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Cette trouvaille jette un éclairage nouveau sur l’affaire, comme disait la princesse Melon Larby qui aurait mieux fait de prendre le métro.

Elle prouve que la Vieillasse est venue dans les hauteurs du théâtre. Non qu’il se soit fourvoyé, mais parce qu’on l’y a conduit. En sortant par la porte « des artistes », quelqu’un l’a obligé aussitôt à emprunter l’accès destiné aux machinos.

Dans quel but ? Mystère ! En tout cas, son ou ses ravisseurs ont jugé le moment opportun pour l’entoiler. Pépère se trouvait provisoirement seul et à l’écart de la foule : on n’a pas laissé passer l’occase.

Qu’a-t-on fait de la Guenille, ensuite ? On l’aura gardé au chaud jusqu’à ce que l’établissement soit totalement vidé, et embarqué plus tard dans un lieu plus propice à une détention…

J’en discute avec le sombre Jéjé.

— Ces « américaneries » ne me disent rien qui vaille, maugrée mon Mâchuré. Pour qui, la séquestration, ou la neutralisation de Pinaud, présenterait-elle un intérêt ?

— Je n’en sais foutre rien ! réponds-je. Peut-être César a-t-il surpris un secret lors de sa présence dans les coulisses ?

— C’est possible.

Je glisse le bouton de manchette dans ma poche à briquet.

— Un élément positif, enchaîne White Snow : c’est bel et bien une personne du music-hall qui s’est emparée de lui !

— Probable, en effet.

— Le magicien ?

— Pas directement, car à l’instant du rapt, Liebling signait des autographes dans le hall.

Toujours prudent, Salami s’éloigne au maximum du vide et longe la corniche en reniflant. Nous le suivons sans bruit pour ne pas le déconcentrer. Il hume les cordages enroulés sur des chevalets de bois, s’arrête devant des panières d’osier avec son petit gémissement d’impatience.

M. Blanchâtre dispose d’une loupiote de fouille dont la lumière crue troue la pénombre.

Cheminant à pas comptés, nous atteignons l’extrémité de la plate-forme et obliquons. La galerie de béton n’est plus très longue, passé l’angle. Elle cesse quelques mètres plus loin, en formant un balcon hérissé de projecteurs. Vaguement rassuré par un surcroît de largeur, Salami se livre à une inspection acharnée. Ses plaintes sporadiques reprennent.

Tout à coup, il gratte le sol et saisit entre ses incisives une chose qu’il vient déposer devant mes tarbouis : le deuxième bouton de manchette de notre ami.

Cette fois je pige : proprement kidnappé, mon bien cher fumeur de Gitanes maïs a joué les Petit Poucets en semant des objets personnels.

Je désigne la trouvaille à Jérémie. Il opine. Tu penses qu’il est sur ma longueur d’onde, le Barbouillé !

— Il a laissé des traces à ton intention, chuchote-t-il. Il savait que tu fouinasserais partout !

— Mais pourquoi abandonner son autre bouton au bout de la galerie puisqu’on ne peut aller plus loin ?

— Il y a fatalement une réponse à ta question, rêvasse Jérémie, ces jumelles lui servaient de munitions. Il ne les a pas gâchées en pure perte.

Un long instant passe sur nos réflexions. Salami rompt la méditation tripartite en me fourrant sa truffe dans le couloir aux lentilles.

— Que voulez-vous ? demandé-je, importuné.

Il se place face au mur, comme s’il voulait désigner une chose intéressante. Je regarde cette interminable falaise de béton. Une théorie de câbles arrimés à des arceaux d’acier scellés composent une harpe muette.

Le génial cador se retourne pour cligner de l’œil.

— Êtes-vous en train de m’indiquer, irremplaçable Salami, que notre vieil ami a été descendu par le truchement d’une corde, d’une poulie et d’une corbeille ?

Il lâche une foutrée de salive au bout de sa langue longue comme ces cornes à chaussures permettant aux ventripolents de ne pas se baisser.

— Et vous seriez capable, reprends-je, de retrouver celle qui servit à cette singulière opération ?

Goguenard, il se dresse laborieusement sur ses postérieurs pour, du pif, me signaler l’un des cordages.

— Si vous ne commettez pas d’erreur, vous êtes singulièrement fortiche ! admiré-je.

L’une des extrémités du lien en question se termine par un crochet que bloque la poulie. Je m’apprête à tirer dessus lorsque mon auxiliaire poilu s’interpose en touchant mon mollet (j’en possède deux, tu peux choisir).

— Autre chose à me montrer ? questionné-je.

— Ouah !

— Quoi donc ?

Cette fois, le génie canin colle sa truffe sur le ciment.

— Je ne comprends pas, avoué-je.

— Moi, si ! déclare mon frangin des savanes.

De son index ressemblant à un « Mars », il me désigne une plaque de fer mesurant un mètre sur deux, encastrée dans le sol.

— Ouah ! ouah ! approuve joyeusement mister Hound.

Un anneau est fixé à la trappe. Jérémie s’en saisit et tire dessus. Nous découvrons que cette plaque constitue en réalité la fermeture d’un conduit.

— Passe-moi ta lampe ! dis-je au All-black.

Il.

Le faisceau plonge dans un trou plus sombre que l’oigne de mon pote. Nous ne voyons rien d’autre, seulement du néant (car c’est à cela que ressemble le noir traversé par un rai lumineux).

— Nous ne sommes pas plus avancés, fais-je-t-il.

Alors, il se passe un fait méritant d’être signalé à l’attention de la foule grouillante de mes lecteurs tant idôlatrés !

Salami, encore lui, se prend à hurler à la mort. Tu connais ? T’as déjà vu des chiens pointer leur museau sur la Voie lactée, fermer les yeux et moduler une interminable plainte trémolesque ?

C’est très impressionnant. Te voilà avec du funeste dans l’âme. Mauvais présage, disaient les gens de la campagne avant l’invention de la télévision ; depuis lors, ils regardent téléfoot au lieu de s’intéresser aux cris de leurs toutous.

Je tente d’endiguer le solo de mon clebs :

— Arrêtez votre sérénade ; s’il y a encore du personnel d’entretien à bord de ce putain de vaisseau, il va vous entendre !

Mais tu peux toujours l’exhorter, Bédiglasse, c’est viscéral chez lui, ce hurlement. Ça lui part des entrailles.

Le gars Jéjé, dit « l’Intrépide », tu sais ce qu’il est en train de concocter ? Il a saisi le bout de la corde muni d’un crochet et se l’assujettit autour de la poitrine.

— Quoi ! Tu vas descendre dans ce trou ?

— Si tu as la force de me déshaler, ça me paraît tout à fait indispensable.

— Tu es plus lourd que moi ! objecté-je.

— Mais beaucoup plus souple. À cinq ans, j’escaladais déjà des cocotiers de trente mètres ! Tu y es ?


C’est vrai qu’il est souple, ce primate ! Pas besoin de m’arc-bouter : je le sens à peine, tant il racle de ses semelles les parois du conduit.

Le rouleau de corde de perd de l’embonpoint.

Temps à autre, je demande :

— Ça boume ?

— Au poil !

La lumière de sa lampe se dilue dans de la crème de suie.

— T’es encore loin du terminus ? crié-je. Je vais arriver au bout de la ficelle.

— Plus qu’un ou deux mètres ! annonce l’Échodes-savanes. Surtout, ajoute-t-il, ne lâche pas, sinon je ne pourrais plus remonter !

Je comprends sa crainte, aussi dès que la tension cesse, me hâté-je de fixer la corde restante à l’anneau de la trappe.

— Quelles sont les nouvelles du Sud ? m’enquiers-je.

— Sois pas pressé, mec ! Laisse-moi le temps de faire le point !

Résigné, je m’assieds au bord de l’ouverture, les jambes dans le vide.

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