CAPITULO SIETE

De ce qui suit alors, ma mémoire enrubannée d’extase ne conserve qu’une très vague notion.

On parle, et puis on cause. Il nous arrive même de discuter. Elle m’apprend des choses sur elle, veut en savoir sur moi. Logique. Tous les amants, à leur début de roman, ne doivent-ils pas en passer par là ? Je lui raconte ma vie parisienne, sans le concours d’Offenbach. Pour elle, c’est Montevideo, les week-ends à la plantation de son papa, du côté de Trinidad.

Je suis ivre de bonheur, de son breuvage également, dont elle me sert abondamment, trempant ses lèvres pulpeuses dans mon verre avant de me le tendre ; rite plein d’une signification voluptueuse, tu n’en disconviendras pas, sinon je te flanque ma main sur la gueule et tu l’auras bien cherché !

Bref, le temps s’en va, je demeure. Le charme discret de l’instant finit par avoir raison de mon érection, peu compatible avec un début de liaison classée platonique.

Et puis, ce qui devait arriver arrive : en l’occurrence l’époux. Mais qu’ont donc ces tristes cornards à vouloir rentrer chez eux, alors qu’ils y sont si trublions ? Qu’est-ce qui leur permet de surviendre à l’improviste, quand tu as leur gerce bien en main, roucoulante et fondante ? Y a plus moyen d’être chez eux, quoi !

Ça me rappelle mes débuts amoureux. Je tirais la femme d’un mec que j’aimais et admirais au-delà du possible. N’étant pas homo, j’avais trouvé cet élégant moyen de me rapprocher de lui un max, charnellement. Un jour, il s’est pointé à l’improviste, pendant que je calçais sa doudoune. Heureusement, craintif de nature, je la pinais tout habillé. Les amours de qui-vive sont les plus exaltantes. Quand il est entré, mon pote, on était « corrects » dans la mise, mais si chavirés, si essoufflés, si bredouilleurs du regard, qu’il a pigé.

Il a rien dit, mais je reverrai toujours l’assombrissement de ses yeux et cet air si totalement désenchanté que ça m’en a fait mal à crever… J’aurais voulu foutre des gnons à sa morue dont l’immense babasse spongieuse me filait la nausée. Je n’éprouvais rien d’autre pour elle que la tendresse qui me liait à son mari.

À vrai dire, elle me dégoûtait, avec sa viande pâle et molle. Juste elle suçait royalement. Elle représentait mes premières pipes, Gervaise. Ses grosses lèvres humides t’engloutissaient la membrure avec une douceur appliquée. Sa technique était basée sur la lenteur. Même quand, en fin de parcours, tu lui suppliais d’aller plus vite, elle refusait d’accélérer, te faisait languir. C’en devenait follement douloureux ; seulement fallait voir la libération que ça te provoquait ! Oh ! charogne ! Ce lâcher de ballons ! J’en avais pour au moins cinq minutes à braire comme un âne, moi qui ai toujours fait montre d’une certaine retenue. Avec elle, c’était des partances à n’en plus finir, qu’à chaque fois tu croyais sans retour. Sûrement que c’est ce qui le séduisait, mon aminche.

Dans le fond, cette exquise personne devait pas pouvoir choper son foot. T’as des rameuses comme ça, qui t’essorent un gonzier en grande pompe mais qui, pour le fade, font tintin. Elles ont une sorte d’empêchement, en ce qui les concerne. Un blocage. Leur panard consiste à le faire prendre à l’homme. Elles ont l’obligation de réserve pour elles-mêmes. Peut-être que, d’une certaine manière, elles éprouvent un plaisir plus cérébral, donc plus intense ?


Je te disais : « l’Avantageux » a rejoint sa belle base capiteuse. L’avait l’air fatigué. J’ai cru remarquer une trace de foutre sur sa braguette. Souvent, les flics, les journalistes, ont des « points de chute » permanents. Des souris fastoches chez lesquelles ils peuvent débouler à toute heure de la nuit et du jour pour une embrocation vite-fait-sur-le-gaz. Ça vient de nos métiers de chien qui nous font vivre différemment. Un brusque besoin de piner nous agresse ; le plus sage est de s’en libérer rapidement. Alors on a une collection de petites mères de bon accueil qui t’acceptent au débotté, pour une urgence. Vidage de couilles express, sans histoire ni trompette. En amis, tu piges ? Pas besoin de littérature annexe. Un bon coup dans les miches ! Violent, la plupart du temps, parce que imposé par l’impétuosité de la chair. Beaucoup de dadames adorent ça : la pause chibrée. De même qu’il existe des pharmacies de nuit, nous possédons nos baiseuses nocturnes. Un coup de fil pour s’annoncer : « Ici Gaston, j’ai les amygdales enflées, je peux venir ? ». « Non, j’ai mes ragnasses, à moins qu’une turlute te suffise ? » Y a des aspects de la vie sexuelle que la plupart des bonnes gens ignoreront toujours. C’est sympa.


Et alors, le grand lieutenant s’est pointé avec ses yeux soulignés trois fois et sa tache de foutre pareille à une estampille. S’est excusé : ça s’était prolongé, avec les trafiquants.

Tu parles ! Surtout s’il s’était fait mettre un doigt dans l’oigne et lécher les aumônières par un fox-terrier à poil dur.

J’ai pris congé rapidos, alléguant la fatigue du voyage.

Il tenait à me raccompagner, mais j’ai insisté pour qu’on m’appelle un taxoche. Je leur ai lancé une invitation au restau de mon hôtel pour le lendemain soir, mais Ramirez y Ramirez y Ramirez avait un empêchement et on a remis ça au surlendemain.

* * *

Le driver me réveille car je m’étais écroulé comme une fausse souche dans sa Santana Diego, voiture uruguayenne qui a la particularité d’être montée en Argentine sous licence allemande. Les loupiotes de mon hôtel achèvent de me lucidifier. Je biche ma carouble et grimpe me pager.

Parvenu à mon étage, je suis troublé par des cris, des vagissements plus exactement, qui font bander les clients habitant ce niveau. Intuitivement, je décide qu’ils proviennent de la chambre du Gros et m’y rends d’un pas blasé. La clé est sur la serrure. J’entrouvre de manière à pouvoir être renseigné.

Le suis.

Rien de bien sensationnel au demeurant, si ce n’est que le Mammouth vient de sodomiser la gente agente britannique Pamela Right. Incident technique auquel des années de fréquentation m’ont habitué : Sa Majesté persévérante est bel et bien arrivée à ses fins, à force d’obstination et de vaseline, mais ne peut plus se retirer de sa conquête. J’ai connu un cas semblable à Bruxelles avec lui, voici quelques années : il avait fallu hospitaliser les amants terribles pour qu’ils puissent réintégrer leurs autonomies respectives. Ne nous trouverions-nous point en présence d’une récidive ? Je crains que si, señor.

Plantant là le couple sans avoir été vu, je cours jusqu’à ma chambre proche pour y prendre mon appareil photographique. Tu l’auras noté : dans les pires catas, il se trouve toujours un gonzier muni d’un Nikon afin de flasher l’événement pour Paris-Match. Aujourd’hui, c’est bibi qu’aura le scoop.

J’arme mon clic-clac et viens me déchaîner chez le Mastard. La scène mérite d’être immortalisée. La délicieuse petite Anglaise est agenouillée sur le page, presque écartelée. Elle gémit, mord les draps, sanglote, supplie son fâcheux partenaire de ne plus bouger. Alexandre-Benoît feint d’être navré. Il bredouille qu’il est very sorry, qu’y faut attend’ qu’ son panoche rémoulade un peu ; confesse que sa témérité ç’a été de pratiquer la sodomie, puisque sa partenaire avait des empêchements de nature. Un petit œil de bronze commak, jamais il aurait cru y engouffrer une tête de braque qu’a eu fait reculer même des vieillasses au pot défoncé ! Il sait l’à quel point les Anglais sont courageux, mais là, on peut foncièrement causer d’héroïsme. Qu’elle prende patience, surtout. Dès qu’il aura dégodé à fond, ils iront en tandem jusqu’à la salle de baths. Une macération prolongée dans la baignoire emplie d’eau chaude bien savonneuse aura raison de cette liaison forcenée qui fait d’eux « les siamois de l’amour ».

Ma pomme, ignominieuse ordure, je passe un rouleau de 36 à immortaliser l’avarie sexuelle du couple. Le Gros, naturellement, me voit à l’œuvre et exulte, brandissant son pouce capable de recouvrir entièrement une pièce de cinq francs suisses.

Ce reportage achevé, je remporte mon petit matériel.

Que faire ?

Aller au secours des amants terribles ?

Ce ne serait pas charitable pour Pamela.

Me coucher ?

La sagesse même. Mais auparavant, je tiens à opérer une petite vérification.

Deux mots d’explication préalables. Mathias m’a offert un appareil enregistreur à peine plus épais qu’une pochette d’allumettes réclame. Je le porte constamment dans la poche supérieure de mon veston. Pour le brancher, il me suffit « d’arranger » la pochette de soie qui le dissimule.

Or, donc, je récupère cet auxiliaire précieux, le rembobine, et enfin le branche, ce qui me permet d’écouter l’enregistrement de ce que nous nous sommes dit, Maria del Carmen et moi, durant l’absence de son époux. Très exactement, depuis le moment où elle m’a fait boire sa fameuse liqueur.

Je te jure que je suis impayable !

Загрузка...