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Léane n’en pouvait plus. L’attente lui parut interminable, le givre s’accrochait aux fenêtres, et souvent elle sortait pour les gratter et faire circuler le sang dans ses jambes. Elle gelait sur place.

Le livre de Michel Eastwood reposait sur le siège passager. Léane l’avait tordu, manipulé dans tous les sens, en avait de nouveau parcouru certaines pages, à la recherche de ce morceau de passé oublié. Comment les avocats de sa maison d’édition allaient-ils gérer cette histoire ? Comment prouver qu’elle n’avait pas triché, alors que les points communs étaient évidents ? Léane ne ferait pas dans le sordide : ce qui s’était déroulé dans les dunes, ce soir-là, devait rester enfoui dans le passé. Barbara avait sans doute réussi à se reconstruire, quelque part. Peut-être avait-elle surmonté l’épreuve, et menait-elle une vie heureuse. Hors de question d’aller réveiller sa souffrance, si tant est qu’elle fût apaisée.

À partir de 2 h 45, des ombres commençaient à sortir au compte-gouttes. De larges silhouettes d’hommes, de couples parfois, même de femmes seules, dont les hauts talons claquaient dans le noir glacial. Comment étaient-elles parvenues à entrer au Donjon ? Par des connaissances ? Via un réseau ? Avec un mot de passe ? Qui gérait ce club très select ?

Aux alentours de 5 heures, Léane retrouva le froid de la rue et son impasse, elle savait, d’après le site Internet, que le Donjon fermait ses portes à cette heure-là. Elle lorgna la photo récente de Mistik, et se concentra sur la porte. Le pistolet pesait dans la poche intérieure de son blouson.

Les employés sortaient un à un. Son pouls s’accéléra quand elle reconnut la femme, un quart d’heure plus tard. C’était bien elle. Mistik fit deux bises au crâne tatoué avant de marcher le long du trottoir. Léane s’apprêtait à la suivre à pied mais elle entendit le bruit caractéristique d’une alarme qu’on désactive et vit des feux de voiture clignoter, cent mètres plus loin. Elle se précipita alors vers son propre véhicule, s’engagea dans le sillage de la berline rouge et n’alluma ses phares qu’après le croisement. Au fur et à mesure qu’elle parcourait les rues de la ville, son angoisse grandissait. Peut-être que le moment de vérité approchait.

Les routes glissaient, ce qui facilita la filature car Mistik ne roulait pas vite, et Léane pouvait se tenir à distance pour ne pas se faire repérer. Mistik s’engagea sur le boulevard périphérique Nord, la nationale 6, puis emprunta l’autoroute A6, sur une dizaine de kilomètres. Sortie Chasselay. Les lampadaires laissèrent place aux ténèbres de la campagne, avant que n’arrive la petite ville. La neige sur les toits, les rues brillantes et vides : tout était figé, gelé, mort, comme dans une boule à neige posée sur un meuble. Léane gardait la voiture rouge en ligne de mire. Celle qui la précédait traversa la ville et, après quelques virages, mit son clignotant devant un portail qui s’ouvrait au ralenti, gyrophare orange en action.

Plutôt que de s’arrêter et d’attirer l’attention, Léane poursuivit sa route, comme si de rien n’était. Dans son rétroviseur, elle vit le véhicule s’engager dans l’allée. Elle ne fit demi-tour que bien plus loin et attendit.

Dix minutes plus tard, elle sautait un muret et pénétrait dans le jardin. Face à elle, sous un ciel de lune et d’étoiles, une belle maison aux murs en pierre brute, aux fenêtres cintrées en bois, enfoncées comme des yeux curieux dans la façade. Seule une lumière filtrait par un soupirail à la vitre opaque, au ras du sol. Qu’est-ce que Mistik faisait dans un sous-sol ou dans une cave, à 6 heures du matin ?

Léane faillit avoir une crise cardiaque quand un chien surgit derrière elle. Un fox-terrier nerveux qui lui renifla les chaussures, le pantalon, puis s’assit devant la porte. Léane sortit son arme et, sans bruit, tourna la poignée de l’entrée. C’était ouvert.

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