LA CLASSE

Réalises-tu dans quelle fâcheuse posture je me trouve, ô lecteur inconscient, plus futile qu’une bulle ? Traqué tous azimuts, et nu dans une chambre où ont été assassinées deux jolies étrangères que l’illustre Sana a honorées de son pénis et de sa fervente admiration.

Peut-être ai-je connu de plus grandes alarmes ? Mais c’était alors dans des cauchemars issus de galimafrages trop alcoolisés.

Je me dis que la porte n’est pas fermée à clé puisque le meurtrier vient de se carapater, et qu’on va ouvrir. Alors, n’écoutant que ma courge (qu’est-ce que je débloque, moi ! je veux dire : n’écoutant que mon courage) je me glisse derrière le double rideau de la fenêtre, que ça représente des oiseaux de couleur à longues plumes de saint-cyrien.

Fectivement, après une seconde salve de toc-toc, on délourde. A travers une fente des rideaux, j’aperçois un serveur thaï tenant un plateau lesté de verres de jus de fruits sur le plat de la main.

Impressionné par la nudité et la posture lascive des Danoises, il s’arrête. Regarde avec l’avidité qu’on peut attendre d’un mâle, fût-il membré comme un escargot ; puis il réalise la scène, émet un couinement de rat musqué et le Thaï se taille non sans avoir largué le plateau sur la moquette.

Frégoli était un rhumatisant podagre, comparé à moi ! Enfiler slip, bénoche, limace, pompes, ne me prend que quatre secondes deux dixièmes. Je suis dans le couloir. Le serveur continue de glapir dans les étages.

Une porte s’ouvre et un vieux birbe en bermuda, chaussettes grimpantes et polo blanc montre sa tronche mathusalémique. Sans hésiter, je lui bondis sur la coloquinte, le refoule d’un coup d’épaule qui l’envoie déguster le tapis de sa piaule, y pénètre et lourde au verrou. Une jeune femme en soutif et petite culotte qui se passait de la crème solaire devant sa coiffeuse volte et s’écrie, en français authentique :

— Mais qu’est-ce qui se passe ?

— Je suis victime d’un malentendu, ma puce, et je dois coûte que coûte m’en sortir ; je crois comprendre que vous êtes française, je le suis également, nous nous devons aide et assistance.

Tout en jactant, j’aide pépère à se relever. Il est un peu traumatisé par sa chute et la trouille que je lui inspire. Il halète et ses soufflets font un bruit de papier-cul froissé pour obtenir l’adoucissement requis par de vieilles hémorroïdes qui n’en peuvent plus !

— J’ai l’impression de vous avoir déjà vu quelque part, note la femme qui ne me lâche pas de la prunelle.

— San-Antonio ! annoncé-je en puisant dans ma modestie.

Elle s’écrie :

— Mais oui ! Ça alors, si je m’attendais à vous rencontrer à Phuket !

— Avec moi, il faut s’attendre à tout, ma chérie.

— Vous avez des ennuis ?

— Je n’ai jamais rencontré de terme plus faible pour résumer une situation aussi grave ! assuré-je. Disons que je suis plongé jusqu’aux narines dans une fosse tellement septique que je n’arrive pas à y croire !

La fille peut avoir de vingt-huit à trente ans. Elle est petite, brune, très convenablement roulée, avec un regard malicieux.

— Vous êtes en vacances ? lui demandé-je pour dire de dire.

— En voyage de noces.

Je les regarde, elle et le barbon, d’un œil incrédule.

— Le duc de Verygoodthankyou, murmure-t-elle.

— S’il est vrai que Mathusalem soit mort à 969 ans, votre époux en a au moins 970, ricané-je.

— Plus ! fait-elle en riant. C’est pas un lot, mais c’est une affaire. J’étais sa manucure à l’hôtel King George, il est tombé amoureux de moi et m’a demandé de l’épouser. Rassurez-vous : il ne parle pas le français.

En anglais, elle explique au vioque que je suis un policier français célèbre à Paris, mais que ses confrères thaïs persécutent.

On perçoit un fameux barouf, maintenant, à notre étage. Je sais bien que l’assassinat des Danoises a pour but de me coincer. Désormais, on me flinguera à vue et les pandores du cru n’auront pas à se gêner !

— Ils vont probablement venir ici, préviens-je. Peut-être demanderont-ils à visiter votre suite.

— J’ai une planque pour vous, San-Antonio.

Elle m’entraîne dans le dressinge et m’indique un gigantesque tiroir au bas de la penderie, le tire. Il contient des couvertures et oreillers de rechange.

— Vous pouvez entrer là-dedans, non ?

— Sans problème, ma petite fleur de France.

— Je m’appelle Laura.

— J’adore. Vous êtes sûre que votre fossile du crétacé inférieur tiendra sa langue ?

— Vous charriez : un Anglais ! Et amoureux fou ! Il m’obéira sans problème.

Juste à cet instant, on frappe.


Chapeau, pour Adrian (le mari de Laura). Il se montre gentleman jusqu’à ses cors aux pieds. Se fâche même quand un poulet niac lui demande si un homme est entré chez lui. Son sang bleu ne fait qu’un tour. Duc de Verygoodthankyou, vous permettez, jeune homme ! Vous l’imaginez, accueillant un malfaiteur ? Mais mes aïeux qui étaient apparentés à Aliénor d’Aquitaine sortiraient du tombeau familial en entendant ça ! Heureusement qu’ils reposent de l’autre côté de la planète des singes !

En deux répliques, le danger est conjuré. Je le jure !

Laura me délivre.

Je vais remercier Sa Grâce le duc, pour sa précieuse, son inestimable coopération. J’entreprends de résumer à mes « sauveurs » les péripéties que j’ai eu l’insigne honneur de te bonnir. Je leur raconte Annie Versère (sans mentionner son absence de culotte), sa sœur Rose et son julot, le directeur littéraire des Editions du Perron. Ma venue à Bangkok pour les chercher, ce qui en a découlé. Je conclus en leur disant que, tout directeur de la police parisienne que je sois, si on me retrouve, ce sera pour me zinguer sans trop de sommations.

Ils me demandent ce que sont mes projets.

— Je n’en ai qu’un seul, mais d’importance, réponds-je : tenter de vivre encore un certain temps.

Laura pense que le plus simple est de me planquer dans leur appartement durant quelques jours, histoire de laisser les choses se tasser. Il faudra faire attention aux femmes de chambre, mais nous trouverons bien le moyen de me soustraire à leur curiosité quand elles viendront faire le ménage.

Je les remercie, les yeux humides de reconnaissance. S’il y a beaucoup de fumiers sur notre boule bleue, on y rencontre parfois des gens de cœur.


Le duc Adrian nous laisse peu après, pour aller player au tennis. Vu son âge, il ne joue plus qu’en double et il a rendez-vous avec trois autres cacochymes de son tonus pour échanger des balles mollassonnes. Ces messieurs se ménagent et, loin de se feinter, jouent aux pieds de l’adversaire. On a les balles de ses artères.

— Vous voulez boire quelque chose ? demande Laura. Le duc ne voyage jamais sans son pur malt de 30 ans d’âge.

— Je ne suis pas fana de whisky, jolie Laura.

— Alors un petit coup de mon bordeaux ?

— Volontiers.

Elle nous sert. Ma pomme, après le second verre, une sorte d’obscur chagrin me chope en pensant aux deux petites Danoises trucidées. C’est à cause de moi qu’elles sont mortes, ces ravissantes friponnes. Va falloir faire gaffe à mes nouveaux hôtes, surtout éviter de les compromettre.

— Vous semblez bien tristounet ? remarque la duchesse de Belleville.

— Ne craignez-vous pas que je vous entraîne dans de funestes mésaventures ?

Elle s’écarquille la prunelle.

— Non. Pourquoi ? J’ai confiance en vous.

Charmante femme. Notre promiscuité me trouble ; pourtant j’ai beaucoup donné. Mais je marche à l’ambiance. De me trouver en tête à tronche avec Laura me fait friser la peau des vestibules. Des dessous mutins traînent sur des dossiers de chaises, qui m’embrasent le sang dans les conduits. Chasse tes convoitises impures, Sana. Tu ne vas pas encorner un hôte aussi aimable, qui te sauve la mise avec tant de spontanéité !

Je cueille, sur la table basse, une brochure consacrée à Phuket, éditée par le tourisme thaï. Elle nomenclate les hôtels du pays. Ça me déclenche une chouette idée.

— Laura, que je fais, vous allez me trouver odieux, mais je voudrais solliciter de vous une aide nouvelle.

— Avec plaisir, répond-elle sans hésiter.

Je lui tends l’opuscule dei.

— J’aimerais que vous téléphoniez à la réception de chacun des hôtels de Phuket en demandant si M. Trembleur et Mme Déprez y sont descendus.

— Facile ! dit-elle.

La voilà qui s’installe devant l’appareil bigophonique, ma brochure en main. Elle commence par appeler le premier de la liste et continue en cochant au fur et à mesure le nom de l’établissement contacté. J’écoute en mordillant les petites peaux mortes cernant mes ongles, ce qui est, chez moi, un signe de forte nervouze.

Laura déballe à chaque interlocuteur le même baratin. Sachant que des amis à elle devaient passer quelques jours à Phuket, elle aimerait les retrouver, etc.

Partout, la réponse est négative.

Lorsqu’elle a terminé son tour de piste, elle m’adresse une mimique désolée. Nada !

— Tant pis, la consolé-je.

Et je viens prendre place auprès d’elle sur le divan. Elle porte un short very short qui révèle ses cuisses brunes recouvertes d’un fin duvet blond, surprenant, non ?

Tu penses que je devrais me retenir d’y poser ma main ? Oui, n’est-ce pas ? Moi aussi. Alors pourquoi la posé-je tout de même ? Pourquoi mes doigts entreprennent-ils un massage caressant ? Quel diable les pousse à s’insinuer entre l’arbre et l’écorce ? Entre le short et la cuisse ? Progressivement, jusqu’à effleurer sa chatte aux rivages frisés ? Hein, dis, pourquoi ? Suis-je donc goret jusqu’à ce point de non-retour ? Quelque part, deux admirables filles que j’ai fait jouir commencent à se minéraliser dans les roideurs de la mort, et ma nature dégueulasse m’entraîne à séduire l’épouse d’un Anglais d’élite (ce qui est tellement rare !) dans la pièce contiguë à celle du drame ! Abjection, Votre Honneur ! Ce forfait me rend malheureux. Je me comporte en renégat de la dignité humaine. Ah ! triste salaud, voyou lubrique, comment rachèteras-tu tant de vilenies, et à quel prix, homme insalubre, chacal insane ?

— Je vous demande pardon, balbutié-je, éperdu de confusion, mais je ne peux m’en empêcher.

— Je vois, répond Laura en dégrafant son short.


Comme je lui suis reconnaissant de partager ma honte ! Quelle femme remarquable ! Et quelle baiseuse ! Une causeuse ! Qui narre sa vie sexuelle en prenant du chibre. Qui laisse se dévider ses souvenirs. S’en grise, s’en dope !

— Oui, vas-y ! Fourre ! J’ai connu un camionneur deux fois plus membré que toi, sans te vexer ! Je faisais du stop. Il m’a fait grimper près de lui et m’a prise dans son camion. Un pinardier ! Il puait comme un bouc ! C’était super ! J’ai cru, quand il m’a sodomisée, qu’il allait me faire éclater la bagouze ! Je suis restée deux jours sans pouvoir m’asseoir. Et la fois où ils étaient quinze ! Des rugbymen ! Toute l’équipe ! J’adore le rugby : c’est un jeu si viril ! J’avais seize ans et j’étais venue dans les vestiaires leur demander des autographes. Les salauds ! Tu parles d’un début ! Oui, plus vite, Santantonio, fais-moi fumer les miches. Griffe-moi les fesses ! Plante tes ongles, n’aie pas peur ! Quoi, le duc ? Il me fait sabrer par son maître d’hôtel quand on va en Ecosse. Un voyeur, le vieux. Un pourlécheur ! Chaque âge a ses plaisirs ! Oh ! dis, tu as de drôles d’initiatives ! Tu mérites ta réputation, grand tringleur. C’est chouette de se faire miser avec un doigt dans le fion et une langue sur les mamelons. Continue comme ça, je vais démarrer. Ah ! Y a que les Français pour vous enfiler aussi somptueusement. C’est aux petits détails qu’on les reconnaît. Le doigt dans le cul, c’est la classe ! J’ai comme envie d’entonner la Marseillaise !

Загрузка...