Il fait nuit et je le dis comme je le pense enroulé intérieurement en moi-même là où ça chante avec danses populaires, flûtes, coquelicots et sourires d’amitié. Dans le noir, on peut se permettre. On disait jadis que les murs ont des oreilles qui vous écoutent, mais ce n’est pas vrai, les murs s’en foutent complètement, ils sont là, c’est tout. On vous conseille de vous mettre bien avec eux. Seule Mlle Dreyfus pourrait venir faire la récolte des fruits et les empêcher de pourrir sur pied, j’ai lu dans le journal qu’il y a des personnes qui sont restées trente-six heures ensemble dans un ascenseur qui est tombé en panne, si cela pouvait nous arriver. Une panne, une vraie, pourrait nous permettre de nous libérer des voies circulatoires à sens unique et obligatoire et de nous rencontrer. L’idée même m’est venue de saboter astucieusement l’ascenseur pour qu’il tombe en panne ; mais on ne peut pas le faire quand on est enfermé dedans et que ça marche, il faudrait des complicités. J’ai même pensé à demander au garçon de bureau une aide extérieure, mais je n’ai pas osé car je suis sûr et certain qu’il a des activités subversives.

Je suis donc couché, écoutant mon émetteur clandestin, c’est un de ces moments où il me semble que je vais me lever, aller vers moi, me prendre dans mes bras et que je vais m’endormir ainsi dans le creux de la main.

Finalement, pas plus bête qu’un autre, je me contente, je me lève, je vais chercher Gros-Câlin dans son fauteuil et il se coule autour de moi et me serre très fort dans un but affectif.

J’avais Blondine au creux de ma main et Gros-Câlin me tenait bien au chaud également, car il y a des possibilités.

Mais une nuit, alors que nous dormions ainsi tous les trois sécurisés, un véritable triomphe contre nature, avec tout ce que cela ouvre comme perspectives, horizons et fin de l’impossible, il se produisit un drame effrayant, dont je fus le témoin impuissant dans mon sommeil. J’avais dû ouvrir ma main, la souris s’est trouvée exposée de tous côtés et Gros-Câlin obéit aussitôt aux lois de la jungle. Ce que put ressentir Blondine, lorsqu’elle fut confrontée avec la gueule ouverte du monstre d’ailleurs invisible dans le noir, mais dont on devine par l’angoisse la présence terrifiante, je le laisse deviner à tous ceux qui sont ainsi livrés à la situation dans laquelle on se trouve. Il n’y a pas de défense possible. Je fus pris d’une telle terreur que je crus pendant quelques instants que j’allais naître, car il est de notoriété que parfois des naissances se produisent sous l’effet de la peur. Il y avait là un conflit intérieur dont on n’a aucune idée, quand on manque de faiblesse nécessaire. Heureusement, lorsque je me suis réveillé, Gros-Câlin et Blondine dormaient paisiblement à leurs places respectives, rien n’était arrivé, c’était seulement moi. Je me suis quand même levé et je suis allé mettre la souris dans sa boîte, mais j’ai eu du mal à m’endormir ainsi avec moi-même.

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