XXXI

— Le type est chez lui et voici le détail des lieux, dit Adamsberg en griffonnant sur une feuille, tandis que Johan leur servait à déjeuner, les sachant pressés.

Les blousons pare-balles et les casques étaient restés dans les véhicules banalisés, pour ne pas indisposer la clientèle.

— Tu as aimé ton dolmen ? lui demanda l’aubergiste sans ironie.

— Beaucoup. Il était vraiment parfait ce matin.

— Parce que le dolmen change ? demanda Noël.

— Bien sûr, lieutenant. Il a ses mauvais jours, comme nous tous. Mais ce matin, il était d’une humeur de rêve.

— Eh bien on est contents de l’apprendre, dit Noël.

— Riez, lieutenant, riez, dit Adamsberg en souriant. Mais il a trois mille ans d’histoire et il a eu le temps d’en voir, des trucs. Cela suinte à travers la pierre.

— Mais bien sûr, répondit Noël, narquois, avant qu’un regard réprobateur de Retancourt ne l’arrête net sur sa lancée.

— D’ailleurs, c’est sur mon dolmen que le divisionnaire m’a aimablement envoyé l’autorisation du juge : « Prise de corps pour suspicion de délit et perquisition. »

— Excellent, dit Matthieu. Cela nous…

— Parce que c’est le vôtre, maintenant ? coupa Noël. Le dolmen ?

— Absolument, répondit Adamsberg avec une certaine fermeté qui fit baisser le regard du lieutenant. Mais je peux le prêter bien sûr, s’il y a des volontaires. Quant à vous, Noël, laissez choir ces élans provocateurs qui vous prennent quand vous êtes sous tension. Nous le sommes tous, après ces neuf jours passés à piétiner sans autre résultat que cinq crimes. Mais c’est précisément le moment ou jamais d’être calmes, très calmes.

Noël, dont la jeunesse tumultueuse et agressive avait laissé des traces, hocha la tête en signe d’assentiment.

— Que disais-tu, Matthieu ? reprit Adamsberg.

— Que le mandat du juge va grandement nous faciliter la tâche. « Prise de corps », rien de moins.

— Mais savoir comment prendre ce corps, tout prêt à nous tirer dessus, est une autre affaire. Voici ce que je propose, dit Adamsberg en sortant sa feuille chiffonnée de sa poche, présentant un plan très précis du domicile de Gilles alias Pouliquen. Devant la maison, face à la porte, fleurit un très vieux pommier dont le tronc large suffira amplement à me planquer. Il n’est pas prévu qu’il fasse beau, l’atmosphère sera voilée. Un peu plus à gauche et plus en arrière, ici, expliqua-t-il en crayonnant, des anciennes toilettes reconverties en cabane à outils. Matthieu s’y colle. Sur la droite, le garage. Deux hommes sur la façade nord, Verdun et Veyrenc. À l’arrière de la baraque, un appentis. C’est pour Noël. Dans le pré, à faible distance, un tas de déchets de taille et d’élagage et un peu plus loin, le fumier. Le premier pour Mercadet, le second pour Berrond.

— Ça pue, dit Berrond.

— Pas tant que cela.

— Ça ne fait que sept emplacements, dit Veyrenc.

— C’est là que ça se gâte, dit Adamsberg, mais on n’a pas le choix. On ne va pas débarquer à huit chez lui avec nos blousons de flics ou même en civil, il nous tirerait dessus illico. Ce n’est pas certain mais je pense que ce Gilles – si c’est bien lui – a son arme à proximité, mais sans doute pas en permanence. Il faut le mettre en confiance. Rien de tel qu’une femme pour cela. Les mecs n’ont pas peur des femmes, ce en quoi ils ont bien tort. On sera garés à trente mètres et Retancourt partira à pied devant nous, avec un porte-documents et des formulaires de recensement de la mairie, j’ai été en prendre ce matin. C’est elle qui ira sonner à la porte, à deux heures moins le quart, avant le match. Car vous entrerez seule, Retancourt, vous l’avez bien compris ?

— Capté, commissaire.

— Vous entrerez seule et sans gilet pare-balles. Même caché sous un grand blouson, il vous ferait immédiatement repérer. Le type ouvre et la stature de Retancourt lui bouche la vue et ne lui permet pas de nous voir nous planquer dans le pré et nous mettre à nos postes. C’est elle qui court le plus gros danger, je l’envoie au feu en première ligne et sans défense. Le type la reçoit mal, mais Retancourt, ayant converti ses capacités hors du commun en timidité et politesse, s’excuse et explique qu’elle vient pour le recensement, que cela ne lui prendra que deux à trois minutes, promis. Notre homme maugrée mais rassuré, il accepte. Retancourt demande à entrer pour s’asseoir et remplir sa fiche. Elle passe le pas de la porte et amorce ses questions. Cela vous paraît possible, Violette ?

— Oui. Il peut évidemment vouloir me flanquer dehors à coups de bottes, auquel cas je lui envoie un direct au menton.

— Si c’est indispensable, lieutenant, mais la consigne est : pas de violences. Sitôt Retancourt dans la place, Matthieu et moi entrons et encerclons le gars. Je le tiens en joue et Matthieu lui passe les menottes. Il tempête et je lui montre l’autorisation du juge. Je reviens à notre opération, Noël, et vous feriez bien d’écouter attentivement. Il peut y avoir des impondérables. Une réaction imprévue du gars. Ceux qui gardent les sorties nord et arrière ne bougent pas. Une fois Gilles hors d’état de nuire, on fait procéder à la perquisition. Matthieu, amène cinq de tes gendarmes et un photographe qui attendront dehors à l’abri de la haie. On sifflera deux fois dès qu’on aura besoin d’eux. Est-ce que tu as un perceur de coffre dans ton équipe à Rennes ?

— Pas sur place mais je peux le faire venir.

— Fais-le. On en aura besoin.

Il était treize heures et la troupe quitta l’auberge.

— Faites attention à vous, Violette, pria Johan sur le pas de sa porte.

Et sitôt son auberge vide, il s’éclipsa vers le chemin du vieux pont – les hirondelles aimaient nicher sous son arcade – à la recherche de l’oiseau blanc pour porter chance à Violette, que le commissaire exposait à une démarche si périlleuse.

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