LE VOILE SE DÉCHIRE

Ils sont venus, ils sont tous là ; comme dans la Mamma d’Aznavour[14], sauf que c’est ma mamma qui est penchée sur moi : le beau visage dévasté par l’inquiétude de ma Félicie, photo ancienne d’elle-même, photo future plutôt, tant il est ridé et gris. Ses yeux doux sont pleins d’une volonté farouche. Elle a eu peur pour ma vie, alors tout son être s’est rebellé, des décharges d’ondes salvatrices m’ont emmitouflé, son âme a pactisé avec Dieu, et si cela n’avait pas suffi, elle se serait adressée à Belzébuth.

— Ça va, ma poule ? je lui chuchote.

Elle pleure silencieusement ; incapable de répondre autrement que par des larmes.

Derrière elle, en un demi-cercle hétéroclite, se tiennent : le Vieux, Pinaud, Jérémie Blanc, Violette, Béru et une infirmière blonde. J’enregistre que la blouse blanche de cette dernière décrit des 8 au boutonnage et qu’on est en prise directe avec le plus minuscule slip blanc jamais sorti d’une manufacture de sous-vêtements féminins. Bon, je risque d’avoir une convalescence convenable.

Mon regard harassé panoramique légèrement, me permettant de découvrir une potence, sur ma droite, avec une grosse poche transparente de sérum physiologique suspendue à sa branche. Un tuyau en descend, qui s’achève dans la grosse veine de mon poignet. J’avise également un bocal, à terre, où goutte un liquide dégueulasse provenant de ma personne via un drain. Dis donc, on dirait que j’ai morflé salement. Je me sens vasouillard comme une Spontex gorgée d’eau de vaisselle ; la blonde infirmière me taillerait une pipe, je me demande si je réagirais de la membrane !

— C’est grave ? demandé-je.

Ma voix est mourante. Si les canaris parlaient au lieu des perroquets, ça donnerait peut-être ce registre vocal.

— On t’a opéré, balbutie m’man.

— De la jambe ?

Achille intervient, doctoral :

— Du condyle fémoral. La balle vous a déchiqueté toute la cuisse avant de vous faire sauter le condyle, mon cher petit.

— Mais c’est pas certain qu’tu boites, ajoute Alexandre-Benoît.

— Gros con ! lui chuchote M. Blanc.

— Ben quoi ! rebiffe l’Empaqueté, si y d’vra boiter, c’est bien qu’il le sussasse d’orge et d’orgeat, d’autant qu’y font maint’nant des talonnettes à air comprimé qu’tu peux arquer sans qu’l’monde s’aperçusse d’rien. Y a qu’au lit, sans tes pompes, qu’on voye qu’tu boites !

La petite infirmière déclare, catégorique :

— Il ne boitera pas car c’est un garçon énergique qui fera toute la rééducation nécessaire.

Et poum ! Ticket ! Ça me paraît bien parti pour des lendemains printaniers. Elle me veut des bonnes choses, Chantal (c’est écrit sur son badge).

Un gai soleil emplit ma chambre. Je souris à l’assistance.

— Ne vous écrémez pas le mental à mon sujet, je m’en tirerai.

Cette promesse l’angélise, m’man. Elle dépose une bisette sur le bout de mon pif, comme lorsque nous faisions nez-nez-nez-nez quand j’étais chiareux. On se frottait le pif en disant « nez-nez » jusqu’à ce que l’un des deux rigole. Alors il était déclaré perdant et devait donner un nombre de baisers à fixer par le vainqueur sur le bout de son blair. Et puis voilà, le chiare est « à plat de lit » comme on dit dans notre Dauphiné natal (où, lorsqu’il pleut à verse, on déclare « qu’il en tombe comme qui la jette »). Des souvenirs qui restent collés à ta mémoire comme un chewing-gum craché à ton talon.

Me voilà, out dans un lit d’hosto, saigné goret, avec je ne sais plus quel os nazé complètement. Je boiterai ! T’imagines l’Antonio claudiquant ? Pourquoi pas une canne anglaise ? Bon, je repousse la perspective, nous aviserons en temps voulu.

— Comment ça s’est conclu, la fiesta de l’institut ? je demande.

Les voilà qui jactent tous en même temps, à l’exception de maman.

Achille calme la cacophonie d’un :

— Eh bien ! Eh bien ! messieurs ! Vous permettez ?

Je le trouve vieilli, le Big Dabe, jaunasse, un peu ratatiné et bien moins superbe qu’avant. Il nous couverait pas une saloperie quelconque ? Il a l’âge du crabe, Chilou, l’âge où le sort aveugle se met à distribuer des cartons jaunes. Mon cœur se serre. C’est moi qui suis à gésir dans un pucier barbare avec des drains et des perfuses, tout l’horrible bataclan hospitalier, et c’est lui qui me fait de la peine, lui qui m’inquiète !

Je le préfère pavaneur, le dirluche. Frimant des quatre fers. Là, il a un côté éteint. Il ne plastronne plus. Il fait vénérable administrateur de sociétés sur la touche. Le vieux gland qui préside mais qui a cessé d’être un oracle. La ganache à qui on fait signer le compte rendu de séance et qu’on raccompagne jusqu’à sa Mercedes noire en réglant son pas sur ses rhumatismes.

— Nous avons mis la main sur une bien étrange organisation, mon cher garçon.

Ah ! bon : il dit « nous », tout de même, bien qu’il eût été tenu totalement à l’écart de l’affaire. Il se permet d’ajouter : « Depuis le début, je pressentais la chose… »

O.K., ça revient. Tel qu’en lui-même.

Tu parles qu’il se doutait « de la chose », il était au courant de RIEN !

— Une association internationale, mon petit, chargée de mettre à mort certaines personnes jugées indésirables. Cela allait des moyens les plus… calmes, comme un traitement fatal, jusqu’aux tueries les plus violentes, du style de celle dont vous avez eu à pâtir.

Je lui répondrais bien que, moi aussi, sur la fin, j’entrevoyais un galoup de ce tonneau, mais je crains qu’il ne croie à de la vantardise ; aussi je m’abstiens, et ce d’autant plus volontiers que les moindres mots que je profère me coûtent un effort démesuré. Alors j’opine faiblement.

— La partie française de cette immonde organisation était dirigée par…

— Félicien Jaume, parviens-je à placer.

Achille sourcille.

— Ah ! vous ?…

— Oui.

— Bon.

Il déconvient léger, n’aimant pas qu’on raconte la chute des histoires qu’il se complaît à narrer.

— Dure réalité pour moi, continue-t-il, car j’ai bien connu Jaume qui fut…

— Préfet de police…, incorrigiblé-je.

— Exact.

Là, c’est la renfrognance pure et simple. Il est sur le point de m’envoyer aux pelotes, le Chauve plastifié. Malgré mon délabrement physique, il me fustige de son regard polaire assombri par le courroux.

Ça m’amuse, son agacement. Je me gondole pis qu’à Venise. Et puis un autre truc encore qui me fait marrer, c’est le délicat manège de la môme Violette avec l’infirmière blonde. Elle s’est débrouillée pour passer, mine de rien, auprès d’elle, et je vois sa main de luronne caresser à travers la blouse blanche, la cuisse longue et fine de Chantal. Celle-ci, après un petit regard en biais, a pris son parti de la chose, et paraît même s’en amuser (en attendant mieux).

Elle est assez incroyable, Viovio ! Comme gonzesse tout-terrain, tu ne trouveras jamais plus performant ! Dévorante à ce point, c’est de la boulimie amoureuse. Elle passe d’une craquette à un manche à couilles sans barguigner, la mère.

Ardente du cul, vaillante dans l’action. Je la reverrai toujours tenant sa grenade dégoupillée sur son escabeau, ne la lançant qu’à l’instant suprême et irrévocable. Ça, c’est quelqu’un !

Je lui souris. Sa main vient de trouver l’ouverture de la blouse, deux doigts se faufilent jusqu’à l’élastique de l’imperceptible culotte et s’y suspendent pour la faire glisser. Elle commence à s’énerver du fouinouzet, Chantal. Etre chargée par une gonzesse, commak en pleine discussion, devant tout le monde, avec ma pomme matant très fort, au premier plan, ça la perturbe, la trouble, l’enchante.

Le Daron poursuit :

— Ça a été pourtant un excellent préfet de police, ce Jaume. Un homme énergique, intransigeant. Comment s’est-il fourvoyé dans un pareille aventure ? Je suppose que cette démarche correspond à une philosophie plus ou moins politique. Peut-être aussi s’est-il laissé convaincre par sa fille, une sorte d’aventurière moderne du nom de…

— Lucette Clabote ! banderillé-je en souriant.

Là, il explose :

— Ah ! bien, parfait ! Ça aussi ? Vous savez tout alors ?

— Je pense beaucoup, monsieur le directeur, y compris quand je me trouve dans le coma.

— Si vous savez tout, mon vieux, il est superflu que je m’esquinte le tempérament !

— Je devine plus ou moins, ajouté-je, mais de là à savoir

— Eh bien, que l’inspecteur Blanc vous mette au courant, moi je m’assieds !

— Pourquoi Blanc ? s’indigne Bérurier. J’sus t’aussi bien capab’ d’espliquer à Sana l’pourquoi du comment du bidule, patron.

Achille, furax, lance avec véhémence :

— Pourquoi Blanc ? Mais mon pauvre Bérurier, parce que Blanc a beau être noir, il possède dix fois plus de vocabulaire que vous qui aurez fait votre carrière avec deux cents mots (et pas des plus riches), deux poings d’assommeur et un sexe de cheval !

Le Gros regarde en direction de Violette, humilié de cette cruelle sortie. Mais la rousse contractuelle n’y a pas pris garde, car elle a enfin glissé ses deux doigts dans la fente de Chantal, en sifflet de voyou, tu sais ? Et la jolie infirmière dodeline des meules, et se met à dire « oui » du bas-ventre. Le Mastar constate la chose et sourit.

— Elle est incorrigeable, me dit-il avec un clin d’œil polisson.

Jérémie, désigné pour être le barde de l’affaire Riquebon, s’avance et s’accoude au montant sud de mon lit de douleurs.

— Cet institut a été fondé par la femme de ton copain avec des fonds occultes. Il fonctionnait parfaitement, l’ancien rugbyman ayant de réelles qualités d’administrateur. C’est une maison dite sérieuse, mais qui offre la particularité de traiter parfois certaines personnes de telle manière que celles-ci décèdent peu de temps après leur cure. La chose est très habilement conduite et, depuis plusieurs années, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cette fois-ci, l’opération a été importante. Elle pouvait compromettre la réputation, que dis-je, l’existence de l’institut. Mais la somme versée pour son accomplissement était si forte que le jeu en valait la chandelle.

— L’assassinat de Richard Nixon ? soupiré-je.

Jérémie secoue la tête.

— Que nenni, mon ami. Nixon n’était pas en cause et personne ne lui a tiré dessus. On s’est seulement servi de sa venue à Riquebon pour camoufler l’opération. Il s’agissait de donner à croire qu’on en voulait à sa personne, pour abattre d’autres gens. En somme, la version officielle qu’ils escomptaient, c’était : « Un commando terroriste a voulu supprimer Nixon. Il l’a raté, mais hélas cinq autres personnes ont péri. » Génial, non ?

— Génial ! articulé-je. Et qui sont ces « infortunés » morts accidentellement ?

Jérémie hausse les épaules. Achille se dresse. Reprend la barre :

— Des hommes qui ont joué un rôle important pendant l’Occupation, mon cher. Nous vivons les ultimes soubresauts de la dernière guerre, les extrêmes manifestations de la vengeance. On tue in extremis ceux que la mort va prendre du fait de l’âge. Ce sont les châtiés du dernier instant. Liquidation avant fermeture. Nous aurons vécu une drôle d’époque !

— L’homme est un loup-garou pour l’homme, récite Bérurier pour prouver au Dabuche qu’il possède davantage de culture qu’il ne lui en accorde.

— Comment l’Organisation est-elle parvenue a regrouper à une même période ces curistes promis à l’équarrissage ? reprend le Vieux. Le juge d’instruction qui entendra les époux Clabote et le tueur encore en vie, s’il s’en tire, apportera sans doute la réponse à la question.

— Ce n’est pas très difficile à imaginer, assure Pinaud qui est resté silencieux jusqu’alors. Les gens à abattre ont dû être invités, purement et simplement.

— Probablement, cher Pinaud, admet le dirlo, lequel marque de la considération à César depuis que ce dernier jouit d’une confortable fortune.

— Hhhrrrr, whouaaaa, émet la jolie Chantal que notre dévorante Violette visite à présent d’un troisième doigt admirablement distribué.

Elle gigote contre la contractuelle d’élite et, tout de go, lui roule une pelle ; qu’heureusement ma Félicie n’a d’yeux que pour son grand, sinon je me sentirais gêné.

Jérémie déclare :

— Si l’on y songe bien, l’Organisation a été mise en échec, bien qu’elle ait rempli son « contrat ». Et tu sais à cause de qui, Antoine ?

— Oui, dis-je, à cause d’Ellena Mencini.

— Bravo !

— Oh ! ça, je l’ai compris depuis longtemps.

Bouf ! je me sens mieux, tout à coup. Dopé ! A mon tour, j’ai besoin de jacter. Ordinairement, c’est le gars bibi qui fournit les explications finales, aussi ça me désobligeait de me laisser conter Peau d’Ane par le Vénérable et M. Blanc.

— Une affaire marginale est venue interférer sur l’opération, dis-je. Le fameux constructeur Aldo Morituri est en grosses difficultés et va sauter. Les banques ne le soutiennent plus, on court au dépôt de bilan. Ultime recours : la mamma. Celle-ci est bourrée de fric, mais elle ne veut rien entendre pour casquer. Acculé, Aldo tourne matricide. Il engage, comme dame de compagnie, une dangereuse pétroleuse des Brigades Rouges qui s’est totalement investie dans le crime. Cette fille a pour mission de rendre Morituri orphelin. Mais pour éviter toute équivoque, la chose aura lieu loin de l’Italie : en Bretagne, dans un institut réputé. La Mencini n’a pas plus froid aux yeux qu’elle ne possède de scrupules. Après un rapide examen des lieux, elle ourdit le plan machiavélique suivant…

Je me tais, à bout de forces. De la sueur glacée perle à mon front et j’étouffe.

— Ne parle plus, mon chéri, implore Félicie. Monsieur le directeur, je vous en conjure, dites-lui de ne pas se fatiguer.

Et la perfide d’ajouter :

— Racontez, vous, c’est tellement mieux !

Tu parles qu’il explose du rectum, Chilou ! Rengorge du goitre et de l’anus ! Seulement y a comme un défaut : cette partie drolatique de la fable, il ne la connaît pas.

Il saisit la main de maman, la porte à ses lèvres.

— Mille grâces, chère madame, roucoule le bellâtre, mais je vais laisser dire ce brave Africain ; vous savez, il est peut-être nègre dans son genre, mais il trousse un rapport mieux que quiconque ! Allez-y, mon Blanc !

Heureux de ce jeu de mots imprémédité, il le répète :

— Mont Blanc ! subtil, non ?

Pinuche lui bêle un rire complimenteur qui suffit au bonheur du Vieux.

Jérémie va pour l’ouvrir, mais c’est moi qui parle :

— Je disais que la Mencini fomente une louche mais subtile combinaison. Pour perpétrer son assassinat sans risque, elle va accréditer le fait qu’il y a un tueur dans l’institut, du moins un fou meurtrier. Alors, s’étant travestie en homme, elle électrocute les cinq personnes que nous savons ; ainsi, lorsqu’elle va bousiller sa vieille patronne, il ne s’agira que d’un meurtre de plus du fou.

« Mais ce drame perturbe les projets de l’Organisation, en amenant la police et les médias sur place.

Ça risque de compromettre l’opération prévue. Une tuile, car les conditions qu’on est parvenu à réunir ne seront plus pensables plus tard, en cas d’annulation. C’est alors qu’Alexis Clabote pense à moi. Il est mon copain ; il sait que j’obtiens généralement des résultats positifs au cours de mes enquêtes et ce dans un temps record. Il me fait venir. Comme quoi il est vain de ne prêter qu’aux riches car, pour une fois, je piétine et, très vite, deviens une gêne supplémentaire, d’autant que je fais venir mes collaborateurs les plus éminents. »

Courbettes des éminents évoqués.

— Mon seul côté positif, reprends-je péniblement, c’est d’avoir camouflé le meurtre de la signora Morituri en crise cardiaque de bon aloi. Outre ma personne, ils ont un autre motif d’inquiétude dans le réseau : Moncornard Aristide. Pour une raison que je ne connais pas mais que j’entrevois, le vieux est au courant de ce qui se prépare et se met à avoir la langue trop longue. J’ignore si le juge d’instruction sera à même d’éclaircir ce point, mais je pense que Moncornard faisait partie des commanditaires de l’opération. Il conviendra d’enquêter sur son passé à l’époque de l’Occupation, pour préciser mon hypothèse.

« Maintenant, nos gens sont aux abois. Jaume, qui sur place dirige le commando, décide de faire trucider Moncornard d’abord, et moi tout de suite après, car nous sommes dangereux pour eux. Le décès du vieux par projection d’acide rentre bien dans le schéma d’un fou assassin ; il fait le pendant avec l’électrocution collective. Là, encore, j’ai la complaisance impensable d’écraser le coup pour eux. Seconde aubaine. Ils nous observent à la loupe.

« Lorsque nous enlevons Ellena Mencini, ils comprennent que je me doute de sa culpabilité concernant le meurtre de la vieille signora et décident de mettre le holà. Mes hommes et moi ne devons rien découvrir de positif avant le surlendemain où va avoir lieu le bal. Car tout est paré : Nixon vient faire sa cure, la cabine de projection a été aménagée ; il ne faut plus toucher à rien. Ce salaud de Clabote sait où nous avons conduit la dame de compagnie, et pour cause : il nous a prêté sa villa encore en chantier. Les sbires de Jaume vont la récupérer, la tuent, puis la mettent dans l’auto de Béru, pensant qu’il aura quelque mal à expliquer la présence dans son coffre d’une femme qu’il a kidnappée.

« Maintenant, reste à m’éliminer. Jaume, auquel j’ai fait des confidences à titre professionnel, ne veut pas de ma présence pendant l’exécution générale. Alors les époux Clabote “s’occupent” de ma personne. Le mari complaisant me propose de me faire conduire par sa femme dans un village peu éloigné où je compte interroger la maîtresse de Moncornard. Bien entendu, j’accepte. Un guet-apens est concocté, auquel j’échappe. Le reste… »

— Nous le savons, affirme le Big Boss, sentencieux.

— J’ai oublié de vous dire qu’après le meurtre d’Ellena, ils ont téléphoné à Morituri pour l’avertir que tout était découvert. Le bagnoleur a su que sa ruine et son déshonneur étaient consommés ; il s’est pendu.

Un léger clapotis retentit dans le silence qui suit. C’est Violette qui retire sa main des profondeurs qu’elle explorait. Chantal retrouve progressivement son assiette.

— Je vais lui faire une piqûre, annonce-t-elle en me montrant, mais vous devriez le laisser maintenant, il est exténué.

Moins qu’elle !

Bérurier saisit la dextre de la contractuelle et la porte à ses narines. Il hume voluptueusement.

— Du surfin, apprécie-t-il.

Achille donne le signal de la retraite.

J’interviens pendant que Chantal prépare sa seringue (qu’à charge de revanche un de ces quatre, môme !).

— Monsieur le directeur, dis-je, avant que vous ne vous retiriez, je voudrais vous présenter une requête.

— Je vous suis tout acquis, mon petit ; dites !

— Elle concerne Mlle Violette ici présente. Elle est actuellement contractuelle dans la police parisienne, mais son comportement au cours du coup de main, son courage exemplaire, ses initiatives hardies, ont forcé mon admiration, et je vous demanderais de bien vouloir l’incorporer dans mon équipe. J’ai rarement vu une fille aussi téméraire.

Le Vieux se tourne vers Violette.

— Ah ! vraiment, San-Antonio ?

Violette est rougissante, ce qui aggrave sa rouquinerie.

Béru, ravi, murmure :

— Et puis comme pineuse, monsieur l’direqueur, j’vous la r’commande : un volcan en irruption ! Avec elle, la pipe, feuille de rose, le grelot indonésien, la savonnette mousseuse, c’est de la broutille. Et ell’ vous broute une chatte de copine comme de rien, ce qu’agrémente !

Intéressé, Chilou s’approche et, d’un revers de main caressant, effleure les doudounes paqueteuses de la mère.

— Voyez-vous ça, murmure-t-il, voyez-vous ça, la cachottière ! Bon, eh bien, je vais faire droit à votre requête, mon petit Antoine. Seulement, auparavant vous permettrez que je joue les Pygmalion. On est encore un peu fruste, tout en étant déjà mignonne. Elle va me faire un petit régime, cette exquise. Oh ! rien de grave, ma mignonne, vous allez me perdre dix-huit kilos à tout casser. Et puis on va me teindre ces cheveux, pas vrai ? Carotte, ça se repère de trop loin. Qu’est-ce qu’on peut foutre comme couleur sur cet incendie ? J’y suis : auburn ! Ça fait un peu pute mais c’est préférable à ce Van Gogh, et avec un beau maquillage on enverra la farce ; je la conduirai moi-même chez Carita. Quant aux vêtements, on va faire cadeau de votre garde-robe au Secours National et nous irons vous habiller dans quelques boutiques à la mode : Sakoun, Escada et consorts.

« Vous savez que je vais jouer à la poupée, avec cette gamine ! Elle sait tirer au pistolet, mais sait-elle se servir d’un couvert à poisson ? Hein ? Allez, venez, mon cœur, nous allons commencer une nouvelle vie, vous et moi. Ah ! vous êtes héroïque ! C’est bon, cela, c’est magnifique. Et vous bouffez des chattes pendant qu’on vous… Superbe ! Dites, c’est de la cellulite que j’aperçois au-dessus des mollets ? On va la faire inscrire dans un fitness. Ces petits travers se gomment sans problème. Je ferai de vous une femme-flic pin-up, je vous le garantis. Laissez-vous bien soigner, San-Antonio. Et n’ayez pas peur des séquelles. S’il devait subsister une claudication, eh bien on vous enverrait faire de la rééducation dans un institut qualifié ! A Riquebon, par exemple ! »

Il sort, rajeuni, tenant Violette par la taille.

— J’sais pas si c’s’rait un effet d’mon idée, mais j’croive bien qu’j’l’ai dans l’cul ! soupire tristement Bérurier.

FIN
Загрузка...