CAPITULO VEINTINUEVE

Le même salon un tantinet fané. Des plantes en pots, moins belles que celles qui exubèrent au-dehors. Pourquoi, sous toutes les latitudes, longitudes et cieux, dès que des gens sont rassemblés pour recevoir quelque chose qui ressemble à des soins, l’ambiance est-elle locdue et cafardesque ? Certes, on commence à trouver des cliniques privées vachement heurff, il y règne cependant une confuse mélancolie. C’est donc que tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, à un traitement, engendre une morbidité incontournable ?

Ici, les patients ne sont pas fatalement vioques. Il en est même des jeunes. Le psoriasis, tu peux pas savoir si t’en as pas, l’à quel point c’est véroleur. La gaufrette aux coudes, aux couilles, au dargif, sur la frime, c’est un des chiendents de l’homme.

La petite médème assassine attend, assise près de moi, sur un canapé tellement crade et défonçaga que je pourrais pas y tirer Claudia Schiffer même si elle m’extrapolait les roustons avec ses cils.

— Je suis impressionnée, murmure ma fraîche-baisée.

Reconnaissons qu’il y a de quoi.

La double porte chiale un peu des gonds en s’ouvrant et la vieille-dame-pas-ragoûtante-qui-m’a-naguère-reçu paraît. Sombre et furtive, la frite daubée par sa chiasse de maladie. Depuis l’entrée, elle me dédie un sourire dépavé et dandine jusqu’à nous. Toujours gentille.

— Il me semble vous reconnaître, déclare-t-elle avec cette légitime fierté des gens très âgés qui reviennent des cagoinsses sans s’être bédolés dans les brailles.

Je la contemple, puis mate la Maria del Carmen dont la perplexité n’a d’égale que la mienne. Me risque jusqu’à mémère pour le sauvage examen du douanier prévenu par un coup de grelot signé « anonyme » qu’un passeur de diams va se pointer à son poste frontière avec le « Régent » dans le fion.

J’étudie les rides de la dame, sa desquamation, son édenture avancée (il lui manque tous les tabourets du fond), son regard clair comme l’eau d’un bidet (après qu’il ait fait perdre la mise), les coins crémeux de sa bouche, ses tifs rêches, son haleine fouettant le fond de poulailler, son menton genre casse-noisettes ouvragé de l’Oberland bernois, ses cannes maigrichonnes aux bas bandéonesques, ses pinceaux déformés par les rhumatismes, la stalactite glauque qui tremble à son bout de pif, oui, je visionne un à un chacun des éléments et j’en arrive à la certitude absolue que cet être n’est pas, ne PEUT PAS ÊTRE une femme encore jeune transformée en vieillasse, mais qu’elle est réellement et violemment âgée, croulante, nazebroque.

Je me penche à l’oreille de ma jolie compagne de bouillave.

— Je vais m’absenter cinq minutes, fais-lui la conversation, soufflé-je-t-il.

J’argue galamment d’une nécessité de nature et les laisse en tête à tête.


La señora Bezalez Flora, 42 ans, un mètre cinquante-trois, soixante-dix-huit kilogrammes (sans ses hardes, mais avec tous ses poils), exerçant les délicates fonctions de balayeuse assermentée, m’indique la chambre de la vioque. Elle se trouve en retrait et je gage, comme on dit puis chez les ancillaires, qu’il s’agit là d’un apparte de luxe. Nous sommes en first classe : un salon, une chambre de belles dimensions, une salle de bains pourvue d’un matériel d’assistance aux vieillards : rampes de traction pour s’arracher de la baignoire et des tartisses, sol antidérapant, et la sauce. Ces éléments me confirment dans ma certitude d’avoir affaire à une véritable mémé homologuée.

Je me mets à fouinasser dans ce logement. Sobrement, efficacement. Tu ne passes pas quatre lustres (et autant d’appliques) dans mon job sans acquérir une dextérité, un sixième sens, un pouvoir déductif poussés à l’extrême. Ou alors c’est que t’es bon à nib et tu peux aller te faire idolâtrer chez les Grecs !

Je me déplace pas à pas, visionnant tout avec plus que de la circonspection. Mon cerveau qui tient la grande forme fait la pige à une pile atomique. Je crépite de la coiffe. Tu veux parier que des étincelles me jaillissent des naseaux, Marceau ?

J’avais annoncé une absence de cinq minutes ? En réalité celle-ci se prolonge plus d’une demi-heure. Je ne me casse pas trop la hure, car deux femmes, même étrangères l’une à l’autre, même n’ayant rien à se dire, savent admirablement meubler les temps morts.

Mon retour effectué, je hâte la séparation, souhaite meilleure santé à la mamie, l’assure que son eczéma est en bonne voie (je pense « d’épanouissement », elle comprend « de guérison »), et nous nous emportons comme un couple sachant ce qu’il a à espérer de ses sens et de son système glandulaire.

La vie est décidément convenable pour les hommes qui, à mon instar (dirait un autre con de plume), savent la caresser dans le sens du poil.

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