XLVII

Tous les médias du soir furent informés de la conclusion de l’enquête à la demande expresse d’Adamsberg, aspirant à la disparition de l’épais brouillard de peur et de défiance qui embrumait les esprits, enveloppant Louviec d’une grisaille suspicieuse, dont Josselin faisait tout particulièrement les frais.


La fin de la soirée fut mitigée de mélancolie et de soulagement. Revenu de Rennes avec Matthieu, Adamsberg répondait comme il le pouvait aux multiples questions de ses collègues. Lorsqu’il avait mis la main sur le meurtrier des cinq jeunes filles, il en avait ressenti un plaisir intense. Mais il s’agissait d’une bête féroce. Au lieu que Maël avait été un puits de souffrance. Qui avait tout de même ravagé six vies et semé la désolation. S’il y en avait une qu’il ne regrettait pas, c’était celle de Robic.


Durant tout le temps qu’avait duré l’enquête, Adamsberg avait quotidiennement tenu son équipe de Paris au courant des faits, de même qu’il en informait tous les trois à quatre jours son ami Lucio, un très vieil Espagnol avec lequel, le soir, il allait boire une bière sous l’arbre de leur petit jardin. Il lui manquait. Tout fruste fût-il, et tant économe de ses paroles, Lucio était de ceux qu’on dit imprégnés de sagesse naturelle. Il se demandait ce qu’il lui aurait dit, en le moins de mots possible.

Il sentit Johan lui secouer l’épaule.

— Ça te tracasse, hein ?

— Oui, Johan. Je ne l’ai pas connu longtemps ni beaucoup, mais je l’aimais bien, Maël.

— Et moi aussi. Mais il avait plus sa tête, et tu le sais. C’est pour ça que je te dis que maintenant qu’il s’était lancé, il ne se serait jamais arrêté. Il y a des hommes comme ça, fœtus ou pas fœtus, bosse ou pas bosse. Il aurait continué à tuer et à tuer. Déréglé, il était. Tu me crois ?

— Oui, Johan, dit Adamsberg en se servant un verre de chouchen et souriant enfin.

— Alors colle-toi un bon truc dans le crâne : tu t’es démerdé comme un chef. Parole de Johan.

L’aubergiste s’éloigna et Adamsberg lut un mot tout juste reçu du vieux Lucio : Hola, hombre, t’as creusé loin, ¡por la verdad !

Suivaient tous les messages de félicitations adressés par les membres de la Brigade restés à Paris, dont certains avaient failli désespérer de la réussite d’Adamsberg.

— Johan parle d’or, dit Matthieu, assis à ses côtés. Maël avait sombré dans la démence. Si tu ne l’avais pas coffré à temps, ne va pas croire qu’il s’en serait tenu là. Pas du tout. Une fois découvert le plaisir de poignarder – quarante coups sur Robic – il aurait persévéré, au nom d’une folie ou d’une autre. Victime sur victime.

— Vrai, dit Adamsberg, le visage à nouveau apaisé.

— Mais je suis incapable de comprendre comment tu t’y es pris, ajouta le commissaire avec un large sourire.

— Je ne sais pas, Matthieu. De minuscules fragments d’algues se décrochent, s’emmêlent, montent. Je les attends, je les guette.

— Et parmi ces fragments, il y en avait un que tu as vite identifié mais que tu n’as pas voulu voir : Maël dérapait, et tes idées l’avaient détecté depuis les commencements.

— Tu crois cela ?

— J’en suis certain. Preuve en est que tu as pressenti qu’il était le Boiteux, sans le moindre élément de preuve. Un truc encore que je voulais te dire.

— Quoi ?

— Eh bien, bon sang, oui, Adamsberg, c’était une abomination et un affreux foutoir, qui manqua de t’être mortel, et tu t’en es sacrément bien tiré.

— C’est qu’ici, Matthieu, on est aidés par le dolmen.

— Par ton dolmen.


Le lendemain, la presse, la radio, Internet, et tous les habitants de Louviec, de Combourg et des environs s’agitaient fiévreusement autour des dernières informations. Johan avait vu juste : horrifiés d’apprendre que Pierre Robic avait voulu assassiner la petite Rose, sauvée de justesse par l’intervention policière, plus une seule voix ne critiquait l’action des commissaires Adamsberg et Matthieu. L’opinion s’était instantanément renversée et les portait aux nues, si bien que les deux hommes n’eurent pas un moment pour souffler face au déferlement des questions des journalistes, à l’exception du temps des pauses-repas pendant lesquelles Johan ne laissait entrer que les huit policiers et fermait sa porte à double tour pour qu’ils aient la paix, faisant traîner le service en longueur.


L’équipe de Paris reprenait le train le jour suivant. Au soir venu, les adieux furent cordiaux, et plus que cela, chaleureux, tous se frappant les uns les autres sur le dos et les épaules. Johan demanda à Retancourt la permission de l’embrasser sur les joues et Berrond, enhardi, fit de même.

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