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À l’examen des joints des briques, plutôt récents, il était évident que Félix Delpierre avait lui-même divisé la cave en deux parties : celle avec les jambons et son matériel d’un côté, et une cache secrète de l’autre. Par le biais du SMS, il les invitait à gagner la surprise. Les deux hommes redoutaient déjà le pire. Vic tendit le bras.

— À toi l’honneur.

Vadim ne le remercia pas. L’arme entre les mains, il se baissa à hauteur du trou et passa de l’autre côté. Ses doigts caressèrent de la moquette rouge et épaisse. Un toucher agréable. Une lampe de Wood à lumière noire se déclencha dans un grésillement et lui souleva le cœur. Lorsqu’il se redressa, il dut lutter pour ne pas fuir en courant.

— Sacré putain de nom de Dieu !

Sous l’éclairage, un corps rapiécé, traversé de cicatrices et de sutures, se dressait face à eux dans la position de l’Homme de Vitruve, les bras et les jambes écartés. Il était en suspension, à dix centimètres du sol, comme dans un spectacle de lévitation. Il fallait déjouer l’effet produit par la lampe pour se rendre compte qu’il était maintenu à l’intérieur d’un gros cadre en bois par des centaines de fils de pêche très fins qui semblaient l’emprisonner dans une toile d’araignée géante. Des crochets à peine visibles, espacés avec régularité, lui perforaient la chair pour le relier au cadre.

Ce n’était ni un homme ni une femme. Vic observa le visage qui paraissait flotter, les beaux cheveux blonds qui l’encadraient, les yeux occupant les cavités oculaires, sur lesquels les paupières retombaient à mi-hauteur.

Le torse n’appartenait pas à la même personne. Ni les mains. Pas plus que le pied gauche, la jambe droite, ou n’importe quelle autre partie de la « chose » que les policiers avaient devant eux. Car cette « chose », elle était tout, elle n’était rien. Une déconstruction autant qu’un assemblage de chair, de pièces rapportées et jointes les unes aux autres par des sutures de fil transparent, des agrafes, des vis. Malgré la grossièreté de l’œuvre inachevée, Félix Delpierre avait essayé d’embellir l’ensemble, avec des couches de fond de teint, du vernis rouge sur les ongles, des bijoux aux doigts, au cou. La tête était coiffée, une pince rouge ornait les cheveux, de chaque côté d’une raie parfaite. Les jambes portaient des bas placés au centimètre près à la même hauteur.

Vadim s’avança, à la limite de tituber, tandis que Vic s’approcha d’une table métallique semblable à celle des IML, observa les divers instruments — du scalpel au rasoir en passant par le mètre de couturière —, les cathéters, les aiguilles, les médicaments. Au sol, des bidons d’eau de Javel, des bassines vides, empilées, des rouleaux de sacs-poubelle, des cordes, des bâches, des paquets de sel, des écorces d’arbre. Il revint vers « la chose », la palpa avec dégoût.

— Regarde, le visage, les mains et les yeux sont réels, mais le reste…

Il gratta un peu au niveau des sutures et dévoila de la matière luisante.

— … C’est de l’écorchage. Des morceaux de peau tannée, imputrescibles, cousus les uns aux autres sur… J’en sais rien, une structure métallique, quelque chose dans le genre. Je crois qu’on a retrouvé le visage et les yeux de la fille du coffre, Vadim.

Ça sentait le tannin, les écorces d’arbre. Vadim se tenait à genoux sur la moquette, sa lampe braquée devant lui, la bouche tordue en une grimace.

— Je crois que… que Delpierre violait ce… ce machin. La lumière noire fait ressortir de petites taches blanches. Des traces de… de sperme. Partout. Là, sur l’entrejambe, sur la moquette.

Vic vint à ses côtés, il peinait à imaginer la scène. Le bas du cadre en bois reposait sur des roulettes, ce qui permettait à Delpierre de déplacer son œuvre à sa guise. Autour, les murs étaient tapissés de tentures rouges, qui pendaient telles des robes légères. Il y avait même des bouteilles d’alcool sur une étagère, une chaîne hi-fi, un écran vidéo, une caméra sur trépied dans un coin. Vic repéra une courte chaîne vissée dans le mur, terminée par un cerceau d’acier. Il y avait des traces d’ongles et un peu de sang, partout sur la brique près du pieu. Des restes discrets de nourriture au sol. Un pot de chambre vide.

— C’est ici qu’il les retenait vivantes… Il devait mettre ce cerceau en acier autour de leur cheville.

Il retourna vers la « chose » et se pencha sur la poitrine, deux boules énormes en silicone tapissées de peau. On devinait à peine les taches bleues, noires, marron, tant le fond de teint recouvrait l’ensemble. Vic renifla.

— Elle sent bon. Le parfum… Les cheveux sentent le shampoing.

— « Elle » ?

Vadim se redressa, fébrile et en colère, ses lèvres retroussées sur ses canines qui luisaient dans la lumière ultraviolette.

— Tu parles de qui, bordel ? De la propriétaire du visage ? De ces morceaux de peau cousus les uns aux autres sur cette saloperie de mannequin en fer ? Comment tu peux dire « elle » ?

— Il faut bien la nommer. La peau du visage, les mains sont encore fraîches. Le reste semble beaucoup plus ancien.

— Je n’ai jamais vu un truc pareil. Et pourtant, j’en ai vu, des trucs glauques, dans ma vie. Mais là, c’est le summum.

Morel se mit à tourner autour du cadre, observa la moindre suture.

— Combien d’êtres humains écorchés pour… fabriquer ça ?

Un flic désespéré est sans doute ce qu’il y a de pire à voir. Comme un chien qu’on abat avec un flingue, et qui vous adresse un dernier regard.

— On cherchait Apolline… Je crois qu’on l’a trouvée… Peut-être ce pied, ce bras… Un morceau de dos…

Vic se dirigea vers le meuble qui supportait la chaîne hi-fi et l’écran vidéo. À l’écart, bien visibles, il y avait une pile de boîtiers de DVD anonymes avec, posé sur le dernier d’entre eux, une enveloppe. Il la retourna, elle était entrouverte. Il appela Vadim.

— Tu crois que c’est pour nous ? Un message d’adieu ?

— Ce fumier continue à jouer. Ouvre…

La gorge serrée, il rajusta ses gants et écarta avec prudence le rabat de l’enveloppe, persuadé que pouvait en jaillir un serpent. Mais à l’intérieur, il n’y avait qu’un simple bout de papier arraché, sur lequel était inscrit : La surprise vous a plu ? Et maintenant voici mon héritage, enculés de poulets. Bon film.

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