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Une sensation de chaleur ; de cruelles lancées dans le carafon. Putain ce que j’encaisse ! Comme si l’on m’avait posé une scie circulaire sur la nuque en guise de compresse.

Et puis une nouvelle odeur, reconnaissable entre toutes : ça pue le chien mouillé.

Achève de cohérer du bulbe. Je me dis : Salami ! Essaie d’avancer la main en direction de ma rotonde. Vsoum ! Un coup de panoche sur le dos de ma dextre ! Tu penses qu’il leur met le raminagrobis en folie avec une bavarde de cette superficie ! Quand il gloupe une gonzesse, lui couvre toutes les perforations sud d’une seule lampée !

Mon mouvement prouvant ma réanimerie, il jappe d’aise.

— Brave toutou ! soupiré-je-t-il.

La turbine emballée sous ma coiffe tourne avec plus de mesure. J’efforce de m’asseoir. Y parviens sans trop de mal. La tête du cador est contre la mienne. Il sent l’ouverture de la chasse et la course au lièvre à travers champs.

Je clos mes yeux d’archange. Le son des luths faiblit.

Second exercice périlleux : m’agenouiller.

J’avise le cadavre de Kesselring sur le tapis réalisé d’après un carton de Miró (Bolant de son nom de code). « Ils » se sont acharnés sur sa dépouille et ont achevé de le dévaster, passant et repassant sur lui avec leurs engins. Complètement disloqué, tuméfié de la tronche aux papattes. Fallait-il qu’ils le haïssassent pour le broyer ainsi !

Tout est serein à présent. Les oiseaux pépient, les insectes font entendre leur bruit d’élytres. Les levrettes de la propriété voisine émettent de brefs hurlements. Sentent-elles la proximité de la mort ou celle de mon chien à la bistougnette traînante ? Les deux, peut-être.

Et si je prenais des nouvelles de ma moitié d’hôtesse ?

En me déplaçant, je passe devant un miroir vénitien. Il n’a pas échappé au vandalisme des motards, mais un lambeau de glace est resté fiché dans le cadre. J’y mire le ci-devant beau gosse nommé San-Antonio. Ce déchet ! Vache déperdition au plan sex-appeal ! Déjà, la bombe, chez Manzoni, avait passablement bricolé mon physique avantageux, mais alors là, je ressemble davantage à un vieux chaudron cabossé dans une décharge publique, qu’à un séducteur semi-professionnel. Une coupure traverse ma gueule de l’oreille gauche au tarbouif. Ma lèvre supérieure est violette, plus dilatée que les testicules d’un frimeur s’offrant une orchite double, et l’une de mes paupières pend comme un store lyonnais aux ficelles emmêlées.

Informé de mon nouveau look, je vais à l’éjambée. Pas clamsée, mais tu dirais un petit mammifère traqué. Sa poitrine se soulève et s’abaisse à une vitesse folle. Son regard plein d’horreur est exorbité. Elle tremble de la tête aux moignons.

— Vous ont-ils tiré dessus ? je lui demande tout bas.

Ne répond pas. Cette gonzesse semble avoir perdu les pédales. Mais qu’en ferait-elle, dans son état ?

— Madame Kesselring, balbutié-je… Laissez-moi vous examiner, je voudrais voir si vous êtes blessée.

Son hébétude a quelque chose de désespérant. Un être humain pareillement « diminué », si tu me passes l’expression, qui, prise à la lettre (je ne puis dire au pied de la lettre) pourrait passer pour l’une de mes incessantes calembredaines, est insoutenable.

M’accroupis, moi tout sanglant, devant elle, toute égarée.

Non : rien ! Les deux vandales l’ont épargnée.

Ils en avaient seulement à son mec. Par contre, elle est traumatisée. Tu penses qu’une ravissante fille qui va se faire volontairement sectionner les guibolles par un train, est fragilisée du bulbe, non ? Alors, ce sac[9] de son salon et le meurtre horrible de son époux, ont dû lui tournebouler complètement les méninges, à la jolie chérie !

Terrible, comme il y a des êtres marqués par le destin ! Des maudits, des pas-de-bol, des forçats de la scoumoune.

Je prends ses mains dans les miennes, lui transmettre un peu de mon énergie. Mais elle ne réagit pas. Elle est dolente. Pire : ailleurs.

Allons, Tonio, ne te laisse pas terrasser par la misère d’autrui. Tu as toujours été un homme fort, tu te dois, et tu dois à des millions de lecteurs, de le rester.

Dans une pièce contiguë au livinge, est le bureau privé du chef de la Police. Cette crèche a beau constituer son domicile personnel, because les fonctions de son proprio, elle comprend un agencement permettant de garder le contact avec la maison mère. Le temps de m’y repérer, je suis en liaison avec celle-ci.

Je demande à m’entretenir avec l’adjoint de Kesselring. Bien sûr, je dois parlementer ; mais quand je leur dis de m’appeler à la campagne du boss, tout s’arrange et je finis par obtenir un certain capitaine B.B. Fricotein dont je subodore l’énormité à l’encombrement de sa respiration. Quelques mots en anglais dévoyé lui font piger qu’un fait d’une exceptionnelle gravité vient de se produire et qu’il doit amener son gros cul de toute urgerie chez son chef. N’ai plus qu’à attendre.


Il a été con, Pinuche, de nous proposer ce voyage aux Zétasunis. Ne le répéterai jamais assez !

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