Mon amitié avec le professeur Tsourès prit fin d’une manière inattendue. Un jour, alors que je l’attendais ainsi sur son palier rayonnant de sympathie, il sortit de l’ascenseur et se dirigea tout droit vers son logis. Je me tenais comme d’habitude un peu à l’écart, le sourire aux lèvres. Je souris beaucoup, j’ai une disposition pour ça, une disposition heureuse. Le professeur prit la clef dans sa poche et, pour la première fois depuis que nous nous fréquentions, il rompit le silence qui s’était établi entre nous.

Il se tourna vers moi et me regarda d’une manière qui indiquait bien qu’il était de mauvaise humeur.

— Écoutez, monsieur, dit-il. Ça fait un mois que je vous trouve presque tous les soirs devant ma porte. J’ai horreur des emmerdeurs. De quoi s’agit-il ? Vous avez quelque chose à me dire ?

Remarquez, j’ai trouvé un truc. Ça a duré ce que ça a duré, mais l’institut des Aveugles me fut d’un grand secours. Tous les soirs, après le travail, je m’y rendais, et je me postais à l’entrée. Vers sept heures, les aveugles commencent à sortir. Avec un peu de chance, je réussissais à m’emparer de six ou sept et à les aider à traverser la rue. On m’objectera qu’aider un aveugle à traverser la rue, ce n’est pas grand-chose, mais c’est toujours ça de pris. En général, les aveugles sont très gentils et aimables, à cause de tout ce qu’ils n’ont pas vu dans la vie. J’en prenais un sous le bras, on traversait, toute la circulation s’arrêtait, on faisait attention à nous. On échangeait quelques mots souriants. Et puis un jour je suis tombé sur un aveugle qui n’était pas diminué du tout. Je l’avais déjà aidé plusieurs fois et il me connaissait. Par une belle après-midi de printemps, je l’ai vu sortir, je courus vers lui et je le pris sous le bras. Je ne sais pas comment il a su que c’était moi, mais il m’a reconnu tout de suite.

— Foutez-moi la paix ! gueula-t-il. Allez faire vos besoins ailleurs !

Et puis il a levé sa canne et il a traversé tout seul. Le lendemain, il a dû me signaler à tous ses copains, parce qu’il n’y en avait pas un qui acceptait de me tenir compagnie. Je comprends très bien que les aveugles ont leur fierté, mais pourquoi refuser d’aider un peu les autres à vivre ?

Je ne sais quelle forme prendra la fin de l’impossible, mais je vous assure que dans notre état actuel avec ordre des choses, ça manque de caresses.

Les savants soviétiques croient d’ailleurs que l’humanité existe et qu’elle nous envoie des messages radios à travers le cosmos.

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