XII

Le lendemain matin, Matthieu et Adamsberg montraient au maire le plan de Louviec et les noms rattachés à chacun des logements.

— Cela n’entre pas dans mes attributions de surveiller les allées et venues de mes administrés, dit le maire en souriant. Ils sont libres de se déplacer et de louer leur maison si cela leur chante.

— C’est évident, dit Matthieu. Mais vu le contexte, cela nous aiderait que vous nous signaliez des noms inconnus pour l’une ou l’autre des quatre maisons colorées en rouge.

Le maire fit glisser la feuille jusqu’à lui et l’étudia un moment.

— Longevin, dit-il, au lot 44, connais pas. La maison appartient aux Vernon.

— On avait repéré celle-là. Mais les autres ?

— Le lot no 12 est occupé par les Jouel. Mais le nom qui vous a été donné est Desmond. Je ne connais pas de Longevin, ni de Desmond. Ce sont les deux seules nouveautés que je note.

— Desmond, Desmond, marmonnait Adamsberg en revenant à la voiture.

— Tu connais ?

— C’est un nom que j’ai déjà entendu. Dans le flou, dans le loin.

— Il faudrait que tu puisses revenir à ce flou.

— Eh bien, Matthieu, je n’ai jamais trouvé le chemin. Quand il arrive que je fasse la jonction, c’est que le flou est venu à moi, et non l’inverse.

Depuis la voiture, Adamsberg passa un message à Mercadet, lui demandant de chercher au fichier les noms des deux habitants inconnus : René Longevin et Roger Desmond. Mercadet rappela sept minutes plus tard, assez nerveux.

— Fichier vierge pour Longevin. Pour Desmond, c’est autre chose. Tenez-vous bien, commissaire, c’est un homme de Sim l’anguille. Desmond est un faux nom, il en a porté cinq. Je vous envoie son portrait-robot ?

— S’il vous plaît. Il est l’un des deux nouveaux habitants de Louviec. Longevin doit être son associé. Rappelez-vous que deux types ont échappé à la descente de Retancourt dans la planque de Sim.

— Ils seraient après nous ?

— Vous voyez une autre raison ?

— Non, et si c’est cela, ça sent le brûlé.

Adamsberg résuma les faits pour Matthieu.

— Fonce vers chez Desmond, qu’on en ait le cœur net. Mais ne te gare pas devant. Tu vas discrètement montrer le portrait aux voisins. Non, changement de plan, le voisin pourrait lui raconter ta visite. Va plutôt dans les boutiques d’alimentation les plus proches de son domicile. Épicerie ou boulangerie. Il doit ne sortir que pour le strict nécessaire. Présente-toi comme employé de la mairie. Si c’est bien lui, exige la discrétion la plus absolue. Garde ton arme avec toi, le mec est dangereux.

Matthieu revint moins de dix minutes plus tard.

— C’est lui, dit-il en claquant la portière. Je n’ai interrogé que la boulangère et cela a suffi. Elle a vu le type partir faire une balade à vélo. Il n’est installé que depuis hier. Autant dire qu’il vous a suivis dès votre départ de la Brigade avec vos bagages. Dès que vous êtes arrivés, quoi.

— Il ne nous manquait plus que cela, Matthieu, dit Adamsberg en soupirant. Sim l’anguille qui nous envoie son sbire. « Balade à vélo », tu parles, il prépare son opération.

— Vengeance ?

— Commanditée par Sim lui-même depuis sa cellule, tu peux en être sûr.

— Il s’agit bien de Sim l’anguille ?

— Tu le connais ?

— Quel flic n’a pas entendu parler de lui ?

— Il est en taule avec trois complices. Retancourt en a foutu deux par terre d’entrée de jeu et tenait Sim en joue. Ça a déblayé le terrain et Noël et Veyrenc en ont chopé un quatrième. Mais deux ont réussi à filer et Veyrenc n’a pas pu les atteindre. Ils étaient à moto.

— Sim a dû être affreusement humilié d’être mis au tapis par une femme.

— Aucun doute là-dessus. Et voilà le résultat : une opération commando au cœur de Louviec.

— On l’arrête maintenant ? Avant qu’il ne commette des dégâts ?

— Non, Matthieu, il n’est sûrement pas venu seul. On s’assure d’abord que le second nouveau, Longevin, est l’autre comparse en fuite. Ce que je crains.

— Pas malin quand tu es en cavale de venir te poster dans un village bourré de flics.

— On se rappelait mal leurs visages. Je n’ai repéré Desmond qu’à son nom. Quant à l’autre, son fichier est vierge. On aurait besoin d’une photo pour demander une recherche à Mercadet.

— Impossible de se planquer devant chez lui et de le photographier. Il doit être aux aguets et on se ferait épingler.

— Il existe une autre solution. Moi, ces deux-là ne me connaissent pas. Je sonne chez Longevin…

— Il y a tes photos dans la presse, coupa Matthieu.

— C’est vrai, admit Adamsberg. Cette foutue presse qui leur a confirmé que j’étais sur Louviec.

— Prends ma casquette à visière, abaisse-la bien, ça change un homme. Et ôte ton éternelle veste noire, ton tee-shirt de même, et prends ma chemise bleu clair et mon blouson. Ça peut égarer un peu.

Les deux hommes arrêtèrent la voiture, procédèrent à l’échange et Matthieu considéra son collègue.

— Ce n’est pas mal, apprécia-t-il. On ne te reconnaît pas sur-le-champ. Mais peut-être en trois minutes. Fais au plus vite.

— Donc je sonne chez Longevin, reprit Adamsberg en ajustant la casquette, je demande à voir les Vernon, le gars m’informe qu’ils sont en vacances et ont loué leur maison, je présente mes excuses au type et je m’en vais.

— Je ne vois pas à quoi ça te sert.

— Mais à faire ensuite son portrait, Matthieu.

— Ah bien sûr.

— Portrait que j’envoie à Mercadet qui me dit s’il a cette tête-là au fichier, à défaut de son nom.

— Cela reste imprudent. Le type pourrait malgré tout t’identifier. Mais moi non. C’est mieux que je m’en charge.

— C’est un risque à prendre et on n’a pas le choix.

— Pourquoi ?

— Parce que tu ne sais pas dessiner.

— Très juste, j’oubliais.

— Tu vas à l’internat ?

— Mes deux adjoints ont déjà dû commencer la fouille. Je les préviens et je reste avec toi.

— Merci.


Après sa brève visite à Longevin, qu’Adamsberg avait effectuée en chemise bleue et les cheveux couverts, redoutant que ce ne fût un piètre subterfuge pour abuser son suspect, le commissaire s’était rencogné dans l’angle d’un petit bar non loin de la mairie, en vue du nouveau domicile de Longevin, où il achevait le portrait de l’homme. Matthieu prit place à ses côtés, libérant son arme de son fourreau.

— Aucun mouvement, dit Adamsberg qui surveillait la porte de la maison en même temps qu’il crayonnait.

— Comment peux-tu le dessiner aussi précisément après l’avoir vu si peu de temps ?

— Je ne sais pas, Matthieu.

— Bien sûr.

Adamsberg photographia le portrait et l’envoya à Mercadet.


Desmond fronça les sourcils en prenant connaissance du message juste reçu de son associé : Repérés. Eu visite d’Adamsberg.

— En personne ?

— Aucun doute, camouflage minable.

— On sait qu’il n’est pas venu seul. Ai vu la grosse il n’y a pas dix minutes sur la route du Maillant. Genre de bonne femme qu’on ne peut pas rater. Fait du porte-à-porte à vélo, n’avance pas vite.

— Consignes ?

— On quitte les lieux à la seconde où nous sommes grillés. Notre opération est déjà sur pied, on prend de l’avance. Je passe te prendre par la rue latérale et on la rattrape avant de la perdre de vue. Tiens-toi prêt.

Desmond attrapa sa veste et son sac à dos, sortit de la pièce par une fenêtre arrière et lança sa voiture à travers les ruelles.


Nul n’égalait Mercadet – aidé par deux indics avec lesquels il correspondait en code – pour se faufiler dans les dédales des fausses identités. Adamsberg, assis devant son café froid, obtint rapidement les renseignements attendus. Le portrait qu’il avait effectué était celui d’un certain Pernot, autre faux nom de René Longevin, cinquante-six ans, qui était bien un associé de Sim l’anguille. L’équipe vieillissait et Adamsberg espérait une baisse de leurs performances.

— Dès qu’ils nous ont sus à Louviec, ils ont pris position aussitôt. Le premier nous a suivis en train, le second a rallié les lieux en voiture. Bon sang, Matthieu, on n’avait pas besoin de ça.

— Et comment ont-ils pu trouver deux locations en un claquement de doigts ?

— Ils ne les ont pas trouvées, ils ont forcé les occupants à quitter les lieux. Pour quelques jours, cela leur suffisait pleinement pour nous surveiller, tâter le terrain et organiser leur affaire.

— Laquelle ?

— La pire, Matthieu, je le crains.

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