits étaient empreints d’une indicible majesté.
– Ce que je fais? gronda-t-il. J’abandonne la brebis égarée qui refuse de rentrer au bercail. Je fuis cet appartement où l’on respire une atmosphère de trahison et de mensonge!… Rappelez-vous le papier que vous avez signé! Rappelez-vous que vous vous êtes engagé à servir les intérêts de l’ordre contre les intérêts du roi. Demain, ce soir, que dis-je! dans quelques minutes, ce papier sera dans les mains de Louis XV. Tout à l’heure vous étiez son favori. Cette nuit où vous avez fait des rêves de fortune, vous l’achèverez à la Bastille… et vous pourrez y réfléchir aux moyens de nous trahir encore. Seulement, votre réflexion risque de durer toute votre vie!…
– Grâce, Monseigneur! bégaya Bernis. Vous êtes terrible. Je me repens! oh! je me repens!…
– Ainsi, continua M. Jacques, vous vous êtes dit: «Je ne préviendrai pas mon chef des choses qu’il a intérêt à savoir. Je servirai les honteuses passions de ce roi pervers! Et de cette façon, je m’élèverai plus rapidement au faîte de la fortune!…» Insensé.! Vous avez eu pourtant la preuve que je savais toujours tout à temps!…
– Pardonnez-moi, Monseigneur! s’écria Bernis. Eh bien, oui, je l’avoue! l’ambition m’a tenté! L’ambition m’a fait sortir de la voie étroite! Mais je suis prêt à y rentrer!… Non pas que je redoute l’écroulement d’un rêve; non pas que j’ai peur de la Bastille!… Monseigneur, vous le savez: pour un rêve qui s’envole, on en échafaude vingt autres… et on peut sortir du cachot le plus secret!… Vous connaissez mon âme, vous savez quelles sont mes aspirations! Eh bien, Monseigneur, je me repens parce que je vois que vous êtes réellement le plus fort, parce que je vous admire et que vous m’inspirez un sentiment qui confine à l’adoration… Soyez clément, soyez généreux… et vous me savez capable de réparer les plus grands malheurs…
– Bien, mon fils! dit M. Jacques en revenant prendre sa place auprès du feu. En ce moment, vous êtes vraiment sincère, et j’espère que cette nuit vous aura été une leçon salutaire… Vous êtes une des plus subtiles intelligences qui soient dans notre ordre. Vous m’êtes précieux. Je ne perdrai donc pas de temps à feindre une sévérité qui est loin de mon cœur et de mon esprit. Vous êtes pardonné. Jamais plus un mot sur tout ceci…
Bernis se courba, saisit la main que lui tendait M. Jacques, et, avec un effroi respectueux, la baisa.
– Voyons, dit alors M. Jacques. Racontez-moi les choses telles qu’elles se sont passées.
Bernis fit un récit exact et détaillé de toute la scène que nous avons racontée.
Il acheva en donnant des renseignements sur la maison où Jeanne avait été conduite.
M. Jacques écoutait, renversé sur son fauteuil, les yeux fermés: il prenait des notes.
– Bernis, dit-il enfin, il faut que, sous deux jours au plus tard, j’aie la liste de toutes les personnes qui, à un titre quelconque, habitent cette maison; il me faut une notice exacte sur chacune d’elles, sur ses mœurs, ses goûts et son degré de corruptibilité… Vous me comprenez?…
– Oui, Monseigneur. Et je puis déjà vous signaler une femme de chambre que Berryer a placée là il y a quelque temps pour être renseigné…
M. Jacques eut un imperceptible tressaillement de joie.
– Elle s’appelle Suzon, reprit Bernis. C’est une fine mouche. Elle est toute à la dévotion du lieutenant de police, mais j’ai cru m’apercevoir en deux circonstances qu’elle ne me regardait pas d’un mauvais œil…
– En sorte que vous pourriez vous introduire dans la place?…
– Je le crois, Monseigneur.
– Et y introduire quelqu’un avec vous?… Homme ou femme?
– J’en suis sûr, Monseigneur!…
– Allons! murmura alors M. Jacques, la partie n’est pas perdue!… Je prendrai ma revanche!… Bernis, reprit-il tout haut, pensez-vous pouvoir arriver à persuader à cette fille… comment l’appelez-vous?
– Suzon… je vous répète, Monseigneur, qu’elle a peut-être quelque secrète complaisance pour moi, mais que c’est une fille très fine, très dévouée à Berryer…
– Il faudrait la décider à se faire remplacer dans son service par une autre femme… Pouvez-vous y arriver?
– Je ferai l’impossible, Monseigneur. Mais cette remplaçante…
– Je vous la désignerai au moment voulu. Pour le moment, voici mes ordres: il me faut un plan de la maison, une notice sur toute personne y habitant; et enfin, vous vous occuperez dès demain matin de vous mettre au mieux avec la petite Suzon…
– Vous n’avez pas d’autres ordres à me donner, Monseigneur?
– Si fait… Il faudrait faire savoir à M. le chevalier d’Assas en quel lieu Mme d’Étioles a été conduite, et ajouter que le roi n’a pas encore pénétré dans la maison…
– C’est-à-dire réveiller ses espérances?… Je m’en charge!…
M. Jacques fit un signe de tête approbatif et, ayant donné sa bénédiction sous laquelle Bernis se courba, il se retira sans bruit.
Il paraissait parfaitement connaître le dédale des escaliers et des couloirs du château.
Car il refusa de se laisser accompagner par Bernis.
En réalité, il fut reconduit par un homme qui l’attendait au détour du premier couloir qu’il longea.
Cet homme, enveloppé d’un manteau sous lequel on pouvait parfois apercevoir le brillant costume d’un grand seigneur, conduisit M. Jacques, répondit aux gardes qu’il rencontra, donna le mot de passe à la grille, et enfin, sur l’esplanade, s’inclina profondément.
– Monseigneur est-il satisfait de son humble cavalier d’escorte? demanda-t-il.
– Très satisfait, mon cher comte, je vous en remercie, répondit M. Jacques; vous pouvez vous retirer et rentrer au château.
L’homme salua plus profondément encore et fit quelques pas pour se retirer.
– À propos, dit alors M. Jacques, connaissez-vous M. de Bernis?
– Oui, Monseigneur…
– Eh bien, vous abandonnerez momentanément le service que je vous avais indiqué. Vous vous attacherez à la personne de M. de Bernis. Et vous me renseignerez tous les soirs par une notice exacte sur ses faits et gestes, sur ses paroles, sur tout incident quelconque…
Et cette fois, le général de la Société de Jésus s’éloigna pour tout de bon, tandis que son conducteur rentrait au château. Et qui se fût trouvé près de lui l’eût entendu murmurer:
– Comme les hommes sont lâches! Et comme il est difficile de les maintenir dans la voie!… Et pourtant, il suffirait d’un peu d’intelligence et de volonté combinées pour bouleverser le monde!… Allons… faisons notre devoir jusqu’au bout!…