Elle chante à tue-tête, la Gabot (comme l’appelle Emile, l’homme de peine, l’homme sans joie qui coltine les sacs de linge sale). Elle brame une vieille chanson que déjà, Anaïs, sa maman, entonnait dans les noces à Goménolé.
Ça dit comme ça :
« Oui, c’est pour toi,
« Pour ton charme ingénu,
« Pour tes lèvres de rose
« Que, plein d’émoi,
« Mon cœur est devenu
« Un foyer de névrose… »
De toute beauté ! Des paroles qu’il faut être poète pour les faire rimailler de la sorte. Posséder une culture authentique ! Elle ne travaille pas à la buanderie, aujourd’hui, mais au gros jet. C’est une règle de la maison : changer les occupations afin de ne pas laisser les employés sombrer dans les routines. Une rotation est établie, qui permet de varier les plaisirs. Devenant cycliques, les corvées sont mieux supportées et tout le monde s’en trouve bien.
Ayant dûment nettoyé la longue et étroite cabine carrelée, la Gabot passe dans le couloir ramasser le clille en attente. Elle trouve, sur la chaise flanquant la porte, un vieux crabe tavelé, à l’air ganache. Il a le menton décroché et de la mousse aux commissures, le regard fourbu du mec qui dérive vers le gâtisme. Le seul client qui, en fin de cure, part sans laisser de gratification. Généralement, la clientèle « arrose » les arroseuses au bout du parcours. Lui, fume ! Tout juste s’il leur dit « au revoir-à-la-prochaine ».
Mais la Gabot, c’est une bonne nature : elle peut pas s’empêcher d’être aimable :
— Si vous voulez bien venir, monsieur Moncornard, c’est prêt !
— Pas trop tôt, depuis le temps que je poireaute, grommelle la grinche.
Salaud ! Une bouffée de rage empare la Gabot devant cette flagrante injustice. Elle a pas mis trois minutes pour préparer la cabine. Te va lui flanquer la pression force 5 sur l’échelle de Richter, pleine gueule pour lui décrocher le râtelier, ce vieux fumier. Le coller au mur du fond avec son jet inexorable. Y a vraiment des patients impossibles. Tu peux les fignoler, leur sourire, ils ne sont jamais contents. C’est comme une vérole qu’ils ont dans l’âme. La méchanceté endémique. Il parle, il grince, il dit des présages inquiétants dont la Gabot n’a cure. Elle lui réitère d’entrer : c’est prêt !
Pépère soulève ses trois quarts de siècle et pénètre. Y a comme un sas où tu déposes ton peignoir et tes sandales à semelle de bois. Le voilà à poil et pas reluisant. Ça lui plisse et pendouille de partout. Sa vieille bite a l’air d’un déchet inidentifiable, sorte de brise-jet de caoutchouc usé emmitouflé d’une filasse blanche et raide. Elle se demande, la Gabot, si ce paf a pu être fringant un jour, cocoriquer sur des monts de Vénus, acquérir un volume valable et dégorger impétueusement. Le vioque semble avoir été raté depuis toujours.
Il s’éloigne vers le fond de la cabine oblongue, son pauvre cul escamoté blanchâtre et fripé, sans foi ni loi, la jambe variqueuse, une cyphose carabinée transformant son épine dorsale en point d’interrogation.
— On commence par la partie pile ou la partie face, m’sieur Moncornard ? demande la Gabot. L’aigre vieillard dit :
— Par le dos.
Mémère s’en fout. Elle s’empare de sa lance d’incendie et ouvre la vanne en tenant le bec incliné. La pression fait bondir le tuyau ! La gaillarde le maîtrise à deux mains. Elle contrôle l’eau bouillonnante, tout en bulles compressées qui en sort. Le jet rampe sur le carreau, gagne les talons du père Moncornard. Elle l’élève progressivement le long des jambes d’échassier noueux. Pépère a un fléchissement des mollets, il embarde, prend appui contre le mur.
— C’est pas trop chaud, m’sieur Moncornard ? crie la Gabot pour dominer le bruit de cataracte.
Il hausse ses épaules décharnées, ce qui ne constitue pas une réponse en soi, mais n’est pas non plus une protestation. La forte femme badigeonne à la haute pression le fion fané du birbe. Ça écrase ses fesses, à Moncornard, elles ressemblent à une horrible fleur de viande gâtée dont le trou du cul composerait le cœur. C’est ça qu’elle se dit, la Gabot. Elle rigole et se refout à chanter :
« Que ne t’ai-je connu au temps de ma jeunesse,
« Dans un rêve brûlant j’aurais su t’emporter… »
La bidoche fin-de-parcours du vieux vilain frémit sous l’impact. Ça fait des plis, des bourrelets, des vallées.
« Tiens, salopard, en plein dans l’œil de bronze ! »
Elle lui vise l’oignon plein cadre. En loucedé, pousse un peu la pression, manière de sodomiser ce branleur branlant à l’eau devenue dure comme glace. C’est intéressant, les phénomènes physiques. La luronne devine qu’un scientifique tirerait des conclusions positives de ce jet percutant ce trou de balle.
Là-bas, pépère glousse. Peut-être qu’il prenait du petit, à son époque forniqueuse ? Qu’il allait en loucedé s’en faire carrer une dans le train en des maisons spécialisées mansuètes et compréhensives à tout ?
Elle lui « fait » les épaules à présent. Le dos. Pouah ! Il est franchement dégueulasse de partout, ce débris ! A gerber ! Le vieillissement, tu parles d’un chancre mou !
— Maintenant, tournez-vous, m’sieur Moncornard ! elle hurle, la Gabot.
L’ancêtre, il fait une volte. Elle en profite pour lui placer sa botte secrète, pile dans les badigoinces. Ça lui renfrogne le pif, Cyrano ! Lui retrousse les lèvres, lui démobilise les fausses chailles. Il va claper de profil, le crabe, après cette giclée sauvage. Il voudrait protester, mais la mère, la voilà qui mouille de rancune à assouvir. L’a-t-il assez houspillée, humiliée, ce triste balai de chiottes ! Au lieu de détourner, elle concentre. Son jet devient une lance d’acier dont elle cherche à lui crever la gueule, ce con ! Elle se dit :
« Calme-toi, ma fille, sinon il est chiche de déposer une réclamation ! »
Mais la frénésie, tu la conjures pas avant qu’elle ait connu son assouvissure. La Gabot pense : « Il faut que je chante, ça va me calmer. »
Dans sa tronche bretonne, le couplet se forme :
« On a vingt ans, divin poème,
« Le cœur souffre et l’on est épris.
« Une femme vous a dit je t’aime,
« Une femme vous a compris… »
Rien à fiche. Ça lui reste dans le bocal sans dégouliner jusqu’au cœur.
Le vieux détritus se recroqueville, à l’autre bout, contre le mur. Il met ses bras flasques en parade. Mais elle lui fait baisser sa garde en le fouaillant inexorablement. Et puis on dirait que les accessoires perçoivent sa rogne, la Gabot, qu’ils se mettent à la partager. Y a comme un spasme dans la pression, une brève faiblesse à laquelle succède une folle impétuosité. La lance se fout en renaud après le barbon, décide de le balayer comme un étron sur le trottoir. Moncornard se tord. Il pousse des beuglements de goret saigné. N’a plus le réflexe de protéger son visage. Il reste adossé à la paroi carrelée et glisse lentement contre.
La Gabot, ce qui la ramène au réel, c’est une anomalie. Les travailleurs, y a que leur boulot qui leur donne l’heure exacte. Elle vient de constater, la mère, que la flotte s’est assombrie. Qu’elle coule plutôt jaune et même presque brun, à présent, regarde ! Tu vois ? On dirait l’eau du Rio de la Plata. Couleur chocolat ! Ça veut dire quoi ?
Sa colère est tombée. Elle coupe la sauce. Renifle. Putain, ça dégage une odeur âcre, désagréable. Cette flotte, pourtant, vient d’un captage situé à bonne distance de la côte. Elle passe, de surcroît, par un poste d’épuration.
La Gabot constate que ça fume dans l’étroit local et que c’est cette fumaga qui fouette. Elle examine le bec de la lance d’où s’écoule encore un mince filet de liquide marron. Ce menu pissat tombe sur ses galoches de cuir blanc qui se mettent à fumer avec un crépitement inquiétant. Un mot lui vient, la Gabot, tellement dingue qu’elle le refoule. On dirait… Non, non ! Impossible ! Et pourtant.
Sa godasse droite est attaquée par le liquide. Le cuir s’assombrit, s’écaille, se recroqueville, fume de plus rechef.
Pas d’erreur : c’est de…
Elle suspend un peu le fameux mot, puis le lâche à voix haute :
— De l’acide !
Voilà que la mer est devenue folle. Celle qu’on voit danser le long des golfes clairs, bordel ! La station de pompage aura pompé une nappe de saloperie échappée des flancs d’un tanker. Un grec, elle parie, la Gabot ! Ou vénézuélien, tu ne penses pas ? Alors voilà que de l’acide passe dans les tuyaux et vient asperger les braves curistes qui…
Oh ! charognerie indicible ! Le vioque, là-bas, au bout de la cabine en forme de jeu de quilles ! Dans quel état ça l’aura mis cette douche vénéneuse ? La guenillerie de vieux birbe radin a dégusté. Elle qui lui noyait la gueule, lui balayait le dentier, lui retroussait les naseaux, lui décollait les feuilles de chou, lui coquillait les lampions !
Elle vérifie que le robinet est bien fermé. Une vilaine mousse verdâtre fait des bulles sur les carreaux, bouffe les joints de ciment.
La Gabot se décide à vérifier où en est le père Moncornard. Elle y va, sans hâte, le cœur fou, en psalmodiant des trucs vagues. Le vieux forme une espèce de tas palpitant, avec des soubresauts. Il en sort une mélopée confuse. Elle voudrait fuir, rameuter la garde, mais elle avance néanmoins, mue par ce moteur naturel et implacable qu’est la curiosité.
Elle parvient devant le gâtouillard.
De ce qu’il en subsiste !
L’abomination. Il était déjà tête de mort dans son genre, Moncornard. L’acide a décapé la dernière couche de vie. Les yeux ont fondu dans les orbites, les lèvres sont comme découpées autour des fausses ratiches de guingois. Le noze durement attaqué n’a plus de cloison, plus de narines, c’est comme une coquille brisée en son évasement. Les chairs sont à vif et bouillonnent.
La Gabot, elle pense plus à rien. Elle fredonne :
« Adieu, l’hiver morose,
« Vive la rose.
« Allons, faucille en main,
« Au travail dès demain… »
Et comme elle a oublié la suite, la voilà qui entonne :
« C’est nous, les gars de la marine,
« Quand on est dans les cols bleus,
« On n’a jamais froid aux yeux.
« Partout, du Chili jusqu’en Chine,
« On les accueille à bras ouverts,
« Ces vieux loups de mer… »
Elle regarde encore césarin. Le jet d’acide lui a bouffé le bas-ventre. Sa vieille pine ressemble à une banane gâtée. Elle redevient silencieuse et murmure :
— Ça va, m’sieur Moncornard ?
Comme si « ça pouvait » aller quand on est dans cet état.
Lui, tout ce qu’il répond, c’est un râle lointain qui lui vient de plus loin que la bouche. Un râle terminus, fin fond de la gargane. Tu dirais une série de rots laborieux.
— Vieux pourri ! l’insulte la Gabot ! Me faire ça à moi !
Et la panique la biche au détour de l’émotion.
Elle sort en courant de la cabine. Referme la porte, pose ses galoches attaquées par l’acide, afin d’être plus véloce. Le grand couloir est paisible. Y a plein de vieilles loques en peignoir devant les cabines, qui attendent leur tour de se faire triturer le surplus. Les collègues de la Gabot palabrent d’une porte à l’autre, se racontent leur vie bancroche. Elles se taisent de saisissement en voyant déferler la Gabot, blanche comme la mort enfarinée, les yeux soucoupes, le rictus gargouille, nu-pieds, la blouse troussée varices. Eperdue, folle, fuyant Saint-Pierre-et-Miquelon dévasté.
Les copines se demandent ce qui lui arrive, la Gabot ? Elle fait pas une fausse couche, tout de même ! Envie de chier ? Pourtant, les gogues sont de l’autre côté ! Elles regardent s’éloigner l’épaisse silhouette blanche laquelle, dans sa précipitation, bouscule des vieillards arachnéens, des qui tiennent debout par leurs cannes anglaises et l’habitude de pas mourir. La Gabot est happée par un couloir transversal. Elle disparaît, laissant une fumée de stupeur inquiète derrière soi.
De retour dans ma chambre avec mes deux lascars, je vois une enveloppe posée en évidence sur mon oreiller.
Mon nom est dactylographié et le billet qu’elle contient également :
En sortant de l’institut, prenez la route côtière sur la gauche. Suivez-la jusqu’à une masure abandonnée bâtie à l’abri d’un amoncellement de rochers. Je vous y attendrai à 15 heures pour vous apprendre des choses intéressantes.
C’est tout et ce n’est pas signé.
Je montre la babille à mes copains. Ils en prennent connaissance avec un hochement de tête.
— Je crois que ton anonymat ne cache que le secret de Polichinelle, déclare Jérémie.
— Tu as une idée quant à l’identité de celui ou de celle qui t’envoie cela ? demande Pinuche.
— Pas la moindre.
— Tu vas aller à ce rendez-vous ?
— Evidemment.
— Peut-être serait-il bon que nous nous baladions dans le secteur, César et moi ?
— Tu redoutes un attentat contre ma personne ?
Il n’a pas le temps de me répondre. Marinette Sogrenut, la secrétaire d’Alexis, entre sans frapper dans ma chambre.
— Vite ! fait-elle. Vite ! Il vient d’arriver un nouveau malheur !
— Cette fois, je ferme ! m’annonce Clabote.
Il est presque détendu parce que trop équivaut à rien. La cote d’alarme est à ce point dépassée qu’il commence à se foutre de tout. Un malheur te met l’âme en désastre. Deux, te donnent envie de te suicider. Au troisième, tu dis « Merde », tu vas retirer du blé sur ton compte et tu pars en vacances aux Antilles te faire sucer la moelle.
— Quoi encore ? je demande.
— Le sommet ! Le bouquet final ! Le truc dont il est impossible de se remettre.
Il cherche d’autres formules encore plus définitives pour exprimer que le point de non-retour est franchi pour lui.
— Valises, clés sous paillasson, débinade sans laisser d’adresse, répond Alexis. Je vais filer au Canada, en Irlande, au Zaïre, n’importe où pourvu que ce soit loin. Je changerai d’identité, me ferai refaire la gueule. Je me transformerai en nègre, en Chinois, en gonzesse ou en pope. Ou bien j’irai dans une léproserie, s’il en existe encore. Peut-être dans un monastère tibétain, non ? Ou alors chez ma tante Virginie, dans les Landes.
Et, tiens-toi bien, Sébastien, IL SOURIT.
— Un nouveau meurtre ? je demande.
— Oui, mon cher commissaire. Et de toute beauté !
Il a mis l’accent sur « commissaire », comme pour souligner l’inefficacité dont je fais montre, la totale inutilité de ma présence. La rogne commence à le bicher. Quand t’es dans la merde, t’as besoin d’un responsable, coûte que coûte, pour te calmer les nerfs. Il m’a mandé d’urgence, le talonneur ami. Et depuis que j’ai débarqué (à peine vingt-quatre heures), il vient de s’appuyer deux crimes de plus, m’sieur le dirlo.
— Celui-ci, affirme-t-il, tu auras de la peine à le camoufler en crise cardiaque !
Et il m’entraîne avec, sur mes talons, Jérémie et César, muets, effacés, attentifs, l’un d’un blanc de plâtre, l’autre d’un noir de jais.
Nous arpentons ces couloirs peuplés de vieillards en peignoir où flotte une buée étouffante et qui sentent les bains publics de jadis.
Alex gagne une cabine, au fond de l’un d’eux. Il regarde derrière soi peureusement avant d’en ouvrir la porte ; le fait prestement et s’efface pour nous laisser entrer.
— Faites attention où vous posez les pieds, avertit mon copain, il y a des flaques d’acide par terre.
Au bout du local rectangulaire, gît un étrange paquet de viandasse corrodée.
Un vénérable vioque émacié, à la gueule ravagée par une aspersion d’acide virulent qui continue son œuvre destructrice. Il mousse, il bulle, il ronge, il dépèce, lézarde, désintègre lentement en produisant un léger bruit crépitant de champagne débouché. L’homme est mort d’en avoir dérouillé plein la clape. Il a eu la gorge brûlée atrocement. Le corps hydrogéné qui l’a pénétré en forte quantité et sous pression, l’a suffoqué, brûlé, asphyxié. Il a dû souffrir effroyablement.
Jérémie se met à dégueuler parce que, franchement, c’est pas rebectant comme spectacle. La mort est impressionnante déjà lorsqu’elle est « propre » ; quand elle se présente sous cette forme, avec les chairs éclatées, rongées, elle te fait mesurer à outrance la grotesque précarité de notre condition. Nous ne sommes qu’un misérable assemblage d’organes sous une carrosserie personnalisée, si ladite explose, tu comprends que chaque seconde de ta vie est un miracle et que nous ne sommes qu’une illusion momentanée pour les autres et pour nous-mêmes.
— Que s’est-il passé, Alex ? demandé-je à mon pote.
— D’après la mère Gabot qui pratiquait la grande douche à ce patient, il s’est produit un brusque arrêt de la pression. Très bref. Et puis elle est revenue, mais cela s’est mis à gicler jaune, puis carrément brun. Sur l’instant, elle a cru que notre station de captage se mettait à pomper une nappe résiduelle et que les filtres ne fonctionnaient plus. Il lui a fallu un moment pour réaliser la nocivité de ce liquide. Elle a interrompu le jet, mais il était trop tard. Elle a perdu la tête en constatant les conséquences et s’est sauvée comme une folle à travers l’établissement, ne sachant que faire, ni où aller. Heureusement, je me suis trouvé devant elle. Elle s’est alors jetée contre moi en chialant. Pressentant un caramel de ce genre, je l’ai vite drivée dans mon bureau où elle m’a mis au courant de la situation. Je lui ai fait avaler coup sur coup deux grands verres de vodka polonaise Bison, aux herbes aromatiques, car elle a un penchant pour la tute. Ça l’a cisaillée et elle roupille dans le petit salon attenant à mon bureau.
Pinaud est sorti discrètement. En homme bien élevé, Jérémie évacue ses déjections irrépressibles à l’aide d’une serpillière opportune et d’un seau de plastique.
— Tu te rends parfaitement compte que je suis foutu, Antoine ? déclare Clabote en désignant le mort.
Au lieu de renchérir je questionne :
— C’est qui, ce mec ?
— Un certain René Moncornard, ancien fabricant de chaussures de la région bordelaise.
— Il est ici en compagnie de son épouse ?
— Non, il est célibataire, figure-toi. Une dame, jamais la même, vient, à chacune de ses cures, passer quelques jours avec lui. Une friponne qui doit lui éponger la bite et le porte-monnaie. Son égérie du moment a quitté l’institut avant-hier.
Ma décision est prise. Folle. Comme souvent, comme toujours.
— Tu m’as dit qu’il existait une morgue, chez toi. Il va falloir y porter le corps avec un maximum de discrétion. Je m’en chargerai en compagnie de M. Blanc, mon assistant.
— Et ne pas prévenir les autorités ?
— Pas pour le moment. Cette fois, il est net qu’on a tué ce curiste de cette façon pour que le scandale soit total, qu’il éclate avec fracas et frappe par sa cruauté. Si on le camoufle, le meurtrier va se poser des questions. Déjà, l’assassinat de l’Italienne n’a fait aucune vague. Celui ou celle — voire ceux — qui fout(ent) la merde va (vont) s’impatienter et être amené(s) à réagir. C’est là que nous aurons une chance de le (la, les) démasquer.
— Tu trouves qu’il n’y a pas encore eu suffisamment de grabuge dans cette taule ?
— Peut-être en faudra-t-il davantage pour découvrir la vérité !
— Charmante perspective !
— Il n’y a plus personne dans les couloirs à partir de quelle heure ?
— Midi trente. Jusqu’à quatorze heures, c’est bon. Vous ne risquerez de rencontrer que des employés.
— Il va nous falloir un grand chariot à linge, du linge et l’emplacement de ta putain de morgue.
Pinaud réapparaît. Il a une superbe toile d’araignée sur l’épaule gauche et des traces de poussière un peu partout.
— On a fait un branchement sur la canalisation qui alimente cette cabine, nous apprend l’ancêtre. Elle peut être déviée sur un grand réservoir de plastique contenant de l’acide. Le meurtrier a interrompu un bref instant le circuit normal pour enclencher la déviation. Je suppose en conséquence que ce n’était pas ce monsieur qui était visé, mais n’importe quel curiste qui pratiquerait cette cabine ; à moins que ce local ne fût affecté spécialement au défunt ?
— Non, non, c’est variable, confirme Alexis Clabote.
— Bien, dit César. Il était loisible de bricoler la canalisation de cette cabine parce que c’est elle qui est contiguë au sas d’induction.
— Donc, souligne Alex avec une espèce de délectation morbide, c’est bien moi qui suis visé ! C’est mon institut qu’on cherche à assassiner à travers mes clients.
— Exactement, convient durement l’inspecteur principal Pinaud.