Je pus enfin quitter le café d’un air innocent et vis arriver Mlle Dreyfus à neuf heures pile. Elle me fit un très beau sourire avec ses lèvres et ses muscles faciaux, en entrant dans l’ascenseur. J’étais très ému, car lorsque les amoureux se revoient après la première rencontre dans l’intimité, il y a toujours une certaine gêne, une nervosité compréhensible. C’est la psychologie qui fait ça. Je ne savais même pas si elle avait des parents à Paris et si elle les avait mis au courant. Et il vaut mieux qu’il y ait des choses qui restent timides, qui ne soient jamais dites. Il y a déjà tant de mégots qu’on ramasse sous les pieds des autres.

— Bonjour. Vous nous avez reçus très gentiment samedi.

Là, j’ai été formidable. Je saisis l’occasion en vol et j’ai fait un pas de géant.

— Vous allez parfois au cinéma ? demandai-je.

Comme ça, très décontracté. Il y avait cinq personnes dans l’ascenseur et ça a fait l’effet d’une bombe. Enfin, ça m’a fait l’effet d’une bombe. Les autres faisaient comme si rien n’était. Ils n’avaient pas l’air de comprendre que j’invitais Mlle Dreyfus au cinéma, tout simplement.

— Très rarement. Quand je rentre chez moi, le soir, je suis très fatiguée… le dimanche, je me repose.

Elle me faisait ainsi comprendre que pour moi, elle ferait une exception. Et aussi, qu’elle ne traînait pas dehors mais s’occupait de son intérieur, faisait la cuisine, soignait nos enfants, en attendant mon retour à la maison. J’allais aussi sec lui proposer de sortir ensemble, le dimanche prochain, mais on était arrivé. On s’est retrouvé sur le palier et elle me dit avant de se diriger vers son bureau d’un air plein de sens :

— Vous vivez vraiment très seul.

C’était dans le sac. On ne peut pas être plus clair sur le palier.

— Il faut vraiment se sentir sans personne pour vivre avec un python… Allez, à un de ces jours, peut-être.

Je restai là rayonnant à respirer son parfum. Elle me resourit avant de partir, en écartant les lèvres par une contraction musculaire, et le sourire est resté sur le palier un bon moment, avec le parfum. Je suis arrivé devant mon IBM avec un quart d’heure de retard, j’ai dû demeurer sur le palier un quart d’heure avec son sourire.

Je sentais que les événements se précipitaient et je décidai d’acheter un bouquet de fleurs et de lui faire une surprise. Au lieu d’être en bas devant l’ascenseur, comme tous les jours que Dieu fait, j’allais me placer en haut, sur le palier, et elle allait s’inquiéter, se demandant ce qui m’était arrivé pendant tout le voyage, si j’étais peut-être malade et boum ! elle allait tomber sur moi en sortant, qui l’attendais, un bouquet de violettes à la main, d’où émotion, aveux et banc du Luxembourg en fleurs sous les marronniers.

Загрузка...