Chapitre 6

Angélique ne dissimulerait pas dans l'avenir, ni à elle-même ni aux autres, son sentiment, à savoir qu'elle n'avait jamais rien dégusté de plus délectable, de plus délicieux, de plus réconfortant que cette soupe aux coquillages qu'elle mangea dans une pauvre ferme d'un colon de l'île Monégan, après avoir failli perdre la vie par noyade. C'est ainsi qu'elle découvrit le plat national de ces contrées qui s'étendent du cap Cod jusqu'au sommet du golfe Saint-Laurent en passant par le fond de la Baie française et le tour de la Nouvelle-Écosse : la chaudrée, pour les Français, Canadiens et Acadiens, « the chowder », pour les Anglais, la nourrissante et divine soupe où se marient tous les amours des rivages : la pomme de terre fruit sauvage de l'Amérique, le coquillage salvateur fruit de la mer féconde et maternelle, et le lait, délice, saveur de l'Ancien Monde, souvenir d'une terre lointaine aux gras herbages, luxe de la terre nouvelle, si difficile à dompter, et qui regarde avec surprise quelques vaches exilées broutant, assez désemparées, en lisière de la forêt indienne...

Tout est contenu dans ce bol généreux à l'haleine parfumée. Ajouter un oignon fondant, une pincée de poivre ou de muscade, quelques dés de porc salé et au dernier moment, par portion, une noix de beurre de crème...

C'est autour d'une chaudrée aux clams, versée en une soupière d'argent... ou d'or, pourquoi pas ? qu'auraient dû se faire les traités qui décidèrent de cette partie du monde... Chacun s'en serait trouvé bien...

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