17 Chapitre remise en forme

Mon bolide est garé à pas loin d’une borne, j’ai bien pris soin de choisir un parking où je peux me rendre en passant par diverses ruelles au cas où je doive semer quelqu’un. Ne va surtout pas me prendre pour un gus du genre paranoïaque, non je suis juste un garçon qui prend garde à mettre des bottes quand il s’en va baguenauder dans la merde. Prévoir l’imprévisible mon pote, telle est ma devise. Une fois que tu en fais ta ligne de vie, tu te sens déjà plus en sécurité !

Une fois payée en liquide une carte de 10 séances, la copie de mes faux papelards entrée dans le fichier, et le passage par la case vestiaire, j’ai enfin le droit de pénétrer dans l’antre du narcissisme. Des miroirs installés jusqu’au plafond permettent de voir que ma tenue noire, jaune et orange en polyamide et élasthanne est ultra moulante, et pas voyante du tout ! Mais bon tous les clients sont sapés avec le même mauvais goût, et surtout chacun est occupé à regarder sa propre image dans les glaces.

Faut dire que grimaçant et transpirant dans des fringues on ne peut plus ridicules tu es tout de suite plus sexy. Et je ne te parle pas de tous ceux qui entre deux mouvements posent face à leur téléphone, histoire de montrer par selfie interposé que l’on en chie pour être aussi beau.

Mon choix se porte sur un engin de torture pompeusement baptisé Inferno Presse Fusion Body Perfect. Pourquoi ? D’une, parce que je pige du premier coup le fonctionnement de la bête, j’ai juste à mouvoir mes bras d’athlète, et de deux, parce que grâce aux glaces je peux observer presque tout le monde, et c’est surtout pour ça que je suis là.

Nous ne sommes que cinq dans la salle, trois types et deux nénettes. L’une a l’air d’être là avec son jules, l’autre doit être le coach, vu sa tenue aux couleurs du club.

Une demi-heure que je m’exerce sur la bécane, je dois avouer que cela tire un peu dans les pectoraux, mais je n’ai pas le choix, je ne peux pas rester ici sans rien faire, j’attirerais trop l’attention.

En causant d’attirer les regards, tu verrais la rombière qui s’approche… Une dondon boudinée dans son body fluo choisi deux tailles — voire trois — en dessous. J’ai l’impression de voir une pub pour Michelin, tellement elle empile ses pneus. Cette bonne femme pachydermique porte des bagouses énormes à chaque doigt et des lunettes Cartier surdimensionnées qui lui donnent une tête de mouche à merde.

Elle vaut son pesant de cacahouètes. Je suis obligé de me retenir afin de ne pas m’étouffer de rire quand je la regarde. Non pas que je sois d’un naturel moqueur, mais là, elle cherche. La voilà, prise d’une crise d’égotisme, qui tend le bras bien devant elle, aspire l’intérieur de ses joues afin de paraître dix kilos de moins sur le selfie, et se shoote. Comme si ce geste dérisoire allait effacer dix ans de junk food.

Attends, je t’ai gardé le plus cocasse pour la fin, auparavant elle a pris soin de s’imbiber le front avec l’eau de sa bouteille. Ben, oui tu comprends, elle poste de la salle de gym, donc elle est en plein effort, faut que cela se voie, que ses followers l’encouragent.

Dans quel monde on vit mon biquet ? Je te le demande ? Quand on voit tous ces gens qui n’ont plus comme but dans la vie que le paraître sur la toile, le virtuel.

Bien sûr que moi aussi j’ai un compte Facebook et autres conneries virtuelles. Comme tout le monde, eh oui mon pote même les curés tweetent. Je surfe sur ces réseaux pour ma famille, mes potes, des trucs de ce genre, mais jamais je ne vais te coller des dizaines de statuts à la journée. Certains vont jusqu’à te mettre quand ils s’en vont couler un bronze, histoire que tu t’inquiètes pas s’ils ne postent pas dans les dix minutes qui suivent. Mais si tu as bien fait attention la veille, tu as vu la photo du menu risotto et pain complet, alors tu subodores que le passage aux gogues va durer.

Mais que foutent-ils tous ici ? Ils forcent, ils suent, ils puent, ils font des efforts, juste pour le plaisir de se prendre en photo tous les dix mouvements ! Et ce sont ces mêmes abrutis qui vont te les briser menues avec le respect des libertés individuelles ! Bordel de cornichons que vous êtes, vous vous enchaînez vous-mêmes. Votre téléphone mobile est pire qu’un bracelet électronique de taulard…

Je sais, une fois de plus je m’emporte, je m’égare, excuse-moi, mais certains comportements de mes contemporains m’exaspèrent.

La salle s’est remplie tout doucement, plus d’hommes que de femmes, ça lève de la fonte en poussant des cris de bête, un doux fumet de sueur et de testostérone parfume l’air ambiant.

Cela fait deux heures que je m’esquinte sur ces appareils, quelques femmes sont arrivées, mais en groupe. Celle que je recherche doit être seule, si elle avait rendez-vous avec le grand con, fallait que ce soit un brin discret. C’est aussi une habituée. Les deux solistes que j’ai croisées sont : la coach et la caricature de grosse bourgeoise. Cela ne m’empêche pas d’avoir gravé dans mes rétines les visages de toutes celles qui sont présentes. Je vais revenir demain, et après-demain, à force, je vais bien l’identifier. Puis je ne croule pas non plus sous les pistes, alors autant exploiter celle-ci au maximum.

Afin de ne pas me faire repérer, je n’ai pas fait semblant, et là, tu vois je regrette d’être garé si loin, ça me tire dans les cuisseaux tu ne peux pas imaginer. J’ai décidé de rentrer, encore une heure et je n’avais plus un faux air de Bruce Willis mais je devenais le sosie de monsieur Propre…

Une seule question me taquine la membrane, le boudin de la haute pourrait-il être la patronne du grand con ?

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