24 Chapitre où la chance frappe à ma porte, mais pas que…

Régis se ramène avec deux cafés, il a l’air toujours aussi abattu, j’entrevois ma gueule dans le miroir au-dessus du lavabo. Je dois avouer que je ne suis pas mieux que mon pote.

Des cernes sous les yeux et un teint gris, tu croirais que j’ai passé la nuit avec la maquilleuse de Marilyn Manson. En plus j’ai les calots injectés de sang, entre les abus de la veille avec mister Jack et le temps que je viens de passer sur l’écran, je ne t’explique pas les dégâts.

— Alors tu as trouvé quelque chose ?

Je fais quoi ? Aller, je ne vais pas être chien, de toute façon plus on sera à chercher, plus on aura de chance de faire tomber ce fumier et son complice.

— Regarde, j’ai isolé le catcheur et recadré certaines parties de son corps…

— J’avais déjà remarqué cette particularité, mais bon, je ne sais pas si on a déjà chopé un mec grâce à une identification de sa queue ?

Il se marre, moi aussi, cela peut te paraître outrancier, ignoble, pourri, dégueulasse, salaud, les photos de la môme sont là, dans la bécane, et nous on se fend la poire sur une vanne plus que pourrie. C’est un exutoire, l’humour parfois c’est un bouclier. Comme un parapet face aux abysses de la connerie humaine.

— Non, laisse tomber son vilebrequin pour l’instant. Mate un peu, tu vois ? Du fond de teint. Il dissimule ses tatouages, là, c’est un cilice, j’en suis sûr…

— C’est quoi ton truc ? De la silice ?

— Non, un cilice, c’est un gadget de l’Opus Dei, un groupuscule un poil intégriste de chez nous. C’est une chaîne métallique munie de clous que tu serres sur ta jambe, cela pénètre tes chairs. Ça pique bien sa race, c’est pour mortifier et soumettre le corps qu’ils disent les mecs…

— Tu as déjà porté ça toi ?

— T’es con ou quoi ? Un, je ne fais pas partie de l’Opus Dei, deux je me mortifie à l’aide de spiritueux ambrés, je préfère.

— Tu crois que ce mec fait partie de l’Opus machin ?

— Régis… c’est juste un tatouage ! C’est pas un vrai. Ce mec est un cinglé qui doit trouver cela joli. Je ne serais pas étonné par contre que ce pourri en utilise sur certaines de ses victimes.

— Ouais, c’est bien, on sait que le gars a les yeux noirs et qu’il est tatoué, on va vite le mettre en cabane, c’est moi qui te le dis !

— Ne sois pas défaitiste, c’est déjà ça. Pense que tes collègues vont peut-être trouver quelque chose avec la vidéo…

— Je l’espère vraiment, je sais que tu connaissais la petite Rutebeuf, je… je te jure qu’on va les serrer.

J’hésite un instant, une fois de plus, puis merde, il joue le jeu, je dois le jouer aussi.

— Régis, ce type, il me cherche, je suis persuadé que je lui ai donné la communion dimanche…

— La communion ? Rappelle-moi s’il te plaît, l’eucharistie comme vous dites, c’est bien le partage du corps du Christ qui absout les péchés, enfin un truc dans le genre ?

— Fais pas chier…

— Bon sans déconner Estéban, tu prends quelques affaires et tu te tires du presbytère, ça pue ton affaire. Tu vas crécher à l’hôtel en attendant, pas de risque inutile. Ce sont de vrais méchants, on a vu de quoi ils sont capables.

— Tu as raison, allez, je file, je vais ramasser quelques fringues, prendre une piaule et je vais me calmer les nerfs en poussant un peu de fonte, ça va me faire du bien.

Je quitte mon pote et sa gueule de croque-mort et comme le garçon sérieux que je suis, je sinue à travers la ville avant de rejoindre le club de fitness. Bien sûr que je vais me défouler, mais je viens surtout marauder. Souviens-toi que j’ai trouvé la carte de ce club dans les fouilles du grand con, Martine le fréquentait. Et surtout vu la carrure de la poutre de Bamako, il doit faire de la musculation, et pas qu’un peu. Alors je vais croire à mon destin, ou mieux, me dire que le Patron va peut-être se bouger l’étole et me filer un coup de pouce.

J’enfile ma tenue moule-bite et j’entre dans la salle. Plus de peuple que précédemment. La bécane de la dernière fois est prise, je me rabats sur un banc de développé couché, je regarde quand même combien il y a sur les barres, histoire de ne pas avoir l’air trop con à ne pouvoir les soulever.

— Vous avez l’habitude de ce genre d’exercice ?

Je me retourne et vois la nana de la dernière fois, pas le boudin truffé à la bourgeoise, non l’autre, la coach.

— Je m’appelle Cécile, je travaille ici. je suis là pour vous aider à vous entraîner, à ne pas avoir de problème d’où ma question. Un accident est vite arrivé.

— Enchanté Cécile, moi c’est Alix, comme Alix Karol l’as des services secrets du tiers-monde[13]. Pas trop l’habitude de ce genre d’exercices, mais je pratique la musculation depuis pas mal de temps.

— Cela ce voit, vous êtes bien sculpté. Je pense que l’on peut commencer avec vingt kilos de poids, la barre en fait dix, cela vous fait trente en tout. On augmentera ensuite si besoin.

Continue à me dire que je suis bien foutu en me regardant dans les yeux avec les tétons qui pointent et je vais te sculpter un obélisque dans le calcif…

— C’est vous la pro Cécile.

Je m’allonge et écoute les conseils, puis je me mets en mouvement. Ce n’est que trente kilos, mais au bout de vingt-cinq allers-retours, tu les sens passer. Elle reste à côté de moi, me surveille. J’essaie quand même de regarder ce qui se passe autour de moi discrètement.

— Ça va ? On peut augmenter un peu, on passe à quarante ?

— Oui pas de souci…

Là tu vois, je m’en veux, c’est parti plus vite que prévu. C’est de la logorrhée précoce, de l’éjaculat verbal, de la connerie. Pour impressionner, faire le kéké, j’ai dit oui. Déjà que ça commençait à tirer, je vais être ridicule. Pis merde, je ne peux plus dire non maintenant, on verra bien.

Elle dévisse les arrêts, les retire, enfourne un disque de cinq kilos de chaque côté, resserre le tout.

— Allez Alix, faites-moi des merveilles.

Accompagne-moi dans les vestiaires, sous la douche, où tu veux et je vais t’en faire des prouesses, je vais t’en coller des tractions, des extensions, des expulsions, des propulsions, je vais te travailler les fessiers moi. Putain c’est lourd cette merde. Je me concentre, faut penser à autre chose, pas à la douleur dans mes pectoraux, oublier mes bras, regarder ailleurs. Je suis là pour ça en plus.

— Ben alors, on n’a pas la force ?

Bordel de chiérie, heureusement que la miss est là. In extremis elle a rattrapé la barre que j’ai failli me foutre sur la gueule. Un peu plus fini le Requiem, ad patres, retour à la maison mère en voyage express. Le con ! Cécile n’a pas l’air comme ça avec sa carcasse de musaraigne, ses bras aussi épais que des baguettes chinoises, mais elle a sauvé ton curé, mon poteau.

Ne va surtout pas croire que j’ai eu une baisse de tonus, une défaillance, pas de ça chez moi. Tu as vu la bête ? Non c’est simplement que je viens de voir entrer un drôle de zig dans la salle. Quand je disais qu’il fallait que le Vieux me file un coup de piston, ben c’est fait.

Le type a le cheveu gris, taillé ras, tu vois que la gonflette fait partie de sa vie, le moindre de ses muscles est saillant, habitué à bosser. Il est sur une bécane qui doit servir à muscler les cuisses et les mollets. Adossé à la machine, les jambes en l’air, il pousse sur un bloc qui grâce à une poulie entraîne de la fonte. Il a l’air d’en chier. Mais surtout dans l’effort son cuissard remonte, ça y est, tu entraves ?

Tu comprends pourquoi j’ai lâché la barre ? Voilà, il a un cilice tatoué. Je ne vois qu’une ébauche de là où je suis, mais elle aussi est ornée d’un dessin. Une Totenkopf surmontée d’une rune d’Odal, ça en dit lourd sur le guignol. Un double symbole du troisième Reich sur l’épaule, affiché sans honte, faut oser !

— Je ne sais pas ce que j’ai fait Cécile, je ne comprends pas, elle m’a échappé des mains. Merci.

— Je suis là pour ça, mais faites attention. Alix ? Alix vous m’écoutez ?

Je vais te dire, là j’ai dû retomber de cinq à dix points dans son estime. En effet elle m’observe légèrement choquée, faut te dire que moi aussi je suis en mode observateur, le type a fini son exercice et je mate… son entrejambe, non pas que d’un coup je décide de virer ma cuti, c’est simplement que quand tu planques un salami de cinq livres dans ton slip, ça se voit. Je voulais juste être sûr que ce soit bien lui et pas juste un connard de neo-nazi en séance de sport.

— Ne me dites pas que c’est ça qui vous a déconcentré, c’est impressionnant, je vous le concède, mais tout de même Alix…

Là j’ai l’air con, voilà qu’elle me prend pour un amateur de goupillon, non pas que j’ai quelque chose contre mais… Le premier qui me traite d’homophobe prend ma main dans la gueule, type belle entrecôte avec os, y en a un peu plus j’vous le mets quand même ? Non c’est seulement que je préférerais qu’elle ait une image plus hétéro de moi. Même si je n’ai pas les mensurations démentielles du poney humain je me défends quand même coté tirelipimpon…

— Non, je vous dis, un étourdissement, je ne sais pas…

Je ne peux pas l’envoyer paître, cela risquerait de me faire remarquer, et j’envisage un autre avenir avec cette petite, genre étirements approfondis.

Une voix de crécelle retentit dans la salle :

— Cécile, Cécile mon petit, s’il vous plaît !

— Je vais devoir vous laisser Alix, je suis désolée, mais madame la baronne me demande…

Tiens qui voilà ? La pile de pneus embagousée qui se prenait en photos toutes les cinq minutes.

Elle se radine, encore plus tue l’amour que la dernière fois, en roulant du dargeot. C’est un cauchemar. Je te jure qu’elle se prend pour une pin-up. Putain, même chez Olida, ils n’en voudraient pas.

— Qui est cette dame Cécile ? Elle est vraiment noble ?

Elle éclate de rire.

— Elle l’est autant que je suis prix Nobel de physique… c’est une grosse mythomane. Chaque jour elle nous parle d’un nouveau diplôme, d’un nouveau contrat avec tel éditeur, tel scénariste. À l’écouter, elle peint, écrit, recherche, découvre. Mais elle est riche, très riche, et elle lâche beaucoup dans le club où elle joue les stars, et le Patron veut que l’on soit aux petits oignons avec elle, je vais donc vous laisser.

— Moi en tout cas, je vous décernerais bien un Nobel pour votre physique Cécile…

Elle sourit, puis part donnant un joli mouvement de balancier à son arrière-train. Je ne reste pas longtemps hypnotisé par ce spectacle, et cherche du regard mon nazillon à bazooka incorporé. Le type s’est évaporé, c’est bien ma veine.

S’il n’est plus dans la salle, je parierais bien les deniers du culte qu’il y a de fortes chances qu’il soit sous la douche. Je me dirige donc vers les sanitaires réservés aux mâles tout en veillant du coin de l’œil à ce que la petite Cécile ne me voit pas partir derrière l’autre. Je ne voudrais pas qu’elle s’imagine des choses.

J’ai juste le temps de l’apercevoir regagnant le vestiaire. Que faire ? Lui coller au cul telle un rémora ? Je risque d’être repéré. C’est un habitué, il reviendra, moi aussi. Je me dis que je ferais mieux d’essayer de passer une bonne soirée.

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