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Léane empêcha le chien d’entrer et fonça dans la maison. Elle arriva dans un couloir dont toutes les portes étaient fermées sauf une, d’où jaillissait un rai de lumière rouge. Léane avait l’impression de s’enfoncer dans la gueule d’un monstre.

Elle ouvrit plus grande la porte avec les dents serrées, redoutant qu’elle ne grince. Des marches, qui tournaient vers la gauche. Elle descendit et dut se baisser pour passer sous une voûte en pierre, au-delà de laquelle se déployait une salle de torture au plafond très haut. Clous, lames, fouets, agrafeuses brillaient sur un établi. Une table avec des entraves attendait sur la droite. Elle marqua un temps d’arrêt lorsqu’elle aperçut, accroché à côté de fouets, cravaches, bâillons, matériel sexuel divers, le xiphophore avec sa lame de rasoir. Il y avait encore un peu de sang séché sur le métal.

Elle retenait son souffle et entendait des doigts taper sur des touches, dans une autre pièce. Elle poussa un rideau en lanières, qui cliquetèrent. Autre salle de torture, autre type de matériel. Notamment, une cage à oiseaux géante, une espèce de sarcophage vissé au mur, et un bassin en forme de cylindre vertical, rempli d’eau et surmonté d’un système de chaînes et de poulies qui permettaient d’immerger un corps en suspension.

Mistik était dans un coin, avec son corps tout en nerfs, un pantalon de cuir et un maillot sans manches blanc, assise face à un ordinateur portable. Elle se retourna brusquement, les yeux écarquillés. Léane la braqua.

— Bouge un seul doigt, et je tire.

— T’es qui, putain ?

Léane décrocha une paire de menottes et les balança devant elle.

— Mets ça. Mains dans le dos.

Mistik fixa en vitesse son écran et voulut le rabattre, mais Léane fut plus rapide et donna un violent coup dans le pied de chaise, qui propulsa Mistik au sol. Elle fit claquer la culasse d’un mouvement et ajusta sa visée.

— Je vais te tuer dans ta cave sordide. Je te jure que je n’hésiterai pas.

Léane était à cran. Mistik recula, mains au sol, et obéit. Elle se leva, verrouilla les cercles d’acier autour de ses poignets. Son corps était lardé de cicatrices, de vieilles brûlures, de cratères bruns. Un vrai champ de bataille.

Léane observa l’ordinateur qui affichait une fenêtre de chat : la femme qu’elle braquait discutait avec quelqu’un. Son cœur bondit dans sa poitrine lorsqu’elle vit avec qui elle communiquait.

Moriarty. Ce malade dont les flics avaient parlé et qui, sans doute, avait maintenu Sarah en captivité pendant quatre interminables années.

6 :13 :42 Moriarty > D’accord ? apparut juste à ce moment-là sous ses yeux. Elle garda un œil sur Mistik et s’installa sur la chaise. Elle reconnut, sur l’écran, les adresses en .onion et le navigateur TOR : le darknet. Le logiciel était « TorChat », elle en avait déjà entendu parler par des équipes de cybercriminalité qui l’avaient aidée pour l’un de ses livres. L’équivalent d’un système de SMS anonyme du darknet. Chaque fois qu’on fermait la fenêtre, tous les messages disparaissaient. Aucune trace, aucun moyen de récupérer les archives.

Elle remonta en un coup d’œil le fil de discussion.

6 :02 :10 Mistik > Urgent. Réponds STP.

6 :10 :22 Moriarty > Qu’est-ce que tu veux ? Je t’ai dit de ne plus jamais me contacter ! C’est fini ! C’est la dernière fois qu’on parle, toi et moi. Explique.

6 :10 :57 Mistik > C’est toi qui m’as toujours dit de t’informer s’il y avait quelque chose de bizarre. Et j’ai l’impression d’avoir été suivie par une femme.

6 :11 :25 Moriarty > Où ? Quand ?

6 :11 :42 Mistik > Il y a un quart d’heure. Depuis le Donjon, je crois. La voiture est passée devant chez moi et a continué sa route. Plaque en 59. Le Nord.

6 :12 :32 Moriarty > Ça fait deux ans que tout est fini. Tu ne dois pas t’inquiéter et arrête de m’écrire à la moindre occasion. Les flics vont bientôt retrouver mon cadavre. C’est notre dernière conversation. Tout est fini. Plus rien n’existe. D’accord ?

6 :12 :58 Mistik > Ton cadavre ? Qu’est-ce qui se passe ?

6 :13 :42 Moriarty > D’accord ?

Le curseur clignotait sous ses yeux, attendait une réponse. Léane était sous le choc, mais elle ne prit pas le temps de réfléchir. Presque deux minutes que Moriarty patientait, il allait se douter de quelque chose. Elle se rua sur le clavier.

6 :15 :20 Mistik > D’accord.

Elle valida, ravala sa salive. Pas de réponse. Alors elle tapa intuitivement, parce qu’il fallait aller vite, ne pas perdre le contact et tenter le tout pour le tout :

6 :16 :27 Mistik > Il faut quand même qu’on se voie.

L’attente, l’angoisse dans sa gorge. Elle patienta une, deux minutes. Moriarty ne répondait plus. Peut-être qu’elle avait fait une connerie, qu’elle n’aurait pas dû écrire cette phrase. Elle ajouta :

6 :17 :12 Mistik > T’es encore là ? Réponds s’il te plaît. Je sais des trucs sur Giordano. Sur sa disparition.

Rien. Calme plat. Elle tapa du poing sur le bureau.

— Merde !

Elle se redressa. Ses yeux brûlaient de haine quand elle pointa son canon vers la poitrine de Mistik, assise dans son coin.

— Je te laisse dix secondes pour me dire qui il est. Je veux que tu me parles de Giordano et de Moriarty. Je veux comprendre pourquoi vous faites ça, toi et ces salopards.

Mistik posa ses grands yeux d’aigle sur ceux de Léane.

— Je veux comprendre, ou je te garantis que je te flingue.

— Tu le feras pas. T’as pas les couilles.

Léane sortit son téléphone et afficha la photo du visage défoncé de Giordano, menotté, les mains au-dessus de sa tête. Mistik encaissa mais ne céda pas. Elle montra les dents et cracha comme un serpent venimeux.

— Va te faire foutre !

Léane n’en pouvait plus, elle tremblait de la tête aux pieds. Elle agrippa Mistik par les cheveux et la colla au sol d’un coup de crosse sur le crâne. La femme roula dans un cri rauque. Plus de sentiments, terminé, juste l’instinct, le besoin de réponses. Lui faire cracher tout ce qu’elle savait, jusqu’au dernier mot, dans l’orage de sa colère. On pouvait résister aux coups, à la douleur d’une balle dans la jambe. Mais pas à la sensation de noyade, utilisée par tous les bourreaux du monde.

Et quand elle lui passa les pieds dans les entraves en métal qui pendaient, elle comprit que Mistik, à la façon dont elle se débattait et hurlait, ne supporterait pas. Peut-être aimait-elle voir ses esclaves s’enfoncer là-dedans, peut-être en tirait-elle une infinie jouissance, mais, aujourd’hui, c’était à elle de trinquer.

Léane tira sur une chaîne qui activa le système de poulies. Sa prisonnière fut décollée du sol, la tête en bas, les mains toujours menottées dans le dos. La barre à laquelle elle était attachée pivota jusqu’à ce qu’elle se trouve au-dessus du cylindre en Plexiglas. Mistik s’arrachait les cordes vocales, gigotait, et quand Léane manœuvra un levier qui immergea le corps, les cris se transformèrent en bulles tandis que le visage, grossi par l’épaisseur du plastique, se mua en un masque effroyable.

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