CAPITULO DIECISEIS

Nous avons libéré le vieux taximan allemand et sommes revenus à quatre dans la Jag de Pamela.

Chemin faisant, je pensais à tous nos faux départs, que dis-je : à nos faux pas. Ces fuites qui tournaient court, ces initiatives qui me retombaient sur le museau, ces rencontres de gens qui n’étaient pas ce qu’ils paraissaient être, tout cela me troublait.

Ainsi, en ce moment, l’Anglaise joue-t-elle franc-jeu avec sa passion pour la queue d’âne du Mastard, ou interprète-t-elle le rôle émouvant de « Dessous de violée » ? D’accord, ses larmes semblaient de bon Éloi et il eût été inconvenant qu’elles ne correspondissent pas à la réalité ; mais sait-on never ? comme ils disent en Grande-Albionie. Je décide de voir et d’attendre. Prudence et sourire.

Elle pilote avec maestria. Personne ne cause. Peu avant Montevideo, nous sommes contrôlés par un barrage de police, suite à l’attentat contre le président. Les flics examinent nos passeports à travers leurs lunettes de soleil inutiles à cette heure, puis nous laissent tailler la route.

La nuit de velours a des teintes violines. Un grand écrivain de ma circonscription la réputerait « cloutée d’étoiles », et il aurait raison, le con !

On fait retour à l’hôtel. Miss Prendubraque abandonne la chignole à son coéquipier et rentre en notre compagnie. Elle a le cul serré par l’impatience. Se déplace à l’allure d’une cheftaine scoute. Ce chibre béruréen elle le voit gros comme une maison de retraite. S’en claque la moniche par la pensée. Elle a tellement besoin de se faire colmater la brèche qu’elle en gémit quand elle respire.

— Je pense que tu vas vivre un moment de haute qualité, soufflé-je à l’oreille de mon Débridé.

Il acquiesce, la lèvre suintante et, je suppose, la guitoune aussi.

D’ailleurs, l’on-dix-raies qu’il a planqué un jéroboam de vin dans son bénouze. Il va avoir du mal à s’extrapoler Popaul, je te l’annonce.

Je les quitte devant la carrée du taureau normand.

— Un conseil, murmuré-je en les abandonnant à eux-mêmes : lubrifiez-vous avant de démarrer, si vous voulez éviter de nouveaux désordres.

— Fais-toi pas d’ soucilles, me rassure le Musclé : y a des p’tites boîtes d’ beurre dans l’ frigo d’ la piaule. T’as b’soin d’ moive tôt, d’main ?

— Pas que je sache.

— Tant mieux, biscotte ma p’tite Rosbif va avoir droit à la troussée du sièc’. C’t’ fois, j’y déballe l’ grand jeu, qu’ même les impérateuses d’ Russie ont jamais connu d’ cosaqu’ries pareilles. Dès qu’on nous aurera livré les boutanches de champ’ qu’ je projette, j’accrocherai l’écriteau « Dou note masturbe » au loquet. Si t’entendrerais gueuler d’ trop, émeuve-toi pas : c’ s’ra Médème qui grimp’ra aux rideaux.


Me voici seul, une fois de plus.

Je boutonne la porte de ma turne et vais filer un coup de périscope par le fenestron de la salle d’eau. Au fond de l’espèce de puits, j’aperçois, grâce à la clarté lunaire, la tache de l’édredon.

Pas de tracas de ce côté-ci.

Me brosse les chailles. Tiens, je souffre d’un tabouret quand je frotte trop énergiquement : une prémolaire qu’en a marre de ma gueule. Tout lasse, tout passe, tout casse, qu’elle aimait à dire, mémé. Elle en avait des tinées de ce module, qui s’adaptaient à toutes les circonstances de la vie, bonnes ou mauvaises.

Une fois toiletté, je me zone, à loilpé. J’adore dormir nu quand les conditions atmosphériques le permettent. Je reviens à l’état fœtal. Si j’ai assez d’énergie, au moment de clamser, j’adopterai cette position : la plus confortable qui soit accordée à l’homme. Partir comme on est venu, ce serait élégant, non ? Même si t’as fait pipi dans ton linceul en embarquant.

Une lumière indécise filtre à travers les rideaux.

Pour la fuir, je file ma pipe sous l’oreiller. C’est une bonne précaution car les clameurs coïtales commencent dans la chambre voisine : le rodéo promis par Sa Majesté à sa belle. Et encore est-elle pour le moment seule à donner de la voix. Mister Bigbite, lui, se réserve pour plus tard. Il doit l’entreprendre à la langoureuse, avec des combines pas catholiques : feuille de rose, pouce dans la craque, seconde paluche en omniprésence sur les loloches. Je le connais, son répertoire de gala, Bérurier. Un grand sabreur quand on ne chipote pas sur les nuances ! Son manuel est vachement exhaustif dans le genre. Très apprécié. Les intellectuelles sont même plus enragées que les autres sur ses manigances, au Boyard de Saint-Locdu-le-Vieux.

Me désintéresse de leurs prouesses matelassières, Pamela et le Monceau. Reviens à ma « mission », si tant est qu’on puisse ainsi qualifier ma venue dans la Sud-Amérique.

Il s’est manigancé un monstre coup à mon insu, c’est claro ! La Volaille de Montevideo attendait une occase de liquider Vogel qu’elle tenait en haute surveillerie. Y a eu nous deux, Big Apple et mégnace. Le coup a été joué comme à la flûte de Pan. Seulement, écoute, ô ami lecteur dont la fidélité me prend aux burnes : les flics n’ont pas agi pour leur compte ! Ce salaud de lieutenant a œuvré au service de gens qui voulaient la mort du terroriste. Quels gens ? À première vue, il devrait s’agir des Rosbifs. Ne sont-ce point eux, comme on dit dans la « gintrie », qui ont mis au point ma venue ici ?

C’est chiatif de ne pas savoir d’où vient le danger. On est certain qu’il existe. On en a la preuve, on le renifle, seulement un brouillard l’entoure de « flou artistique » et l’on ne sait plus à quel singe se vouer, disait une dame qui travaillait comme guenon dressée dans un cirque.

Un autre truc qui me pollue le système nerveux, c’est le coup de ma photo dans la penderie de notre client. S’agit-il d’un détail chargé de m’impliquer dans l’affaire ? Ou bien le tueur international se méfiait-il de moi ? Si c’était le cas, c’est qu’on l’avait averti de ma venue à Montez-vider-l’eau. Mon portrait d’intello de l’action était chargé de lui rappeler mes traits harmonieux et mon regard clairvoyant.

Ayant supputé d’abondance, je glisse dans les répareries du sommeil bienfaisant prôné par les bonnes gens dont l’unique préoccupation, quand ils se pieutent, est de savoir s’ils ont fermé le gaz et tiré la chasse des cagoinsses après usage.


C’est pas que la vie soit marrante, mais on finit par s’y habituer. Quand ça boquille, on se dit que ça pourrait marcher plus mal. Faut toujours attendre : nuit, lumière ; joie, peine ; réussite, échec. Un gentil carrousel. La merde fertilise les roses, et malgré tout les roses sentent bon. Quel bonheur que d’être heureux !

Combien de temps dormis-je ? Ça c’est la question à dix points. Au moment où je m’éveille, je suis en train de gésir sous mes draps. Le couple infernal d’à côté a cessé ses clameurs jouissales. M’est avis que notre potesse anglaise doit endolorer de l’entre-deux ! Après la troussée d’Attila, les poils pubiens ne repoussent plus. Elle va devoir se faire confectionner une prothèse, à la rigueur se coller une houppette sur le triangle de panne.

Je me mets à rembobiner ma pensarde.

Il est rarissime que je me réveille brusquement, sans raison extérieure.

J’en ressens comme un mal-être. Mon guignolet chamade un brin. Est-ce la conséquence d’un cauchemar dont j’ai tout de suite perdu le souvenir et qui me laisse cependant un trouble indéfinissable ?

Alors, un élément archimenu s’opère. Ça commence à partir de combien de décibels, un bruit ? Ce que je perçois est si ténu que cela ressortit davantage de la prémonition que de l’ouïe.

Je m’assieds dans mon lit. La chambre n’est obscure « qu’à première vue », si j’ose dire. Les lumières extérieures s’y faufilent par mille et une minuscules brèches. Je regarde avec tant d’intensité que je finis par découvrir ce qui cloche : depuis le couloir, quelqu’un glisse quelque chose sous ma porte. Un papier, probable. Je quitte ma couche.

Sur la moquette épaisse, mes pattounes nues se déplacent à pas feutrés.

Je finis par apercevoir ce qu’on introduit clandestinement dans ma carrée. Tout de suite, je prends ça pour une ceinture de cuir. C’est long, plat et peu large. Cela s’insinue lentement dans la chambre, sorte de bizarre reptile. Des points d’interrogation se perchent sur ma curiosité comme, à l’automne, les hirondelles sur des fils électriques avant leur grande décarrade vers le soleil.

J’ai beau mater ce machin rampant dans la pénombre, je ne parviens pas à l’identifier. Te dire que, maintenant, je suis éveillé de la cave au grenier est superflu. Une énergie du tonnerre me parcourt. C’est la vraie ligne à haute tension, ton Sana, darlinge.

Je cueille le bistougnet du verrou entre pouce et index. Parfaitement opérationnel, il coulisse sans bruit. Après quoi, je biche la poignée de la porte, l’assure bien dans ma paume, la fais pivoter et le tire à moi de toutes mes forces.

La lumière de noye du couloir me découvre un individu loqué d’une combinaison brune et coiffé d’un bonnet de laine enfoncé jusqu’à l’arête de son tarbouif. Pris de court, il amorce néanmoins deux mouvements à la fois : il tente de se mettre debout et de sortir une arquebuse de sa vague. Bibi ne lui laisse pas le loisir d’exécuter ces projets. D’un terrible coup de talon sur la glotte, je l’étale. Puis lui saute sur l’estomac à pieds joints. Le claquement d’un pneu éventré par un tesson de bouteille, il produit.

Je danse sur son bide et ses claouettes une gigue siouze. Je ne l’ai pas défrimé, mais déjà je le trouve antipathique, Gaston. Le lui prouve en shootant derechef dans ses parties nobiliaires. Cette fois, il est inscrit d’office aux abonnés absents.

Je profite de ce temps provisoirement mort pour retirer le détonateur planté dans le plastic qui a été glissé sous ma lourde. J’adresse au Seigneur une action de grâces dont je me suis déjà servi mais qui reste encore très présentable. Si je n’avais le sommeil aussi léger, j’aurais peut-être achevé ma nuit morcelé dans un drap de lit noué aux quatre coins. C’est cette découverte du plastic qui a déclenché ma fureur et m’a poussé à lui servir une infusion de coups de latte.

Je récupère les différents éléments de la machine infernale et vais tambouriner à la porte bérurière.

Le Mammouth met un bon moment à se débrumer. Pendant qu’il s’arrache aux rets de la dorme, je file un nouveau taquet sur le cervelet du dynamiteur. Belle Pomme survient enfin, déguisé en baril de pétrole, son interminable bec verseur heurtant ses genoux.

— Caisse y t’arrive ? s’enquiert l’Homme-au-gros-moignon.

— Fringue-toi d’urgence et viens m’aider ! réponds-je en lui désignant le pégreleux inerte.

Il passe sa hure dans le couloir, voit, renifle, pète, se fourbit les burnes, rote, renifle, repète, soupire et déclare sobrement :

— Je licebroque et j’arrive, mec !

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