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En vertu de quoi, je lui raconte très à fond mon odyssée depuis ma déposition à l’hôtel de police, sans rien lui celer : mon rendez-vous manqué avec Dolores, les frasques de nos dames, mon altercation avec Gulliver, ma visite chez Liebling et mes démêlés avec le serpent, la venue de M. Blanc et du chien, l’exploration dans les cintres du music-hall, la curieuse trajectoire de Pinaud (le kidnappé semant ses boutons de manchettes), l’ours blanc, enfin, trouvé mort au fond du conduit.

La triste fin du plantigrade vedette le fait tiquer plus que le reste.

— Voilà un magicien qui n’a pas de chance avec ses animaux savants, résume-t-il.

— Vous le connaissez ?

— C’est une célébrité : il fait courir les foules. Il y a même ici un zoo fameux qui porte son nom.

— Le Gladiateur jouit-il d’une bonne réputation ?

— L’établissement par lui-même, oui.

Je flaire une réticence.

— Mais ? insisté-je.

— Celle de son propriétaire est plus contestable : Nello Manzoni a appartenu à la pègre avant de se ranger des voitures.

— Je ne crois pas beaucoup à la rédemption des truands, dis-je ; elle n’intervient que lorsqu’ils sont gâteux, s’ils vivent assez longtemps pour le devenir.

Mon terlocuteur approuve.

— J’ai demandé votre curriculum à notre ambassade de Paris. Vous êtes un super-flic, là-bas.

— Ça se raconte dans les chaumières, en effet.

— Efficacité à cent pour cent, grâce à l’emploi de méthodes pas toujours orthodoxes. Courageux, téméraire, homme d’esprit…

— N’en jetez plus ! Je connais le reste.

L’œil valide exprime une certaine bienveillance. Drôle de gus, ce Kesselring ; m’est avis que son passé ne doit pas être triste. C’est pas en jouant aux quilles qu’il s’est fignolé ce physique hiroshimiesque !

Mon camarade yankee conclut :

— Vous m’avez l’air d’une grosse pointure. Je suis tout disposé à vous apporter mon concours, car ici les choses ne se passent sûrement pas comme chez vous.

— Merci, fais-je avec sincérité.

Il me tend la pogne. Je constate qu’il lui manque l’auriculaire de la main droite. Peut-être s’est-il trop curé l’oreille ?

— Mon prénom est Ray ! annonce-t-il.

— Le mien : Antoine !

On s’en triture neuf et on se quitte après qu’il m’a donné son numéro de portable.

* * *

Avant d’aller me toiler, je passe par l’appartement du Gros. Il est vide, mais l’odeur du Monstre y stagne encore, terriblement « physique » et présente.

Un feuillet blanc, souillé de ce qui lui tient lieu d’écriture, repose sur la moquette : J’sus t’été briffer et faire un peu d’enquête. Sandre.

Brave homme ! Cher cocu boulimique ! Que le Tout-Puissant te garde sous Sa protection.


Au plus fort de mon sommeil, dont la masse spécifique est 207,21 et la densité 11,3, je suis réveillé par des grattements à la porte.

What is it ? questionné-je, d’un ton plus voile que la roué d’une voiture d’enfant réutilisée par un clodo.

— Mouah mouah ! répond Salami.

D’humeur fulmigène, je lui ouvre.

Il est assis dans le couloir, l’une de ses pattounes posée sur une délicieuse petite culotte jaune, sertie de dentelle noire.

M’apercevant, il se dresse, cueille délicatement le sous-vêtement entre ses incisives et me l’apporte en dirigeant la Cinquième de Beethoven avec sa queue.

Je suis aussitôt prêt à prendre le relais, tant son trophée est affriolant.

— Où avez-vous trouvé cette merveille, mon royal ami ? lui demandé-je.

Il cligne de l’œil et, d’un court hochement de tête m’invite à l’accompagner.

— Un instant, dis-je, je dois passer une tenue décente.

Avec promptitude, j’enfile ma robe de chambre (en attendant mieux), mes mules vernies aux semelles cardinalices.

Ces dispositions express ne m’ont pas pris deux minutes, cela n’empêche pas mon hound de perdre patience et de me jouer de la truffe de Pan.

Nous voici dans un couloir long comme l’avenue de la Grande-Armée. Zébulon trace à toute vibure avec, toujours, l’affolant slip dans la bouche. Je connais la fantaisie de mon gaillard, mais juge son comportement plutôt singulier. Quelle croisade entreprend-il ? Où me drive ce satané quadrupède ?

Le galant stoppe devant une large porte à deux battants située dans la partie de l’hôtel cataloguée « super-luxe », lui valant les deux vantaux.

Mon cicérone jappouille sur un air convenu ; une superbe Noire vêtue en femme de chambre, à la jupe plus courte qu’une prestation de serment, dépone en nous montrant simultanément l’émail de ses dents et les poils de sa chatte.

— Mais oui, qu’il a bien fait la commission, ce chéri ! gazouille-t-elle.

Puis, à moi :

— Vous possédez là un chien exceptionnel ! Figurez-vous qu’il a suivi Mademoiselle jusqu’ici. Il est entré avec elle et, une fois au salon, a hardé comme un fou. Mademoiselle, vous allez voir, est une personne très portée sur le sexe. Devant la frénésie de l’animal, elle a ôté sa culotte et cet exquis basset s’est mis en devoir de la minoucher d’une langue extraordinairement experte. Aux dires de ma patronne, aucun humain, homme ou femme, ne lui a procuré autant de plaisir dans cette savoureuse discipline. Cela dit, je cours vous annoncer.

Et elle nous laisse en faisant voleter sa jupette plissée.

Je me tourne vers Salami :

— Vous en faites de belles !

Il baisse la tête et ses oreilles composent un O’cédar sur le plancher.

— Je ne veux pas me laisser aller à une scène de jalousie, reprends-je ; je vous l’ai signifié en son temps, la zoophilie me répugne et me révolte. M’imagineriez-vous « pratiquant » une chienne afghane ou me faisant laper par un bouvier des Flandres ?

Agacé par mon sermon, il se lèche les roustons, exercice peu courant chez l’individu non contorsionniste.

La jolie Noire réapparaît.

— Vous pouvez entrer ! annonce-t-elle, claironnante.

Puis baissant le ton, elle chuchote :

— Vous me paraissez étranger, alors sans doute l’ignorez-vous : Mademoiselle est la fille de Jo Morton, le plus grand propriétaire des jeux de Vegas, familièrement connu sous le sobriquet de Lucky Love.

— Beau parti ! apprécié-je, et je pénètre dans le toril.

Sa petite culotte jaune à dentelle noire se montrait trompeuse. Elle casse pas trois testicules à un escargot, la Miss, et possède davantage de carats que toutes les vitrines Cartier réunies. Pour introduire sa poitrine dans son soutien-gorge, elle utilise une balayette à crins durs et une pelle à charbon. Le nez crochu, style Polichinelle, le menton qui part à sa rencontre, la bouche en arc-de-cercle, les baffles haute fidélité, la peau du ventre à festons et la moule aussi consistante qu’un chewing-gum sous ta semelle, telle est la Vénus honorée par mon intrépide Salami.

— Compliments pour ton Prix de Diane, marronné-je en m’avançant. Tu l’as levée au colombarium où elle attendait son tour ?

— Hello ! Hello ! minaude la vieille bricole en ponctuant l’accueil d’un geste mutin.

Elle est entièrement nue, si l’on excepte un anneau d’or à la cheville et un rectangle de sparadrap, à l’avant-bras.

Le salon est vaste, délicieusement meublé Louis XIV, ce qui fait plus intime. Elle prend place entre les bras tentaculaires d’un fauteuil sur le siège duquel se dresse un godemiché mobile qu’elle happe de sa vénérable chaglatte. Me désigne un trône identique, mais non équipé de bilboquet.

— Je vous ai demandé de venir pour vous parler de votre merveilleux basset, attaque de but en blanc le « Fantôme de l’Opéra ».

Je ne marque pas davantage de réaction que le zouave de l’Alma lorsque la Queen Bernadette Première passe sur son pont.

La vioque ne semble point trop affectée par ma réserve.

— Combien ? abrupte-t-elle en écartant l’une de ses mammelles qui lui chatouillait le nombril.

— Pardon ? ébaubis-je.

— Je veux vous acheter votre chien.

— À condition qu’il soit à vendre, madame !

— Dix mille dollars ! tranche la tarderie.

— Mes amis n’ont pas de prix ! assuré-je. Vous me proposeriez un million de dollars, je refuserais ! Cela dit, si l’intéressé vous préfère comme maîtresse, libre à lui, je m’inclinerais et ne vous demanderais pas un cent !

Ce ferme langage répand la désolation sur le portrait craquelé de la dame aux sens débridés.

— Salami ! interpellé-je, souhaitez-vous me quitter pour partager l’existence de cette exquise personne ?

Le hound a une forme de rictus. Ses babines retroussées laissent voir sa langue violacée sur un flot de salive mousseuse.

— Je vous trouve répugnant, poursuis-je, sentant croître en moi colère et dégoût. Vous choisissez les partenaires féminines les plus effroyables, comme cette énorme Teutonne dont vous bouffâtes la minouche naguère, en Belgique.

Bien entendu, je m’exprime en français pour n’être pas compris de notre hôtesse.

Le médor lubrique me toise avec aigreur. Je lis ses pensées qui me disent à peu près ceci :

— Sombre idiot, vous croyez que lorsqu’on est chien, et basset de surcroît, on peut prétendre brouter Miss Univers ? Vous savez bien que les humaines qui nous sont accessibles se recrutent chez les tarderies à la limite du possible. Heureusement, nous avons une dilection pour la venaison, le faisandé, voire la charogne. Ces pétasses qui vous flanquent la gerbe attisent notre sexualité. Entre Mlle Ophélie Winter et la vénérable reine Mary, nous n’hésitons pas : l’ex-souveraine a notre préférence.

« Des miens ancêtres ont subi de puissantes érections devant les photographies de Mme Golda Meir ou de Mère Teresa. Si bien que cette dame dévêtue, jugée impraticable selon vos critères, est terriblement excitante pour moi. Ce sexe fané vous déprime, mais m’embrase au plus haut point. Voyez comme sa posture dans le fauteuil fait décrire à sa chatte le signe de l’infini. Il vous donne des haut-le-cœur, mais me met en bandaison. »

— En ce cas, régalez-vous, mon vieux et, accessoirement, allez vous faire foutre !

M’étant incliné devant la momie sans bandelettes, je gagne la sortie.

La Noirpiote au cul nu m’intercepte dans l’anti-chambre.

— Vous partez déjà ? déplore-t-elle.

— Ma présence est sans objet, jeté-je.

— Vous croyez ? articule-t-elle d’une voix rauque en plaquant son bas-ventre contre ma couleuvrine.

D’un geste automatique, je porte ma dextre à son crépu.

— Ma fille, lui dis-je, vous êtes une grande pécheresse ; espérez-vous prendre ainsi le chemin de la rédemption ?

— Non, convient-elle ; mais je n’ai jamais voulu l’emprunter !

Cette personne étant lascive et dépourvue de rhumatismes, je lui interprète « l’Enfilée d’Austerlitz » au pas lent des sapeurs de l’Empereur Poléon.

C’est fatigant mais ça paie !

* * *

Retour dans ma carrée, exténué mais inmécontent de moi. Chaque coup tiré, je ne cesse de le répéter, se capitalise. Pour ma part, je préfère placer du foutre que du pognon ; ce n’est pas une garantie pour l’avenir, mais ça conserve le cœur en fête.

Un petit toilettage à Mistress Bistougnette et je réintègre mon lit. Juste comme on cigogne ma lourde. Quoizencore !

Je vais te le dire, Casimir.

Mon hound, derechef.

Un peu penaud, la menteuse en traîne de mariée, un sourire désenchanté sur les babines.

— Il s’agit d’un come-back ou d’un simple salut en passant ? demandé-je.

Monsieur Toutou, en guise de réponse, vient lécher mes pinceaux.

— Faute regrettée est entièrement pardonnée, assuré-je.

Je me pieute enfin pour de bon, du moins je l’espère.

Salami me rejoint après plusieurs sauts infructueux, et s’allonge au pied du pucier, contrit mais heureux. Il forme un traversin de poils au fond de ma couche.

Avant d’en concasser, j’évoque ses aventures sexuelles. Qu’est-ce que j’en ai à branler qu’une vioque se fasse gober le frifri par mon basset ? Un jour le Soleil s’éteindra et la Terre sera devenue un tas de cailloux. J’en cause souvent avec Albert ; on aime à envisager le futur des futurs, lui et moi. On est toujours du même avis parce qu’on n’est pas cons ensemble. Ça crée des super-liens.

Un jour, je te parlerai de lui.

Fatalement.

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