Le visage de Luis saignait toujours abondamment. Glissé dans les rochers, il avait d’abord vu cette garce d’Alice lui filer entre les mains avant qu’un grand type ne se précipite à son tour au bout du quai. Le Basque ne savait pas qui il était mais lui aussi semblait chercher les fugitifs. Un flic peut-être. Un sale flic. Le type avait contemplé l’océan un moment, puis disparu, tout à coup…
Luis avait trouvé Martial à l’ombre du lampadaire, adossé contre la tôle d’un hangar, le nez en sang. Il l’avait tiré par les cheveux pour le remettre d’aplomb :
— Por acqui !
Effrayé par l’aspect répugnant des plaies sur son visage, Martial avait reculé, mais dans son état Luis avait encore besoin de lui. Il désigna le scooter des mers amarré au ponton :
— Trouve-moi le gars à qui il appartient, dit-il d’une voix blanche. Vite.
Il fallut près d’une demi-heure à Martial pour trouver le propriétaire de l’engin, un jeune homme bronzé qui payait tournée sur tournée à la buvette du bal. Deux filles et un type de son genre l’accompagnaient sous les lampions. Il fit d’abord celui qu’on dérangeait dans son bain, mais quand Martial lui signala que deux adolescents tentaient en ce moment même de lui voler sa machine, son sang ne fit qu’un tour. Gonflant les pectoraux comme s’il allait affronter un nain, il lui emboîta le pas jusqu’au port, suivi par un blondinet en chemise hawaïenne.
Luis attendait à l’ombre du ponton. Il frappa d’abord le plus grand, à la nuque. Le voyant s’écrouler, son copain envoya une droite de fête foraine avant de s’affaler à son tour : le poing d’acier venait de lui casser la mâchoire.
Le Basque fouilla les poches du premier, trouva les clés et fila vers le ponton. Martial le regardait s’agiter, médusé. Luis passa une manchette sur son visage ensanglanté, grimpa sur le scooter et lança :
— Dépêche !
Vingt minutes plus tard, alors qu’ils naviguaient à vitesse réduite sur une mer cassante, Luis stoppa la machine.
Ciel bas, bruine, visibilité presque nulle. Ils étaient environ à mi-chemin d’Hœdic, dont on devinait les quelques lumières au loin : d’Alice et du type, toujours aucune trace. Pourtant ils étaient là, dans un coin d’obscurité, cherchant à gagner l’île d’en face… Les misérables croyaient-ils encore pouvoir lui échapper ? Ces chiens croyaient-ils vraiment une chose pareille ? Oh oh ! Mais c’était bien mal le connaître ! Bien mal le connaître !
Ses vêtements étaient trempés, le froid s’immisçait partout, ses plaies s’étaient remises à saigner mais Luis ne lâcherait rien. Il avait coupé tout contact avec ses supérieurs. Sur le biplace, Martial commençait à s’inquiéter :
— Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu t’arrêtes ?
La brise marine balayait la crête des vagues. Luis bloqua son souffle et expédia un formidable coup de coude dans son dos. Totalement surpris par la traîtrise de l’attaque, Martial tomba à la renverse. Son nez avait éclaté sous l’impact, un flot de sang affluait dans sa gorge, il pataugeait dans l’eau noire.
— Hey ! cria-t-il. Hey !
Mais Luis remit aussitôt les gaz.