Elle est plus que radieuse : irradiante. Faut dire qu’elle porte une robe de laine de chez Henry Bordeaux, d’un jaune souci tellement agressif que tu redoutes de choper une insolation. Y a également ses tifs qu’elle a déplacés vers l’auburn. Bref, elle a des poussées vangoghiennes indiscutables, la mère.
Lorsque je fais mon entrée dans sa besciclerie, elle est en train de fourguer une monture en écaille véritable à une vieille peau (également véritable), aux rides mastiquées à mort.
Son visage s’illumine en me voyant débouler. Elle s’excuse auprès de la vioque et vient me rouler une galoche grand siècle irréalisable par un asthmatique.
Comme le baiser est franchement vorace et qu’il dure autant qu’une pipe dans un film « X », la cliente chochotte, arrache les besicles à sa décrépitude et se casse en maugréant des désagréableries à propos des mœurs qui partent en couille.
On en est que mieux pour retrouvailler. Je lui place mon genou entre les cannes, ma menteuse au niveau de la luette et ma main droite sur le sein gauche pour un gentil pouet-pouet.
Quand on reprend souffle, elle dit :
— Méchant, ça a été long ! Tu as des nouvelles, au moins ?
C’est des salopes ! Je te jure que c’est des salopes.
Légèrement douché, je réponds :
— Oui, j’en ai.
— Alors ?
— Ils se sont retirés dans un monastère bouddhiste.
— Quouhaâ ?
— La foi !
— Mais ma sœur est catholique !
— Il l’a convertie.
— Le sale con !
— L’amour fait des miracles ! L’essentiel est qu’elle soit heureuse.
Annie est devenue rouge d’émotion et de rage.
— J’étais certaine qu’un jour elle ferait une bêtise, déclare-t-elle d’un ton âpre. Elle est tellement bizarre, par moments. J’espère que ça lui passera. Après tout, ce qui importe, c’est qu’elle trouve la paix du cœur, non ?
— Exactement.
— Tu crois qu’elle m’écrira ?
— Pas sûr. Quand on s’embarque avec Dieu, les humains, tu sais…
La voici qui paraît s’ébrouer.
Elle dit :
— Après tout chacun son lot !
— Exactement.
— N’empêche que tu n’as pas dû t’embêter, en Extrême-Orient, grand coquin. C’était la belle vie, hein ?
En une projection fulgurante, je revois tout ce que j’ai subi et qui me semble aussi interminable que la glorieuse existence d’Antoine Pinay. Ces gnons, ces tortures, cette existence d’homme traqué, ces cadavres balisant mon parcours avec, pour terminer, ma mise en disponibilité et mon système nerveux qui prend de la gîte.
— Une vie de rêve, articulé-je en me dirigeant vers la porte.
— Où vas-tu ? éplore la donzelle. Et moi, hurlant comme un damné :
— C’était trop bon, j’y retourne !