Comme il avait mentionné un poignard pour m’impressionner, le Bronson du pauvre, j’ai pensé que je venais d’effacer un méchant coup de saccagne ; en réalité, il s’agissait d’une tout autre arme. Les passionnés du B.H.V. connaissent cet instrument fort simple servant à enfoncer des clous dans le marbre ou le béton. Il ressemble à une espèce de pompe à vélo. On place le tube autour du clou et on pistonne à petits coups répétés. La force d’inertie fait que la plus dure des parois devient beurre.
C’est avec un truc comme ça qu’il m’a détérioré le tempérament, l’acolyte du Magot. M’a appuyé l’orifice de l’engin entre les côtelettes et s’est mis à pomper à toute vibure. Ça m’a fait comme si je morflais un épieu dans la viandasse. Mon seul souci : retrouver suffisamment d’oxygène comestible pour poursuivre mon destin. Des chiées de gens, chaque morninge, se demandent s’ils vont trouver de quoi bouffer. Et puis d’autres, plus mal nantis encore, s’acharnent à trouver de quoi gonfler leurs poumons ; la vie est difficile.
Ce qui venait de se passer, je te le détaille, pas que tu meures idiot. C’était cacateux express ! Quand j’ai perdu connaissance, on m’a glissé deux paquets de blanche dans les fouillasses. La police a établi que j’en avais cent vingt grammes à l’intérieur de mes harnais. Or, dans un pays comme la Thaïlande, le trafic de la drogue est puni de mort. Voilà un patelin pourri à l’os, où se commettent les pires dépravations, mais qui joue la grosse rigueur répressive concernant une chose qui se répand hélas de plus en plus et que tu trouves en vente libre dans les grandes surfaces (ou à leurs alentours).
Autre chose, du temps que j’aborde la question : la seringue ne contenait pas du curare, mais de la morphine.
Les perdreaux thaïs l’ont récupérée et leur laboratoire a trouvé mes empreintes dessus puisque je l’avais prise au Bronson. Sous toutes les latitudes, et sous toutes les longitudes, ces genres de détails s’appellent des preuves. J’ai été bon pour la marmite, directeur, pas directeur des polices parisiennes… Les titres, les grades, les pedigrees dorés à la feuille, ce qu’ils s’en tamponnent, les Niacs ! Vertigineux ! Chez eux, y a qu’eux ! Les incidents diplomatiques les font marrer comme tu peux pas savoir.
A signaler que le Dabe n’a pas été inquiété dix secondes. Lorsque l’accroc s’est produit, il était occupé à charger une nouvelle entraîneuse du Gai Paris ; pas une Jaune, une grise (sang mêlé avec prépondérance africaine) qui, devais-je apprendre par la suite, lui procurait un effet irrésistible, au ressuscité de la membrane médiane.
Et donc, en trois temps deux mouvements (à moins que ce ne soit l’inverse), j’ai subi cette cruelle agression à la pompe à clous, dont je conserverai toujours des séquelles, d’après ce que m’a avoué le professeur Durdeloigne que j’ai consulté plus tard à Paris. La police m’a fouillé, m’a trouvé porteur de came et m’a embastillé. Tout ça parce qu’une petite friponne d’opticienne faisait sa vitrine sans porter de culotte, si tu y réfléchis !
J’ai toujours été frappé par les perfidies du destin. Il semble se présenter à la bonne franquette, sans intentions tordues, et puis il se met à déconner en douce, et très vite tu mesures le rôle essentiel qu’il joue dans nos existences cahotantes.
Au début, le choc cruel qui m’a été porté dans le dos retire de la sagacité à mes réflexions car la douleur altère les fonctions cérébrales ; n’empêche que la gravité de mon sort m’apparaît dans toute son horreur. J’ai vu des reportages sur les geôles thaïes et sur les exécutions qui s’y perpètrent. Certes, le président de la République française interviendra en ma faveur, mais tout cela va prendre du temps, et il suffit d’une tension diplomatique entre mon pays et celui-ci pour que les dirigeants de ce dernier s’amusent à « faire un exemple ».
L’on m’a jeté dans un fondement de basse-fosse horrible et pestilentiel, en compagnie d’hommes sortis d’une cour des miracles moyenâgeuse. Tu y trouves même un borgne, un unijambiste, deux scrofuleux et un malheureux gars qui charrie un mètre cinquante d’hémorroïdes incontrôlables en guise de robe à traîne.
Je ne te mentionne l’odeur que pour mémoire, faire mon travail de romancier scrupuleux. Elle est dantesque : merde et pourriture confondues, urine et sanie, crasse et pets accumulés ! Je découvre des gueules d’ombre dévorées par la barbe, des yeux brillants de folie. Les tableaux de Jérôme Bosch ? D’aimables Corot, en comparaison !
J’adresse un salut de la main à cette pitoyable coterie et cherche cinquante centimètres carrés de sol dégagé pour m’y asseoir en tailleur. Dur à trouver. Mes compagnons de cellule — j’en dénombre une dizaine —, occupent tout l’espace. Le garçon qui perd ses légumes consent spontanément à me faire un peu de place. Je lui souris. Ça le rend joyce. Il voudrait me parler, mais il ne jacte qu’un langage incourant. S’il ne disposait que de ce bagage pour placer des aspirateurs dans le seizième, il ne boufferait pas chez Lasserre tous les jours !
Acagnardé dos à des barreaux rouillés, je gamberge. Pourquoi m’a-t-on feinté de la sorte ? Dans quel but ?
J’essaie de peigner un peu cet écheveau. Le conseil d’Achille était very good, qui nous posait en payeurs de primes. Dare-dare la chose a rendu avec l’intervention de l’élégant Chinois vêtu de blanc qui ne souhaitait qu’affurer de la braise. Savoir si sa collaboration aurait été juteuse est une autre histoire. Ce qui me sidère, c’est ce piège tendu par le Bronson des chaumières. Là, il n’était question que de me faire tomber. Dans quel but ? En quoi mon arrestation peut-elle servir les intérêts de ces gens ? La seule explication que j’entrevois, c’est celle-ci : le gars Bronson bis est bel et bien mouillé dans l’enlèvement de Rosy et de son pote l’éditeur. Apprenant que des mecs se pointent, non pas pour retrouver le couple vivant, mais pour obtenir la preuve de sa mort, il décide de me neutraliser « légalement », si j’ose dire, en me faisant arrêter, puis condamner à mort.
L’homme aux hémorroïdes en traîne de majesté me touche le genou et imite l’action de fumer une sèche. Il veut du perlot. Moi, excepté un Davidoff (priez pour lui), de temps à autre, l’herbe à Nicot, c’est pas mon fief. Je palpe mes vagues en haussant les épaules pour lui signifier que je n’en possède pas. Ce mouvement me permet de sentir un cylindre dur dans un revers de mon veston. L’objet a échappé à la fouille.
Je me remémore ce dont il s’agit : une invention du Rouquin dont je me suis muni avant de partir. Cela se présente sous la forme d’un stylo chromé. En réalité, il ne sert pas à écrire, mais à éclairer. A la place de la plume se trouve un minuscule projecteur dont le diamètre est à peu près celui d’une pièce de cinquante centimes, alimenté par une batterie spéciale dont l’intensité est si forte que son action équivaut à celle d’un rayon laser. Le Rouque et son assistante-maîtresse-nièce ont travaillé deux mois sur cette invention dont j’ai la primeur. Tu flanques le faisceau de la lampe-stylo dans les mirettes d’un gnace et, instantanément, il perd le contrôle avec la réalité ; c’est un méga-chose-visar équivalent à seize mille ampères-chroumff, c’est te dire ! Je l’ai essayé sur Bérurier qui, instantanément est devenu doux comme un agnelet et soumis à t’en essuyer le trou de balle avec la langue, ce qui, même chez un vieux dégueulasse de son style, n’est pas courant.
Patiemment, j’incise la couture de mon revers afin de récupérer l’objet.
A peine l’ai-je en pogne qu’un gardien dont la surveillance m’échappait intervient à grands cris (d’autant plus intenses qu’ils sont proférés en thaï) comme quoi ! « Où avez-vous pris ça ? Qu’est-ce que c’est ? Remettez-moi immédiatement cet objet ! », etc. Invente la suite, je te rembourserai !
Feinte docilité, je tends la main entre les barreaux, puis déclenche l’objet. L’homme a un sursaut, tente de détourner la tête, mais zob, il est trop instantanément fasciné pour.
— Open the door, milord ! je l’enjoins.
Il obéit. Je sors, fais signe aux copains de me filer le dur, ce dont ils s’empressent de. Ne lâche pas le garde pour autant. Lui intime de déponner les autres cages à mecs. Ses copains se radinent pour interposer. Ils ont droit à ma loupiote. Du coup joignent leurs empressements à celui de ma première victime. Bientôt tous les détenus sont dans le couloir. Je m’avance à leur tête vers la sortie. Les portiers prennent également le rayon de soumission dans les prunelles. Un velours ! J’ai l’impression de déambuler dans un rêve, là que ta volonté est souveraine et ne rencontre pas l’ombre d’une opposance.
Tu ne crois pas que c’est un génie, Mathias ? Qu’il mériterait deux ou trois prix Nobel enveloppés dans du papier-cadeau ? Quand tu penses que ce con de Nobel n’a inventé que la dynamite ! Tu parles d’une prime à l’humanité.
Tu verrais une horde de prisonniers en haillons, croûteux, merdeux, pouilleux, scrofuleux se répandre dans les rues surpopulées de Bangkok, ça te ferait des picotements dans le fion, sous les testicules et dans la périphérie cardio-vasculaire. C’est une ville rêvée pour jouer la belle. Y a tant et tant de trèpe, la population est si bigarrée, si minable à grosse majorité, que les malfrats en rupture de taule se perdent corps et biens dans cette foule, s’y incorporent spontanément, s’y diluent comme sucre en tisane.
Moi, pas encore meurtri par mon incarcération, compte tenu de sa brièveté, je me mets à la recherche d’un taxi. Ici, c’est pas ce qui manque.
Au « pseudo » greffe de la prison, ils m’ont engourdi ma fraîche avec empressement, ce qui explique leur fouille négligée. Dieu merci, par crainte des pickpockets, j’ai laissé mon passeport à l’hôtel. Je suis sans un radis, mais le driver sera ciglé à l’arrivée.
La vie retrouve un aspect avenant. Il ne s’agissait que d’un nuage.
Chambre du Vieux. Je tends l’oreille. Rien. Je toque-toque. Perçois un froissement, un gémissement langoureux de femme importunée.
Elle vient m’ouvrir. Nue, superbe, éclatante. Cette nana se présente au concours de Miss Univers, les autres postulantes déclarent illico forfait et vont s’agenouiller devant leur bidet pour l’emplir de leurs larmes.
Je dresse à toute vibure la check-list de ses charmes : plus beaux yeux du monde, plus beaux seins du monde, plus beau cul du monde, plus belle chatte du monde, ça, pour les premiers points incontestables. Pour le reste, ça devrait suivre dans la catégorie « premiers ex aequo » : la bouche, le ventre, les genoux. A redire ? Si l’on est vétilleux, juste le nez un tout petit peu marqué par son hérédité négroïde. Sinon : the merveille, the marvel !
Ma stupeur lui est familière. Elle a l’habitude de provoquer des raz de marée dans les slips, cette sublime, des typhons dans les prunelles.
— C’est à quel sujet ? elle s’informe dans un anglais qui ne lui permettrait pas de passer une thèse en Angleterre sur la prophylaxie de la peste bubonique pendant le règne d’Elisabeth Première.
— Je suis l’ami de monsieur ! assuré-je en pénétrant dans la pièce au pas de l’oie (car elle me fait un effet terrible autant que spontané).
Je referme la lourde.
La chambre ombreuse sent bon l’amour.
Pépère est crucifié par la jouissance. Un beau panais d’aristocrate frivole pend, sans conviction, sur sa cuisse, en position de repos provisoire. Je ne le croyais pas si bien membré, Chilou. Il surprend son monde.
— Good ? fais-je à sa rupine compagne de lit.
— Very, very, very good ! assure-t-elle avec sincérité.
M’est avis que la potion continue de faire son œuvre et qu’il a retrouvé ses casanoveries d’autrefois, le Fringant.
La Surmerveille ajoute, comme si cela constituait une explication :
— Il est français.
— I am french too, m’empressé-je, vu que mon tricotin prend l’impétuosité d’un pic pneumatique attaquant le Mur de Berlin de fâcheuse mémoire.
Mais dans l’existence, sache-le bien une fois pour toutes, ô mon fils aimé, quand les hommes perdent la tête, tu dois trouver un coin sombre, te mettre le nez dans le cul et attendre qu’ils la retrouvent. Le Mur de Berlin fut bâti. Puis il fut démoli. Avant cette dernière opération, il y avait des cons d’un côté et de l’autre ; maintenant ils sont ensemble. Et l’Histoire continue, Staline redevient un grand chef d’Etat, Ceaucescu un très brave homme, Henri IV un parpaillot qui puait l’ail. Tout est bien à bord de la roue du temps ! Dormez, bonnes gens ! Dormez sur vos deux oreilles !
C’est elle qui, d’entrée de chambre, annonce la couleur. Le premier pas, elle l’a déjà fait puisqu’elle est à loilpé ; le second vient illico en ce qu’elle me saisit délicatement la bitoune. Elle croyait que pouce et index en cercle lui permettraient d’en mesurer l’encolure. Elle est détrompée (et bientôt détrempée) et doit faire appel à toute sa main pour saisir la truite de Schubert.
— Vous n’êtes pas habituée à ces gabarits dans cette Asie à petites queues ? lui fais-je. Certes, les Jaunes sont intelligents, mais une femme préfère-t-elle un intelligent peu membré à un imbécile surmembré ?
Pour toute réponse, elle dégrafe mon bénoche. Tiens, y a longtemps que je ne me suis pas fait dessabouler par une dame. D’ici qu’elle me brique le gland au lavabo pour s’assurer de sa comestibilité… Elles procédaient ainsi, les gentes putes du temps jadis. Des petites mamans, dans leur genre. Te mignardaient un ratatou appétissant.
Quand je suis en tenue d’Adam, la belle Eve vient se mettre à quatre pattes devant moi pour solliciter une levrette de ma haute bienveillance.
Je promène mes deux mains sur ses hémisphères. De la soie ! Du velours de soie ! De la peau de pèche ! C’est doux et tiède. Et cette couleur sombre. Tu vois la peau de Michael Jackson ? Cette peau éclaircie, abrasée, dépigmentée, polie, lustrée, rendue incolore pratiquement. Eh bien ça, mais en naturel. Ça, accordé par le Créateur. Ça, lumineux de l’intérieur, dirait-on.
Je ne me lasse pas de la caresser, de couler une main par en dessous pour flatter les babines humides. De zigzouner des premières phalanges afin de chambrer l’ergot centrique. Elle en roucoule tourterelle, la Fabuleuse.
Ce qui suit est beau comme du clavecin dans la Chapelle Sixtine. Tu me verrais dans l’allegro con fourré, t’en baverais des lunettes de gogues.
Nos harderies ardentes réveillent le Dabe. Nous apercevant en train de nous accomplir sur la belle moquette, il sourit béat.
— Ah ! vous êtes rentré, Antoine ?
— Dans tous les sens du terme, Achille.
— Cette petite est une féerie, vous ne trouvez pas ?
— Absolue.
— Ne pensez-vous pas que NOUS devrions l’épouser ?
— Comment interprétez-vous ce pluriel, boss ?
— J’entends par là, l’un de nous deux.
— Vous avez droit à la priorité, Achille.
— Pas nécessairement, l’âge serait plutôt un handicap en la matière. A vous l’honneur, mon petit vieux. Je serais votre témoin.
— J’en suis flatté, mais mon célibat enraciné est devenu un apostolat. Est-il bien nécessaire de convoler avec cette beauté pour s’assurer la jouissance de ses charmes ?
— A propos de jouissance, elle est en train de prendre son pied, Antoine, vous devriez procéder au piqué final.
— Tout de suite, mon cher.
Je me déchaîne. La môme se met à hurler. Tout son être est violemment agité. Ses seins, pourtant fermes, s’entrechoquent. Son exquis cul n’est plus visible tant il accomplit d’aller-retour en un minimum de temps. La vitesse de l’éclair ! Elle hoquette ses cris, tyrolise ses plaintes. Suberbe randonnée ! Elle se délivre dans un hurlement de louve qui vient de s’arracher des mâchoires d’un piège en se sectionnant la pattoune avec les dents.
Aplatie sur le ventre, on la croirait en agonie amoureuse. Mourante de son sexe trop sollicité.
Pépère descend du lit et s’agenouille auprès d’elle. Il la fait basculer sur le côté face.
— Veuillez me pardonner, fait-il en rouvrant les jambes de « notre » fiancée, je ne saurais résister à la tentation, ma chère.
Il la fornique d’autor, nonobstant les faibles protestances de la donzelle assouvie.
— Je revis, Antoine ! A plein ! Des années que je n’ai connu une telle frénésie sexuelle. J’ai l’impression de ne jamais pouvoir me rassasier, annonce-t-il en la montant pour un trot attelé de remise en condition.
Ils ont un accouplement aimable, genre, M. le marquis avec la gouvernante des enfants. L’étreinte intellectuelle de gens qui viennent d’en déflaquer plein le drap de travail et qui s’autorisent un petit coup de bite mondain afin de parachever, de se prouver qu’ils peuvent sacrifier au plaisir sans toujours se comporter comme des gorets en rut.
— Il va falloir aller retirer de l’argent pour l’homme qui m’a promis des renseignements, fais-je.
— Sitôt que j’aurai terminé madame, Antoine. D’ailleurs j’ai l’impression qu’elle chauffe et que ma nouvelle pénétration dégénère en douleurs.
Là-dessus, il pose franchement la question de confiance à notre partenaire qui avoue avoir besoin d’une trêve de refroidissement.
Nous la lui accordons volontiers et la recouchons avec le zèle éclairé de deux amants galants (puisque français) soucieux de ménager leur monture.
Pas besoin d’être le célèbre San-Antonio pour s’apercevoir que nous sommes suivis. Tout flic authentique a le sens de « l’ange gardien ». Le fait de se déplacer au cœur d’une circulation échevelée ne fait que renforcer ce « flair » puisqu’elle oblige le suiveur à se tenir proche du suivi.
Chilou se rend à la Barclays Asiatic Bank. Il est dans une lumière bleue, le bougre. Je lui ai narré mes récentes mésaventures, mais c’est à peine s’il m’a écouté. Il vit de tout son être sa résurrection amoureuse.
Le voilà à nouveau sur la route des conquêtes et des tringlées à grand spectacle. Il ne croyait pratiquement plus à son passé, et il lui débarque un avenir doré.
Coincé dans l’angle de la voiture, j’observe le flot qui nous suit. Des vélos-taxis qu’actionnent des guenilleux dressés sur les pédales, des pousse-pousse, des camions, des voitures, des deux-roues, des autobus impensables.
A travers cette horde féroce, klaxonnante et tintinnabulante, j’avise une Porsche noire. Me voilà informé : nous sommes filés par le beau Chinois de blanc vêtu. Celui pour lequel Chilou va justement quérir de la fraîche. Le gars entend s’assurer que nous observons bien les clauses du marché.
Brusquement, alors que la circulation atteint la saturation immobilisatrice, je saute de l’auto et fonce en courant jusqu’à la Porsche. Le « beau Chinois » est accompagné d’un de ses escogriffes. J’ouvre la portière de celui-ci, l’empoigne par les revers de son veston, l’arrache du véhicule et lui balance un coup de boule dans le pif qui, déjà, ressemble à une omelette de six œufs.
— Excuse, lui dis-je : y a que deux places !
Et je m’installe dans la bagnole d’où je l’ai retiré avec si peu de ménagements.
Le conducteur caresse le nœud de sa cravate immaculée et me sourit.
— Vous avez une curieuse façon de faire de l’autostop !
— Brutale, mais efficace, réponds-je. Ce sont les résultats qui importent. Nous allons chercher « vos » dollars.
— Je l’espère bien.
— Pourquoi nous suivez-vous, vous n’avez pas confiance ?
— En Thaïlande, ce mot-là n’existe pas.
— Merci de me prévenir. Souffrez, dès lors, que nous prenions nos précautions.
— C’est-à-dire ?
— En sortant de la banque, nous vous remettrons la moitié, non pas de la somme, mais des billets, comme cela se faisait dans les bons westerns américains d’autrefois. Le reste demeurera dans un coffre jusqu’à ce que vous nous ayez donné satisfaction.
— Et si je refuse ?
— Si vous êtes sincère, pourquoi refuseriez-vous ?
Le flot se remet à circuler. Chose cocasse, le gros Asiate que j’ai malmené marche derrière la Porsche pour ne pas nous perdre.
— Vous avez un nom ? demandé-je.
— Mon nom est Shû.
— Facile à retenir. Vous ne m’avez pas répondu : on fonctionne comme ça ou chacun de nous retourne chez sa mère ?
— On marche comme ça.
— O.K. ! Il ne faut jamais compliquer les choses quand on peut s’y prendre autrement. Si ce n’est pas indiscret, vous savez où se trouve le couple disparu ?
— Oui, je le sais.
— Il est vivant ou mort ?
La réponse tombe comme un couperet, écriraient des confrères adeptes du cliché et du lieu commun :
— Mort !
J’éprouve un désagréable picotement au sternum. Une tristesse imprécise. Je repense à la gentille Annie Versère qui montrait sa chatte dans sa vitrine. Quelle sera sa peine en apprenant la chose !
— Loin d’ici ?
— Au bord d’une rizière, sur la route de Rayong.
Je me retiens de lui demander si c’est lui qui les a mis à mort. Tout compte fait, je m’en abstiens. Ça risquerait de le vexer.