Je donnerais volontiers dix ans de ta vie pour explorer les lieux à fond, mais hélas je dois m’évacuer vers des contrées moins houleuses.
J’emprunte l’ascenseur jusqu’au sous-sol afin d’éviter le gardien. Une fois là, me mets en quête d’une issue de secours. Les Ricains sont gens trop organisés pour ne pas en avoir prévu. Je la dégauchis sans mal et me retrouve dans une voie secondaire.
D’une allure de promeneur, je rejoins l’artère principale. Y a rassemblement sur la voie publique ! Des cops en uniforme s’affairent autour de débris calcinés que je tente de « déchiffrer ». De la fumée noire ! Des tôles enchevêtrées ! Un serpent agonique continue de convulser dans les décombres ! Dantesque ! D’autant que j’avise un corps humain couvert de neige carbonique, dispensée par des tomobilistes compatissants.
Avisant un Noir en blouson blanc, je le questionne.
Cécolle me transmet ce qu’il sait : comme il arrive fréquemment aux U.S., un python est tombé de l’immeuble, écrasant le capot d’une voiture appartenant au Daily Red Indian. Le véhicule a pris feu. Son conducteur est mort.
Beau boulot en vérité ! J’aurais mieux fait de rester devant mon Dubonnet-cassis. Lâchement, je joue cassos et vais rejoindre mon oreiller. L’Amérique me pompe l’air : elle est pleine d’Américains !
La dorme, enfin ! Pas franche et réparatrice, plutôt un sommeil lourdoche de poivrot, et cependant je n’ai rien éclusé. Me sens environné de dangers perfides. Roupille d’homme traqué, de celles qu’on voit au ciné. Tu sais, le trimardeur exténué, réfugié dans une grange et qu’une petite fille à tresses blondes découvre en venant chercher des œufs au poulailler. Subsistent dans mon anéantissement des flashes peu réjouissants : la secrétaire de police, zinguée de première dans son logis ; le boa en folie disparaissant dans les abysses de la ville ; les restes du mec de presse…
Par moments, c’est le spectre de Pinuche qui me joue Hamlet.
Ma pomme, dans ce bigntz ?
La petite voisine de Dolores m’a vu entrer chez la morte. Fera-t-elle de moi une description conforme à ma réalité ? En tout cas, le gardien de l’immeuble où crèche Liebling ne ratera pas mon signalement. Ils ont l’œil exercé, ces cerbères de maisons huppées. C’est pourquoi, très bientôt et sans doute avant, on va venir toquer à ma chambre…
Tiens ! Que te disais-je ?
Boum, boum, boum !
Regard à ma montre. Cinq heures dix-huit !
Les coups reprenant, je saute, sans escale, du lit dans mon slip, en maugréant :
— Oui, oui, j’arrive !
Et de dégager le système de fermeture. Qu’à peine je gire la poignée, ma lourde est violemment poussée de l’extérieur. Je dois pas être stable sur mes fumerons car je tombe assis sur mon cul aristocratique. Une tornade de poils me submerge, une langue dégoulinante et large comme une tranche de Bayonne me lèche goulûment, telle la grande Daphné, en Angleterre. Elle composait un ravissant bouquet de mariée en réunissant dans ses deux mains ma bite et mes roustons, qu’elle savourait avec frénésie, la chérie !
Là, c’est pas une nière qui me déguste, mais mon indéfectible Salami, survolté par nos retrouvailles. Il émet des gémissements de bonheur, mon bébé ; gambade sur place, kif un bourrin au dressage. Le bonheur de me retrouver lui fait enfin perdre sa retenue coutumière.
— Cher compagnon, lui dis-je, vos démonstrations de joie constituent pour moi un baume qui arrive à point nommé !
Ayant proféré, je saisis M. Blanc par le cou pour une accolade sans guillemets. Doux instants d’une euphorie sédative dont mon âme en peine se repaît[6].
Et puis, voici venir mes confidences.
Jérémie m’écoute ardemment, presque solennellement. Il vient de traverser l’Atlantique exprès pour ça. Alors, comme on perce une poche de pus consécutive à une déconne cellulaire, je me vide de mes tourments, déboires et autres échecs. Évacue toutes les saloperies : la disparition de la Pine, la mort sur ce lit même des sœurs broutées, la fugue des épouses frivoles, le prestidigitateur cocufieux, l’incident du maudit serpent, mes démêlés avec la Police et le meurtre de la jolie secrétaire… Tout, quoi !
D’énoncer ces abominations à voix haute me donne la mesure de leur caractère follement dramatique. Dis : il y a va un peu fort, le « malin » ! On peut pas croire qu’il se produise tant d’embrouilles dans un laps de temps aussi bref !
Le All-black suit mon récit, la bouche ouverte. Entre les deux gants de boxe rouges lui servant de lèvres, on voit sa langue charnue sur un lit de mousse plutôt gerbante. Ses énormes lotos, plus grands que les phares d’une Panhard-Levassor des années 20, ont une fixité anormale ; Salami m’écoute aussi, l’air grave, l’occiput proéminent.
Quand je me tais, Jérémie murmure :
— Tu me racontes « Les Derniers mystères de Las Vegas » !
— En quelque sorte, conviens-je. Je suis pris dans un sale remous, Grand Primate ! Comparées à lui, les chutes du Zambèze font songer à un pissat de sénateur.
— Tu penses que les archers vont t’alpaguer ?
— Tu ferais quoi, toi, à leur place, face à un type qui se trouve partout où a lieu un turbin de force cinq sur l’échelle de Richter ?
— Si tu leur jouais rip ?
— Je t’avoue que l’idée m’a effleuré, mais pour quoi faire ? Déclencher un patacaisse du diable et foutre ma carrière en l’air ?
— Tu devrais au moins te planquer quelque part dans le pays, en attendant une embellie !
— À quoi bon ? Non, le meilleur parti à adopter est de faire front.
— Qu’en dit le Gros ?
— La trahison de sa Baleine l’a cisaillé, il n’est plus qu’un vieux rafiot qui prend l’eau.
— L’expression est plaisante, concernant Béru. Pourquoi est-il sonné ? Ce n’est pas la première fois que Berthe met les adjas avec un autre gusman ?
— Oui, mais c’est la première fois qu’elle joue la matrone-de-l’air avec un Adonis. En comparaison de ce magicien, Julio Iglésias ressemble à l’un des nains de Blanche-Neige ! En outre, Berthe a révélé à son con-joint qu’il était zéro pour la lonche, à côté de lui !
Mon black pote claque des doigts.
— Bon, assez jacté, on va se mettre en quête de César, pour commencer.
— Maintenant ? effaré-je. Tu viens de te cogner douze heures d’avion !
— Nous avons dormi pendant le vol, Salami et moi. Il ronflait si fort que l’hôtesse m’a fait part des doléances des passagers. J’avais pu lui éviter le voyage en soute vu qu’il n’y avait presque personne en first…
Avant de nous décanter, j’emmène mon bon toutou dans l’apparte du Débris. Des chaussettes retirées d’un sac à linge sale lui permettent de recharger ses batteries olfactives. Il hume longuement un maillot de corps, un slip comportant le cachet de la poste, ainsi qu’un paquet de Gitanes.
Puis nous reprenons l’enquête à zéro !