Là-bas, près du dieu Murugan (qui vient de m’exaucer comme n’importe quel dieu plus civilisé), ma gentille Tohu Bohu m’attend avec une patience toute orientale. Elle est assise sur une pierre curieusement modelée en forme de siège et on devine qu’elle a l’éternité à sa disposition.
D’un dernier bond, j’atteins la fissure d’où émerge la main. En fait, c’est plus qu’une fissure : une véritable faille de trois mètres de hauteur sur quelque soixante centimètres de largeur. Le cadavre gît sur des minéraux fendillés.
Chose étrange, l’atmosphère de la grotte lui a évité la décomposition grâce à un phénomène analogue à celui qui a préservé les momies de Palerme ; par contre, les multiples espèces animales présentes en ce lieu l’ont presque totalement dévasté. Il ne reste qu’une espèce de momie attaquée par des dents, des becs et des griffes. Ne subsistent que la chevelure, les ongles peints des mains, et des lambeaux de chair boucanée. Les vêtements de la morte bougent à cause de la vermine qui continue de s’acharner sur les ultimes reliefs.
L’horrible répulsion qui me secoue les tripes finit par se calmer.
Chez moi, le flic revient au triple galop. De quoi est morte Rose Déprez ? Difficile à déterminer quand on n’a à disposition qu’un cadavre dévoré par trente-six espèces d’animaux : mammifères, oiseaux, insectes. Chacune y a trouvé sa pitance. Chacun a organisé son festin. La Ballade des Pendus de maître Villon me vient en mémoire. « Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis »…
Je voudrais tirer la morte à l’extérieur de l’anfractuosité, mais je ne me sens pas le courage de porter la main sur ces restes. Pourquoi, en présence de ce squelette mal déshabillé qui fut naguère une jolie femme, me sens-je pris d’une terrifiante timidité ?
Est-ce le brave dieu Murugan (ou sa maman Siva ?) qui m’interdit de toucher à ce qui fut la sœur d’Annie Versère ?