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— Explique-toi.

— Un type sorti d’on ne sait où veut déposer une plainte pour plagiat, répliqua Pam.

Léane se gara sur le bas-côté.

— Plagiat ? C’est une plaisanterie ?

— Michel Eastwood, ça te parle ? La Ronde de sang ?

— Jamais entendu parler.

Un long silence suivit, qui n’augurait rien de bon.

— Le type est un parfait inconnu, mais il a écrit sous pseudo deux livres policiers il y a plus de vingt ans, dont le fameux La Ronde de sang, sorti en 1991… Un petit livre, deux cent cinquante pages.

1991. Son adolescence. Léane lisait déjà beaucoup de romans policiers et avait une mémoire d’éléphant en ce qui concernait ses lectures. Ni le titre ni le nom de l’auteur ne lui évoquaient quoi que ce soit.

— … J’ai regardé les chiffres, il n’en a pas vendu mille. Mais peu importe le nombre d’exemplaires écoulés, je viens de lire son livre, et il y a des similitudes plus que troublantes avec Le Manuscrit inachevé.

Léane, saisie d’une furieuse envie de raccrocher, avait d’autres chats à fouetter que de s’occuper de tous ceux qui voulaient se faire de l’argent sur son dos.

— Du genre ?

— Son personnage principal est lui aussi un vieil écrivain, porté disparu lors d’une sortie en mer. Mais en réalité, il est retenu dans la maison d’une folle qui le force à écrire pour elle. Il va au bout de son histoire, elle le tue et publie le livre sous son nom, intitulé La Fin de l’histoire.

— Et alors ? C’est la meilleure, celle-là ! Et lui, il ne s’est pas inspiré de Misery de Stephen King ? Et tant qu’on y est, on va aussi attaquer tous les écrivains qui pondent une histoire d’amour impossible en les accusant de plagier Roméo et Juliette ? Je ne vois vraiment pas où est le problème. Et puis, La Fin de l’histoire, Le Manuscrit inachevé, ces titres n’ont rien à voir.

— Oui, enfin, tu colles un roman inachevé à la fin d’une histoire, t’as le livre complet.

— Ha, ha…

— Je ne plaisante pas. Je veux dire, on peut trouver un lien. Mais surtout, il existe d’autres détails que Michel Eastwood et son éditeur se sont empressés de nous mettre sous le nez. Oh, pas grand-chose, mais… Son écrivain s’appelle Orpojon, il n’habite pas Bréhat mais l’Île-Grande, une île bretonne. Ton Arpageon a un passé de tueur en série, le sien de pédophile. Je sais, ce n’est pas pareil, je…

— Ça n’a aucun rapport, tu veux dire !

— Tu m’as comprise. Toujours est-il que ces deux fouille-merde sont en train de passer au crible les deux textes. Ils trouveront des points communs là où ils voudront en trouver, même sur des éléments très différents.

— Arpageon, Orpojon, la Bretagne… Ce sont des coïncidences, rien d’autre. Ça ne fait pas de moi une coupable. Je n’ai jamais volé les idées de quiconque.

— Bien sûr, je sais, Léane. Mais avec la mort de ta fille, tu étais dans une période difficile, tu n’arrivais pas à écrire et…

— Et tu ne crois pas que j’aurais été plus maligne que ça si j’avais voulu lui voler ses idées ? Mais réfléchis… Mon écrivain, je l’aurais appelé Martin ou Boulanger, je l’aurais installé dans le Sud et non en Bretagne.

— Faudra leur expliquer tout ça. On les a sur le dos. C’est toujours compliqué de prouver un plagiat, c’est probable qu’ils n’y arrivent pas, mais on risque de traîner cette affaire comme un boulet pendant des mois. Je t’ai posté son bouquin, tu ne le trouveras plus en librairie. Lis-le. En deux heures, c’est fait.

Elle raccrocha. Léane n’en revenait pas. Cette histoire, elle l’avait arrachée à ses tripes, à coups de nuits blanches et de mois d’écriture, seule dans son appartement. Le nom d’Arpageon lui était venu comme ça, sans même savoir s’il existait vraiment. Elle l’avait noté sur sa feuille, sans même y réfléchir.

Des coïncidences, rien d’autre.

Elle se remit en route, malgré une farouche envie de retourner à Paris, d’avaler un Xanax et de dormir, dormir, pour se réveiller ensuite avec l’espoir que tout irait mieux… Une demi-heure plus tard, elle rejoignit Colin qui l’attendait devant son sous-sol, la mine fermée. Colin, dont les soucis se résumaient à savoir si son chat allait bien. À ce moment-là, elle envia sa vie simple de flic.

Sur place, les équipes de la Scientifique avaient déjà remballé leurs halogènes, leur matériel et quitté les lieux.

— T’en a mis, du temps.

— Un petit problème à régler avec… ma maison d’édition.

Le flic l’entraîna dans le garage et referma la porte derrière eux.

— Ça risque de se compliquer.

Léane le fixa sans desserrer les lèvres, elle avait envie de hurler : « Sans déconner ? » Il ouvrit le coffre. Le morceau de moquette qui permettait de dissimuler le compartiment de la roue de secours avait été plié en deux. Il sortit un scellé de la poche de son blouson.

— C’est sous ce tapis qu’on l’a trouvé, bien caché. À ton avis, c’est celui que Sarah portait le soir de sa disparition ?

Léane en eut la respiration coupée. De ses mains tremblantes, elle saisit le plastique. À l’intérieur, un bonnet bleu et vert en laine avec un pompon.

Celui de Sarah.

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