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Ils ressemblaient à des mouettes exténuées sur un rocher, chacune piétinant un mètre carré de moquette sans se décider à prendre son envol. La Pinaude se montrait plus désemparée qu’un gardien de prison devant la perte de ses clés. Elle regardait alentour d’un air angoissé et, because une ancienne opération de l’anus, lâchait des chapelets de vents menus, pareils à ceux libérés à la messe par ces vieilles religieuses bourrées de féculents, lesquels sont connus sous le nom de « pets-de-nonne ».

Les Béru ne valaient guère mieux. Une profonde détresse se lisait sur leurs trognes vultueuses. Les States semblaient peu leur convenir. Ils gardaient un mutisme auquel je n’étais guère habitué. Pourtant, en me voyant, les trois lancèrent un même cri :

— Alors ?

— César a dû se perdre dans les coulisses, dis-je. Il aura emprunté une sortie de secours débouchant sur l’avenue de derrière et ne s’est pas retrouvé. Rentrons à l’hôtel, il ne tardera pas à nous rejoindre.

Nous fîmes ainsi. Notre palace étant proche, nous y allâmes pédérastement. Nous nous déplacions par deux : le Gros et la Pinaudière devant, Berthe-au-Gros-Cul et moi derrière. L’énorme salope se cramponnait à mon bras comme un peigneur de plafond à son pinceau. Soudain, elle murmura :

— Faut qu’ je vais vous faire une confidence, Antoine : j’ croive qu’ c’ magicien m’a envoûtée.

— Qu’entendez-vous par là, ma très chère Berthe ?

— Depuis qu’ je l’aye vu, il m’obscène. L’a dû m’ j’ter un flirt amoureux. Si j’ vous dirais, pour n’ rien vous cacher : je mouille de penser à lui. Vous voudriez vérifier ?

— Non, non, refusai-je, je vous fais confiance.

— C’est l’ plus bel homme dont j’ai jamais rencontré, Antoine. Y m’ passerait sa langue dans l’ train, j’ crillerais d’ bonheur.

Ces confidences meublèrent le chemin du retour. Nous arrivâmes à l’hôtel pour constater l’absence de la Guenille. Je te passe les larmes de la loufeuse. Dans l’émotion ambiante, Béru joignait ses pets aux siens pour un duo de flageolets absolument poignant.

À force de promesses fallacieuses et de paroles sédatives, je parvins à envoyer la dame coucouche-panier. Berthe la borda (je dirais volontiers : la bordella) et lui brancha un film porno, production de charme, extrêmement réussie, représentant Cléopâtre VII se laissant brouter la moniche par César. Du coup, la rombiasse en oublia son César à elle, et de son médium sec, activa un clito qui l’était davantage.

Je pris congé de mes légionnaires, leur assurai que j’allais m’occuper de cette troublante affaire et gagnai ma chambre où j’ôtai : veston, cravetouze et tarbouis. Me servis un double bourbon-Coca et le bus, englouti entre les bras d’un fauteuil aussi profond qu’une pensée de Bernard-Henry Lévy.

Je me consacris au mystère pinulcien, envisageant calmement les différentes hypothèses générées par sa disparition. Puis, l’éclairage tamisé et la boisson m’enrôlèrent dans un sommeil de bonne qualité.


Le ronfleur du bigophone m’arracha à cette félicité. Je saisis l’appareil bleu à incrustations de nacre. Un concierge à l’accent anglais m’informa que les demoiselles Morgan étaient à ma disposition.

— Faites-les monter, enjoignis-je.

Elles furent là en moins de temps qu’il n’en faut à un surdoué pour apprendre les langues orientales. Fraîches et pimpantes, un beau sourire auquel on venait de passer la troisième couche incitait à la lubricité.

Je les fêtis comme il convenait, non sans avoir réintégré mes souliers.

À les contempler, assises l’une à côté de l’autre sur un canapé de bambou, on s’apercevait qu’elles étaient sœurs, non pas jumelles mais séparées seulement par une pincée d’années.

L’aînée se nommait Marika, la cadette Maud afin, sans doute, de les doter des mêmes initiales. Leurs lèvres s’entrouvraient sur des perles éclatantes. J’eusse aimé que Miss Bitoune s’en fasse un collier. Cet espoir n’était pas insensé si on s’en référait à leur air fripon.

Je préparai des cocktails de mon invention dont la teneur en alcool se montrait largement supérieure à celle d’un yaourt Bifidus Actif. Elles le trouvèrent si tellement bon que je dus leur en confectionner seize à la suite. Elles tenaient bien le coup et ne déraillaient point. Je mis la badinerie sur le prince de la magie, mais elles changèrent de converse illico dard-dard subito. Visiblement, il s’agissait d’un sujet tabou. Je n’insistas point, sachant qu’il est sot de vouloir extraire des renseignements de quelqu’un décidé à la boucler, quand on n’a pas l’opportunité de lui effeuiller la denture avec un marteau de savetier ou de lui carrer un manche de pioche dans l’œil-de-bronze. Je mis fin au bavardage en les lutinant à la française, méthode préférable à toutes les autres. Je m’activis avec un bonheur à tout casser ; j’adore pratiquer deux filles simultanément. L’exercice contraint à des prouesses stimulantes, pleines de créativité.

Je les entrepris de si belle façon qu’elles en perdirent tour à tour : leurs chaussures, leur culotte, leur jupe, leur chemisier, leur soutien-loloches en dentelle noire, leur sens des convenances et leur lien de parenté.

Ce fut une séance assez hard dans le genre, avec sécrétions à discrétion, pâmeries répétitives, initiatives outrancières, gamahuchages forcenés, arrêts sur image, branleries à cinq mains, coup-franc dans le rond central, tirs au but Chantilly. Pour la première fois de ma tumultueuse existence dépravée de bonnes intentions, j’eus droit à un double mâchage de roustons : Marika m’engouffra la balloche droite tandis que Maud se contentait de la gauche, qui est d’un diamètre légèrement inférieur à sa jumelle. Ce fut là un très fort moment de ma vie sexuelle, laquelle serait presque aussi intense que mon activité cérébrale si je lui consacrais davantage de temps ; mais chez moi, l’âme prime la chair et j’ai connu des orgasmes spirituels, en priant, plus capiteux que ceux auxquels j’accède en tringlant. Comme quoi les desseins du Seigneur sont impénétrables, eux !

Ce doublé à mes valseuses accrut mon plaisir. Jugeant ma délivrance imminente, je crus opportun d’en avertir ces dames afin qu’elles prissent leurs dispositions concernant la répartition des bénéfices. La plupart des femmes (parmi celles que je fréquente) ont la saine habitude de ne rien laisser perdre de mes excédents de bagages. Je craignais que leur dualisme les incite à des politesses au moment crucial, au risque de faire capoter mon panard, chose détestable entre toutes. Pour parer au danger, je pris les devants et désignas ma réceptrice universelle, en l’occurrence l’aînée, me basant sur cet élémentaire raisonnement : plus on a de la bouteille, mieux on sait la vider. Touchée par ce legs inattendu, l’admirable partenaire m’emboucha séance tenante cependant que sa gentille sœur, peu rancunière, me pétrissait les bourses comme le boulanger de jadis son levain.

Ces efforts conjugués eurent raison de ma réticence opposée par pure coquetterie et je me défis avec brio de quelques millilitres d’une semence de haute qualité qui, mieux ciblée, aurait pu devenir président d’un tribunal de haute instance, ou chef de clinique d’un hôpital parisien.

L’intense jouissance en résultant fut de brève durée. À peine ma partenaire achevait-elle de savourer mon ultime spasme qu’il s’opéra dans la chambre un remue-ménage silencieux, si je puis dire. Je perçus quatre détonations étouffées, un cri escamoté et une plainte rauque. Le bruit sec d’un porte refermée conclut ce chapelet sonore.

Je constatis alors avec horreur et stupeur que la tronche de ma douce pompeuse venait d’éclater sur mon bas-ventre. J’avais le bide, le paf et les cuisses rouges de sang. Légèrement en retrait, la jeune frangine dégustait sa dose également et sa boîte crânienne bâillait kif le couvercle d’une chope à bière bavaroise.

Tout autre que ton San-Antonio joli aurait jailli du lit, gueulé au charron, accompli mille conneries dictées par l’affolement. Ma Pomme ? Que nenni, mon z’ami ! Une minute d’intense réflexion, puis j’ai attrapé mon babillard avec précaution.

Une souris gazouilleuse m’a répondu.

— Vous avez un détective attaché à l’hôtel ? lui ai-je demandé.

— Certainement.

— Alors dites-lui de grimper au vingtième étage, chambre 2 001. Qu’il se munisse d’un passe car la porte est fermée.

Ensuite je laissis retomber l’appareil et me mis à réfléchir comme la galerie des Glaces.

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