7 Chapitre avec de belles funérailles

Rien, je n’ai absolument rien trouvé côté pile ou côté face de la toile sur un dénommé Aigle-noir 157, le vide, le néant.

Alors j’ai décidé de faire autrement, si je ne peux pas trouver le chasseur, je vais me mettre à sa place et traquer sa proie. On ne sait jamais si je trouve, je prends le même chemin que lui pour aller jusqu’à la môme, j’aurai peut-être une chance de le croiser, de le dénicher.

J’y ai passé du temps. Même pas pris de déjeuner, absorbé par mon travail. Va falloir que je me magne, dans une demi-heure je composte un billet retour. Je célèbre des funérailles.

Eh bien malgré toutes ses heures passées derrière l’écran je ne sais rien. Quoique quand je te dis rien, ce n’est pas vrai… En fait lorsque l’on fait des recherches sur les aventures de Martine, on tombe bien évidemment sur l’œuvre de Delahaye, mais il suffit de taper quelques mots clés en supplément et l’on trouve enfin ce que l’on cherche.

J’en ai éclusé du site pour adultes, du site rose, du site échangiste, du site touristique — surtout si tu voyages du côté de l’Aisne —, du site coquin, bref du booster de libido. Certains sont plus glauques et auraient plutôt l’effet inverse. Mais bon, il en faut pour tous les goûts, suffit de voir ta gueule.

Martine y est presque à chaque fois. Soit c’est une annonce qu’elle a elle-même passée afin que tu télécharges ses films, soit c’est un gus qui a chroniqué un opus de sa filmographie.

Oui, comme pour les bouquins et le cinéma classique nous avons des critiques amateurs très mateurs. Là ils ne te décernent pas un César, une étoile, un Molière, ou autre prix Médicis, non, ils ont leurs petits trucs à eux. Il y en a des chouettes : la Biroute d’or ; le Sopalin du mois ; le Boulard de cristal ; le Chibre d’argent etc. Ma nouvelle copine est souvent récompensée, fréquemment imitée, jamais égalée comme disent certains.

Seulement jamais, non jamais on n’y trouve son patronyme ou une indication sur sa localisation, rien, que nibe. Même dans ses tournages en extérieur, rien ne peut orienter vers un lieu précis, aucun indice. Elle le sait qu’elle évolue dans un milieu dangereux où se cachent grand nombre de malades, de pervers et de dangereux.

Deux solutions s’offrent donc à moi : elle connaît le type, il est dans le porno. C’est assez peu probable. Martine bosse avec le moins de monde possible. Voire souvent seule, avec des sex toy’s comme l’on dit maintenant. Elle a pigé que c’est moins dangereux, plus lucratif et que cela excite plus le mâle en rut. Et on n’a jamais vu non plus un godemichet obligé de suivre une trithérapie. Une fois le lieu trouvé elle plante trois ou quatre caméras, règle l’exposition et tout le toutim, met en marche, et fait ce qu’elle a à faire. Ensuite c’est avec les séquences qu’elle a tournées qu’elle fera le montage. C’est sa passion le montage vidéo. C’est pour ça que ses films marchent autant, la fille est canon, elle n’est pas farouche et les images sont chiadées, mon pote, c’est aussi léché que du Resnais, aussi palpitant que du Chabrol, aussi spectaculaire que du Spielberg. Ça vaut le coup d’œil, c’est sûr. Après il y a les acteurs avec qui elle tourne quand elle ne joue pas en solo. Là c’est pareil, vu ce qu’elle m’a expliqué, elle a débuté seule, et quand ça a commencé à marcher, qu’elle rentrait de l’artiche, elle a payé. Madame n’a tourné qu’avec les vedettes mâles du X, cela lui évitait d’une part de tomber sur un dégénéré en mal de sensation se faisant passer pour un hardeur amateur, et d’une autre d’avoir affaire à un bande-mou.

Oui un bande-mou, tu sais le genre de gars qui n’arrive pas à maintenir les couleurs. Tu te dis qu’il faut qu’il soit vraiment con le type ? Parce que la môme Martine elle ferait bander un saint ?

Un saint je ne sais pas, mais un curé c’est certain. Seulement entre goder dans l’intimité, voire à cinq ou six lors d’une partie fine, et devant quatre objectifs de caméra, il y a un pas à franchir, voire un fossé pour les timides du dard.

Pas facile de maintenir la forme quand tu sais que l’on t’observe, et surtout que ce on pourrait être ton patron, ton voisin, ton vieux, ta femme ou ton fils… c’est un métier paraît-il acteur de film X. Et donc Martine ne prend pas de risque, que des types connus et reconnus, bien dans leur tête, et montés avec du calibre de compétition. Peu de chance qu’ils jouent à ce genre de jeu malsain.

Il me reste donc le régional de l’équipe. Le malsain qui mate du porno classique mais qui cherche plus de perversité, de l’interdit, qui bande pour l’illicite comme le chante Higelin.

Un dans ce genre-là qui lors d’un visionnage classique se fout en pâmoison sur la plastique de Martine, et qui par hasard tombe sur elle en allant chercher sa baguette. Celui qui va l’observer en douce afin de savoir si c’est bien elle, ou juste une vague ressemblance, un sosie. Mais non, au bout de quelque temps il réalise que c’est bien son actrice fétiche, il habite dans la même ville qu’elle. Elle n’est pas loin, à portée de main, juste là, alors le monstre fait mûrir une idée en lui, le fantasme absolu. Possible…

Je suis toujours en pleine réflexion lorsque les croque-morts font leur entrée dans l’église, le dos courbé par le poids de la caisse qu’ils ont juchée sur les épaules. Faut dire aussi que la mère Alanis pèse plus du quintal.

Les porteurs me toisent, cela va du regard de cocker, à celui du tueur. Je leur fais signe d’avancer. Ils posent leur fardeau à mes pieds telle une obole, soulagés, mais tristes, dans trois petits quarts d’heure faudra la ressortir Suzette.

Suzette Alanis. Une brave femme. J’ai longuement hésité quand j’ai reçu la famille pour préparer la cérémonie. Ils m’ont dit : « Vous connaissiez mieux la tante que nous, elle était souvent à l’église, on vous fait confiance pour préparer une belle cérémonie ».

Oui, j’ai hésité, hésité à faire l’oraison funèbre avec la vérité, ou à édulcorer. C’est quand j’ai commencé à discuter avec eux et que le grand con à l’air niais m’a dit : Si vous pouviez activer, nous devons prendre rendez-vous chez le notaire que j’ai pris ma décision. Suzette, on va se marrer une dernière fois ensemble…

— Nous sommes réunis en ce jour pour rendre un dernier hommage à Suzette Alanis qui nous a quittés à l’aube de ses quatre-vingt-dix printemps, à l’issue d’une vie bien remplie. Je connaissais bien Suzette, chaque jour ou presque elle illuminait l’église de son sourire. Toujours aimable, fleurissant l’autel, pieuse mais pas bigote, une sainte femme. Seigneur, tu peux en ce jour compter un invité de plus à ta table. Pourtant la vie de Suzette n’a pas été un long fleuve tranquille. Henri, son époux est décédé très jeune, elle ne s’est pas remariée. Suzette voulait rester fidèle à la mémoire de son défunt mari, mœurs d’une autre époque. Pas d’enfant. Juste quelques amies dans sa rue, Suzette était seule, sans aucune famille. Son refuge était la nourriture, elle mangeait son héritage comme elle se plaisait à le dire lorsque je lui disais qu’elle avait un peu forci.

Les copines de Suzette, qui à l’entrée de la boîte à domino s’étaient muées en pleureuses de la belle époque se marrent de concert avec les pingouins de chez Borniol. La famille un peu moins, je dois avouer. Le grand con se lève et, le regard haineux, me lance :

— Monsieur l’abbé, je vous précise que nous sommes les neveux et nièces de madame Alanis, donc sa famille…

Je le toise en souriant, puis reprends mon oraison :

— Non monsieur Crémant, vous devez faire erreur. Vous auriez été de sa famille, vous seriez venu la voir, vous auriez pris de ses nouvelles. Vous auriez été de sa famille, Suzette ne m’aurait pas répété sans cesse : Mon père, mon neveu, Alex Crémant est une vraie merde.

— Vous auriez été de sa famille, Suzette n’aurait pas écrit ce petit mot que je vais vous lire :

Si monsieur le curé lit ces mots, c’est que je suis morte. Que j’ai rejoint le Seigneur et que je suis peut-être au Paradis. Vous mes neveux et nièces, vous devez tous être là, aux premiers rangs, les yeux mouillés. Par de fausses larmes bien sûr. Jamais vous ne m’avez aimée, ou peut-être si, quand je vous signais un chèque.

Là le père Estéban vous saoule, il dit des choses que vous ne voulez pas entendre, puis il est long, c’est une de mes volontés, une longue messe, qui j’espère va vous mettre en retard chez le notaire. Car pingres comme vous êtes, vous avez dû prévoir cela dans la foulée, pour éviter de faire deux fois le voyage.

Je suis morte sans vous, mais pas seule, mes amies ont toujours été là, elles sont formidables, elles sont ma famille, la vraie.

Mes chers neveux et nièces, vous êtes venus pour rien. Ici vous n’avez pas de peine, ni la foi, chez le notaire vous n’aurez rien, tout mon argent ira à des œuvres caritatives. Dieu reconnaîtra les siens dit la Bible, moi je ne vous reconnais plus et je vous emmerde.

Je plie soigneusement la feuille en quatre dans un silence absolu, je regarde le grand con en souriant.

Il tremble, ne me quitte pas des yeux, il n’a qu’une envie : bouffer du curé. Tu n’imagines pas comment cela me plaît. Il hésite, doit-il se lever et m’en mettre une ? Non, il ne bouge pas. Pas encore…

Je termine la cérémonie, l’encens, l’eau bénite. Ils vont bientôt pouvoir défiler devant la dépouille de la pauvre Suzette, marmonner une dernière fois une insulte à son encontre.

Voilà, c’est fait le corbillard s’en va, emmenant ma vieille Suzette, je regagne la Sacristie pour me changer et replonger dans le sac de nœud de cette vidéo.

À peine ai-je viré ma soutane que la porte claque, le grand con est face à moi, son faciès bovin est rouge de colère, je ne l’aurais pas cru aussi courageux. Courageux ou inconscient, va savoir…

— Je n’ai jamais aimé les curetons, jamais ! Alors tu vas manger pour tous les autres !

— Je ne suis pas les autres, c’est ça ton problème.

Il me balance une droite à assommer un bœuf, si, une maousse je te jure, la preuve, il a fendu la porte de l’armoire. J’ai bien fait de l’esquiver, tout comme la seconde. C’est dommage, avoir un punch pareil et ne pas savoir l’utiliser.

Bon ce n’est pas que je m’ennuie, mais j’ai autre chose à faire… Crois-moi, je ne le loupe pas : une prune, une seule, en pleine face, ça craque. Tu sais comme quand tu casses des fagots pour allumer ton barbecue, ben là, ça a craqué sévère.

Il me regarde deux secondes dans les yeux, puis il part à dame, extinction des feux, terminus tout le monde descend.

J’ouvre la porte qui donne sur la rue et traîne le grand couillon jusqu’aux poubelles qui stagnent là. Ça tombe bien, aujourd’hui, ce sont les encombrants que l’on ramasse.

Je passe devant la grande croix, je m’agenouille :

— Je tiens à vous signaler que ce n’est pas moi qui ai commencé, je n’ai fait que me défendre… Et Suzette vous vouait un amour au-dessus de tout, j’espère qu’elle a trouvé une bonne place auprès de vous.

Pas de courant d’air dans les endosses, il n’a pas l’air trop en colère, pourtant la castagne dans l’église, le Vieux n’est pas trop fan.

Je dois avouer que je suis heureux, décocher ce bourre-pif m’a fait un bien fou. Tu ne peux pas imaginer comme je hais ce genre de teigneux, de salopard qui ne vit que pour le pognon, qui se contrefiche de l’humain.

Moi qui avais besoin de me calmer avant de reprendre mes recherches, me voici plus serein.

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