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C’est beau, la passion.

En revoyant Salami, la vioque qui en est follement amoureuse fond en larmes, tombe à genoux devant lui et presse sa bonne tête contre une poitrine dévastée par les ans.

— Tu es revenu, mon bijou, mon amour, mon superbe amant ! pâme le Catafalque. Je t’attendais, car je sentais que nous ne pouvions exister l’un sans l’autre, chéri. La vie nous a réunis et ne nous séparera plus. Je t’épouserai à Reno où tous les mariages sont possibles. Puis nous irons couler des jours ensoleillés et des nuits garnies de pleine lune dans ma propriété de Miami, aux pelouses émaillées d’orchidées. Nous aurons une vaste couche et tu dormiras la truffe dans mon sexe, n’en retirant ton museau que pour y glisser ta langue magique.

« Oh ! lape-moi, de grâce, mon Indicible ! Afin de marquer notre union, je t’offrirai un collier d’or de chez Tiffany and Co. Te ferai confectionner un manteau de cachemire en prévision de l’hiver, et les jours sans caviar, tu mangeras du foie gras. »

Ce discours enflammé alimente mon incrédulité.

Je suis de plus en plus convaincu que Salami sourit. Ses babines se retroussent et ses yeux toujours si graves s’emplissent d’une ironie de vieux sage écoutant déconner les générations nouvelles.

Maintenant, passons aux choses concrètes.

Question du lecteur (excellente) :

— Pourquoi te trouves-tu chez cette désaxée en compagnie de ton clébard ?

Réponse de l’interpellé :

— Parce que je viens de voir une certaine photo dans le journal.

Interrogation légitime du lecteur, beaucoup moins con qu’il n’en a l’air :

— De quoi s’agit-il ?

La franchise postale et proverbiale de l’illustre moi-même est spontanée.

— D’un article à la une sur la reprise du trust Manzoni par Jo Morton, dit Lucky Love, le principal propriétaire des jeux de Las Vegas. Voilà une succession rudement menée ! Bien digne des States.

Tout était préparé d’avance ; on n’attendait plus que le décès de l’Italo-Ricain pour signer la cession. Cela s’appelle passer des actes à l’acte (notarié).

Je laisse l’étrange couple se pourlécher et pars en quête de l’aimable femme de chambre qui m’accueillit si divinement lors de ma précédente visite.

Ne la trouve point.

Mon musardage me conduit dans une pièce chichement meublée comme l’est une chambre de malade : un lit à une place, dûment « appareillé » et un fauteuil chromé. L’unique fenêtre est pourvue de rideaux hermétiques.

Dans le plumard gît un homme terriblement âgé, équipé d’un goutte-à-goutte. Il ne possède plus que des touffes disparates de cheveux blancs, ses rides font songer à une vue aérienne de la Beauce au moment des labours, son regard proéminent ressemble à une boule blanche de billard sciée en deux.

M’approche.

— Hello ! je lui lance en grande allégresse.

Il pousse un vagissement.

Interloqué, je le visionne au plus près et une abasourdisance m’envahit.

Ce fossile, tu sais quoi, Benoît ?

C’est Jo Morton dont je viens de voir la gueule dans le baveux. Oui : le papa de la future épouse de Salami !

Pour piger ce bigntz, crois-moi, faut pas avoir de la sécrétion de gastéropodes à la place du bulbe !

Les cannes molles, je dépose le bas de mon dos dans le fauteuil. Je savais qu’aux U.S.A. il se passait des choses extravagantes, mais là je suis prêt à donner ma langue à la première chatte proprette rencontrée.

De quoi s’épiler le sous-bras pour se confectionner une brosse à dents !

Comment ! Nello Manzoni, l’un des manitous de la haute pègre est tué d’une langouste piégée apportée par son collaborateur et, illico, l’empereur du jeu de Vegas accapare son héritage !

Je décide d’interviewer le mec en question, vais voir sa fille (qui est un peu ma bru) pour lui demander de m’organiser une rencontre avec lui. Tout d’un coup, le ciel me choit sur la cafetière ! Je trouve le potentat gâteux, incapable d’acheter un paquet de Camel au tabac du coin !

Bien ! songé-je en me remettant sur pied d’une détente. J’en ai vu d’autres ; j’en verrai de pires ! Alors, comme le hurlent les réalisateurs hollywoodiens au moment de tourner :

— Action !

* * *

Permettez-moi maintenant de vous narrer une scène très pénible que les esprits chagrins supporteront probablement très mal. Si je vous la livre, c’est parce que, inscrit sur les listes du Voyage Sans Retour, j’opte de plus en plus résolument pour la vie foiridondeuse. Le sang est plus épais que l’eau, prétendait mon confrère William Shakespeare, je compléterai en assurant que le foutre est plus épais que le sang (le mien, du moins).

Or donc, après cette manière de préambule déambulateur, te révélerai-je un fait outrancier. Rejoignant mon hôtesse et mon chien au salon, je les trouve emmêlés d’étrange façon. Tu as dû « visionner », dans des films « X » dont la télévision régale les miséreux instincts de ses clients, une dame agenouillée en train d’endosser un chibre au porteur plus gros qu’une matraque de C.R.S. ?

La position impliquée est appelée « levrette » par les catéchèses et les grands veneurs. Dans le cas présent, elle ne saurait être mieux indiquée.

J’ai déjà mentionné avec force, ma répugnance pour ces étreintes contre nature ; je tourne résolument le dos au monstrueux couple et me dirige vers le téléphone.

Lorsqu’il apprend que son french pote le biniouse, il lâche tout pour répondre, B.B. Fricotein. Un gentil, dans le fond !

Je tiens à sa dispose une affaire nouvelle, lui expliqué-je, laquelle, à n’en pas douter, va faire un boucan du diable. S’ajoutant au cas de son auxiliaire félon, il n’a pas fini d’être sous les flashes de l’actualité. Il aura droit aux plus hautes récompenses, ce rénovateur de la Rousse lasvéguienne, c’est couru d’avance.

Je l’entends boucler son ceinturon et se ruer à l’extérieur.

Dans sa précipitation, il lâche une louise, ou alors c’est le cuir de son baudrier qui craque.

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