EAU — GAZ — ÉLECTRICITÉ

Elle dit :

— A présent, vous changez de côté et vous pédalez avec la jambe droite.

Alors, bon, ils changent de jambe et pédalent comme des cons.

C’en sont.

Et Dalida !

Quatre vieillards fossilisés.

Le tableau !

En maillot et bonnet de bain. Ça fait quatre décharnances blafardes déguisées en têtes de nœuds. Plus maigre qu’eux, y aurait qu’un squelette à jeun. Les os saillent, les ultimes muscles tressaillent, la peau chairdepoulise et bleuit, à macérer dans l’eau.

Ils sont queue leu leu (et queues pendantes) dans une petite piscine cernée d’une main courante à laquelle les quatre ganaches se cramponnent afin de maintenir leur équilibre. Ces gueules ! Des momies ! Le regard creux et désert, la bouche effeuillée et ouverte en grand ; le menton pendant. Quelques tifs blancs s’échappent des bonnets de bain. La flotte et les efforts qu’ils y produisent leur allument de longues morves. Ils sont vermoulus à bloc, essorés complet ; trop vieux pour exister.

Qu’espèrent-ils de ces séances de thalassothérapie, ces mousquetaires du caveau de famille ? Une jouvencerie qui leur assurerait un peu de rab de rab ? Ils s’imaginent en grande fringance au sortir du bain ? Requinqués ? Capables de minoucher une épongeuse de vieux crabes ?

Toujours est-il qu’ils suivent avec docilité les indications de la « physio », une grosse femme qui déblonde de la racine et dont on distingue le slip noir à travers sa blouse blanche. Elle fait un peu de couperose, Mme Vaugirard. Son regard indifférent suit sans passion les ébats des quatre gâtochards. Elle virgule ses directives avec la voix des guides d’autocars :

— Plus droit, le buste, m’sieur Vigouret ! L’interpellé secoue la tête en produisant une onomatopée exprimant l’impuissance.

— Et vous, m’sieur Dubois-Douillet, on lève plus haut le genou !

— J’ai de l’arthrite ! bavoche l’apprenti centenaire.

— C’est pour la combattre que vous devez produire des efforts, m’sieur Dubois-Douillet ! Allons, allons ! On me lève ce genou. Je veux que ma rotule monte au niveau de ma hanche, m’sieur Dubois-Douillet !

La ganache, vexée d’être apostrophée devant ses petits camarades, tire son pif en bec de mainate et lâche des vents de noroît qui viennent éclater à la surface de l’eau. Ces gaz font rigoler les autres. Quatre petits garçons qui tous ont vu bâtir la tour Eiffel !

Et puis voilà qu’une nana du genre fouine à lunettes avec des traces de crayon-bille aux mains entrouvre la porte.

— Solange ! Téléphone !

Mme Vaugirard est pas joyce car, à l’institut, on « déconseille » aux employés les communications téléphoniques personnelles ; surtout pendant les heures de prestations.

La grosse qui déblondit dit à ses podagres :

— Continuez ! Je reviens tout de suite.

Elle sort précipitamment. Tu parles que les ancêtres en profitent pour s’offrir un petit coup de relâche. Les gens sont pas logiques. Ils casquent des fortunes pour se payer des séances de ceci-cela et ne perdent pas une occase de tirer au flanc.

Mais voilà une arrivée intempestive. Un homme en bleu de travail, avec une veste de cuir, malgré la chaleur suffocante qui règne dans l’établissement, et un bonnet de laine. Bronzé, grosse moustache, lunettes. Il tient un câble qu’il déroule en marchant et dont une extrémité est restée à l’extérieur. Il va jusqu’au bassin où barbotent les quatre vieux canards déplumés, et lance dans la flotte ce qui reste du rouleau. Qu’à peine il a exécuté ce geste, le voilà reparti. Dans la piscaille, les quatre anciens héros de la quatorze-dix-huit contorsionnent comme des perdus, foudroyés par la décharge de 240 volts. Ils sont nazés complet lorsque Mme Vaugirard radine, moins de cinq minutes plus tard.

— Oh ! mon Dieu ! elle égosille.

Terre-neuvate dans l’âme, elle se lance en blouse dans la sauce pour tenter de sauver ce qui est sauvable, et déguste sa part de frissons.

Elle était mère de deux enfants, mariée à l’adjoint au maire du pays, et la maîtresse de M. Bourladon, le chef de la comptabilité de l’établissement.

Une perte !

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