Vic et Vadim montèrent en silence à l’étage de la maison de Jeanson. L’habitation était glacée, l’escalier craquait, de la poussière s’était déposée sur les rambardes, les meubles, et donnait une impression d’abandon. Vadim enrageait encore, parce qu’il ne comprenait pas ce qu’il fichait là.
Ils arrivèrent dans la chambre du Voyageur, celle d’un fou. Des formules mathématiques, partout sur la tapisserie, entassées, imbriquées, déliées comme de longs rubans d’encre incompréhensibles. Jeanson avait tout tapissé en blanc pour pouvoir écrire, dessiner des cygnes noirs, des pièces d’échecs, des cases numérotées, étaler la matière indigeste de son esprit obsédé sur le moindre centimètre carré de la chambre, y compris au plafond. Et puis le chiffre 2, partout, décliné à l’infini, en sommes, multiples, carrés, équations tordues. Vadim tourna sur lui-même, perdu.
— Bon, tu m’expliques, bordel ? Je n’y comprends rien, à ces conneries. Des mecs qui s’y connaissent bien plus que nous ont déjà tout analysé pour voir si Jeanson n’avait pas caché là-dedans des informations sur ses victimes. Il n’y a plus rien à trouver, ici. Alors, qu’est-ce qu’on fout ?
Vic s’approcha de spirales, de nombres remarquables que Jeanson avait notés, avec des centaines, des milliers de décimales : Pi, racine carrée de 2, le nombre d’or. Il s’accroupit, se redressa, à l’affût.
— Jeanson a dit que les réponses étaient sous notre nez depuis le début… Qu’on ne savait pas ouvrir nos yeux ni regarder en profondeur, derrière la complexité apparente de simples équations. Et il y a quoi, dans cette chambre ?
— Des équations… Mais elles ne sont pas simples. J’y pige que dalle.
Vic passa sa main sur les écritures, se mit à ausculter la tapisserie. Il trouva le bord d’une bande et tira d’un coup sec. Vadim fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que tu fais ? Merde, Vic, on ne va quand même pas…
— Aide-moi.
Vadim se mit à l’ouvrage. Il trouva finalement une forme de plaisir hargneux à déchiqueter la folie de Jeanson, à tirer de larges bandes qui lui restaient entre les mains dans un crissement. Il en grogna de bonheur.
— Ça fait du bien… Enfoiré… Va te faire foutre !
Il déblatérait, seul dans son coin. Malheureusement il n’y avait rien, derrière, seulement du béton. Vic s’arrêta d’arracher — c’était trop long et fastidieux — et plaqua ses mains sur le papier, à la recherche d’un défaut, d’une excroissance.
Et son acharnement paya : il trouva au bout d’une demi-heure, à l’arrière du lit, à environ un mètre de hauteur, là où était écrit, en gros, 44 — nombre de coups de l’Immortelle de Kasparov. Une bande y était un peu décollée, et ça sonnait creux derrière. Il tira et découvrit un trou d’une dizaine de centimètres, dans le béton. Vadim accourut.
Vic plongea la main à l’intérieur et en sortit un sac transparent avec des clés. Il les répandit sur le lit devant le regard de son collègue, les sourcils froncés. Pas de numéros de série, même couleur, formes différentes. Vadim les observa avec attention.
— Il y en a neuf. Les clés d’entrée des maisons des victimes, tu crois ?
— Fort possible…
— Comment il se les est procurées, putain ?
Vic fouilla encore dans le petit compartiment. Ses doigts palpèrent une surface lisse, plastifiée.
Une clé USB.