19 Chapitre où le curé va à confesse…

J’hésite encore. Que dire et que faire exactement ? J’ai mis les pieds dans un drôle de bourbier. Régis est certes un pote, mais c’est aussi un poulet, et un poulet d’élite. S’il apprend que j’ai dessoudé le grand con, il ne passera pas l’éponge. Va falloir jouer serré. Une fois de plus.

— Ce n’est pas à moi ce truc…

— Non, mais il était non loin du corps, il a dû le perdre dans sa chute.

Bordel que je suis con ! Tu as deviné ? Le 357… J’ai oublié que ce grand con de Crémier m’a tiré dessus avec un Magnum 357… J’ai pensé aux papiers, à l’immatriculation, à sa gueule de bad boy de pacotille, mais je n’ai plus pensé à l’arme. Je ne m’en servirais pas tant, je me boufferais les couilles ! Un débutant sur ce coup-là le Requiem.

— Je vais te dire Estéban, je me fous de savoir si tu es pour quelque chose dans sa mort, au cas où, compte pas sur moi pour te sortir le cul des ronces. Je ne m’occupe pas de l’enquête, donc je te foutrai la paix, en échange tu vas m’en dire un peu plus, parce que rien qu’à ton changement de gueule, je vois que tu n’es pas tranquille.

Vu qu’il soliloque pire qu’un évêque en plein prêche, j’ai eu le temps de préparer ce que j’allais dire ou pas. Je vais lui donner du grain à picorer à mon poulet pour qu’il me foute la paix.

— Je ne t’ai pas tout dit Régis, le fan de Martine dont je t’ai parlé… Il est pas tout seul… Ils voulaient lui faire tourner un drôle de film, un truc bien dégueulasse…

— Dégueulasse comment ?

— Ce qu’il y a de pire, elle a reçu une offre pour tourner dans un film avec des gamins, un porno avec des mioches…

— Putain, mais tu es con ou tu le fais exprès ? Tu tombes sur un réseau pédophile et tu veux te la jouer justicier ?

— Un réseau, tout de suite les grands mots, une bande d’illuminés. Je ne les croyais pas vraiment méchants.

— Non, bien sûr, une actrice porno agrafée au mur comme un hanneton sur une plaque de liège, c’est sûr que les mecs sont gentils, de vrais Bisounours tu me prends vraiment pour le dernier des caves.

— Tu voulais que je te dise quoi ? Je n’ai rien, tu m’entends ? Que dalle, nada, nib, peau d’zob… des messages envoyés via le Darknet, impossible à tracer, une photo bidon de cinq gamins, alors qu’aucune disparition n’est déclarée, voilà tout ce qu’on a. Et j’ai eu la preuve que c’était des méchants comme tu dis seulement lorsque j’ai vu cette pauvre môme défuntée…

Le monstre de la salle de jeu, ça te dit quelque chose Estéban ?

— Non, rien, ça devrait ?

— Pas forcément, il y a deux ans un type contacte la police via l’interface d’un site du ministère. Un lien qui existe pour signaler les sites pédophiles[12]. En surfant sur la toile il avait découvert un salopard, flouté, qui abusait de mômes au beau milieu d’un tas de jouets…

— Le rapport avec mon affaire ?

— 80 % des photos étaient des montages…

— Ce qui sous-entend que les 20 % étaient de vraies photos ?

— On le pense…

— Vous avez serré le type ?

— Non, jamais, le site a disparu. Mais il a dû réapparaître du côté obscur d’Internet. Une véritable plaie ce Darknet…

Et là, je commets une boulette, un truc tout con, je ne sais pas si tu t’es déjà rasé le crâne, ou même les joyeuses, c’est plus fort que toi, faut que tu caresses, que tu passes la pogne sur ta peau imberbe afin d’en apprécier la douceur. C’est ce que je viens de faire, et ça ne passe pas inaperçu. D’un coup il redevient obnubilé par mon nouveau look.

— Et l’autopsie t’a fait flipper à ce point pour que tu changes de tronche ?

— Non, Martine m’avait filé ses identifiants pour que je surveille ses boîtes mails. En rentrant de notre petite séance de charcuterie, j’ai regardé, il y avait un message : Game over pétasse, on avait demandé le silence… tu as hurlé… que Dieu et son serviteur aient ton âme.

— Et ça t’a foutu les foies, ce simple message ? Merde tu vieillis Estéban, je t’ai connu plus téméraire.

Dans la vie je préfère passer pour un con, plutôt que de trop l’ouvrir et de me mettre en danger. Bien sûr je me doute que Régis flaire du louche, mais je sais que mon excuse tient la route. Rigole pas, toi te connaissant tu te serais déjà extradé au Boukistan. Alors je ne vais pas plus loin dans la confidence, pas besoin de lui dire ce que j’ai reçu après, ce que je soupçonne. Je t’ai dit, ces enculés-là, c’est pour moi, personnel comme on dit, c’est ma tournée.

— On va dire que ce que j’ai vu me fait penser qu’ils sont vraiment dangereux, alors je ne préfère pas prendre de risque et changer de tête. Car même s’ils ont croisé Martine anonymement sur la toile, ils ont su la retrouver, ils ont su qu’elle avait parlé et ils ont su la tuer, alors je préfère prendre les devants.

— Et tes offices ?

— J’ai téléphoné à l’évêché et prévenu mon équipe pastorale que ma pauvre mère étant au plus mal je devais partir au plus tôt, mais qu’heureusement un ami cénobite me remplacerait.

— Un cénobite ? C’est quoi ?

— Un moine. Les cénobites tranquilles, tu connais pas ?

— T’es trop con…

— Bref je me déguise et je reste dans mon antre, peinard, mais différent physiquement. Tout le monde sait que les curés qui en remplacent d’autres vivent au presbytère, je ne vais pas m’exiler le temps que tu fasses ton boulot non ?

— Tant que tu me laisses le faire tranquille, il n’y a pas de souci… d’ailleurs en parlant de mon boulot, je peux savoir où est ton bolide, j’aurais besoin de le voir ?

Ben tiens, je ne le vois pas s’amener avec ses grandes tartines de clown, à part ça il n’enquête pas sur la mort de l’autre abruti. Qu’est-ce qu’il compte voir sur ma caisse ? Il n’y a rien à voir, le pare-chocs a rien du tout, je l’ai inspecté sous tous les angles. Quant à ma vitre, car ce vieux singe de flicard connaît l’historique de ma guimbarde, elle est nickel. Parce que figure-toi que j’ai pris un chiffon doux imbibé de Hoppe’s № 9© et que je l’ai délicatement passé sur le verre blindé et la carrosserie. Tu ne sais pas ce que c’est ?

C’est le solvant de nettoyage que j’utilise pour mon Désert Eagle. Ce produit miracle élimine efficacement les résidus de plomb, de carbone, de cuivre et de poudre de n’importe quelle arme, sans aucun dommage pour l’acier, l’alu, le plastique ou la peinture. Ça craint rien. Il peut toujours passer ma tire au tamponnoir, il ne trouvera aucun résidu de tir. Je t’ai déjà dit : prévoir l’imprévisible !

Je lui tends un trousseau de clé en prenant l’air déçu, genre mon pote ne me croit pas.

— 148 rue Piacentini, j’ai un box, elle est planquée là-bas, tu penses bien que si je suis repéré je ne vais pas la garer dans la cour. Pourquoi tu veux voir ma caisse ?

— On va dire que je n’enquête pas sur la mort de Crémier, mais je ne voudrais pas me retrouver dans la merde parce que l’une de mes connaissances trempe dans l’affaire, je préfère vérifier.

— J’adore ta confiance… il reste de la bière au frais, si ça te dit d’en descendre une ou deux quand tu la ramèneras. Je ne suis pas rancunier.

Régis est revenu moins d’une heure après, il n’a pas voulu trinquer. Je lui ai demandé ce qu’il en était, si j’étais en état d’arrestation avec un grand sourire. C’est tout juste si je n’ai pas pris les clés en pleine gueule.

— Elle est trop propre ta bagnole, c’est tout juste si elle ne vient pas d’être passée au polish !

— Une voiture de collection Régis, j’en prends soin, n’oublie pas que Bébel a baqué son cul dedans. Souviens-toi de cette mémorable course poursuite dans Le Marginal. Quand tu sais qu’une bagnole a vécu un tournage pareil, t’en prends soin… et toi tu vas t’imaginer des trucs, je te jure…

Il s’est barré sans rien dire. Je le soupçonne de m’en vouloir un max, de me soupçonner d’être bien plus impliqué que je ne le reconnais dans cette histoire. Ce qui est le cas je te le concède, mais bon, c’est entre toi et moi. Si tu cadenasses ta grande gueule, pour une fois, le poulet n’en saura rien. D’avance je te remercie, fidèle lecteur. Oui, je n’écris que pour toi, tu es l’unique, le précieux. C’est pour toi, et toi seul que mon éditeur a fait imprimer ce livre, tu te rends compte à quel point on prend soin de toi ? Je vais te dire, tu n’es plus un lecteur, mais un ami… Allez viens avec moi, on continue, nous allons venger Martine !

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