25 Chapitre qui n’est pas une rechute, mais de l’infiltration…

Je regagne le sanctuaire du muscle, de la forme et de la sueur. J’aurais pu appeler, envoyer un message à Régis pour le tenir informé. J’aurais pu… mais si je peux me garder le gibier de potence juste pour moi, cela ne me déplaira pas. Je sais je te l’ai déjà dit, mais je veux être sûr que tu comprennes tout, alors je m’autorise quelques redondances de temps à autre.

Je prends une machine simple, quand je dis simple c’est d’utilisation, tu attrapes les deux poignées et tu ramènes sur toi, parce que de nom c’est autre chose : Pec-Deck, ça fait plus personnage de manga qu’autre chose.

Une fois encore j’ai choisi un engin avec des miroirs à portée de regard. Non plus pour repérer, mais pour mater. J’ai besoin de me changer les idées, ras la casquette des horreurs. Alors d’un côté je me marre en regardant l’arbre de Noël boudiné faire ses simagrées, j’en suis même à regarder s’il y a des caméras, si ce n’est pas un gag. Ce n’est pas une femme, c’est une caricature : Cruella qui aurait loupé son maquillage.

Le plus agréable est de l’autre côté vois-tu. Cécile aide la baronne de la tronche en biais à faire ses semblants d’exercices. Elle se courbe, se plie, se baisse, bref elle met son cul en valeur, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Cela ne dure pas des heures, la dondon est vite épuisée, elle transpire, c’est l’heure de sa séance d’autoportrait. Je me bidonne sans même me cacher.

— Ce n’est pas beau de se moquer des gens comme ça Alix…

— Excusez-moi Cécile, mais là, elle le cherche non ?

— Je dois avouer que Bérengère est un personnage hors du commun.

— Vous m’avez sauvé la vie Cécile.

— N’exagérons rien Alix, j’ai retenu la barre, j’ai juste fait ce pour quoi je suis payée.

— Non sans vous, j’aurais pris cette fonte sur le crâne, traumatisme, fracture… je reviens de loin…

— Vous en faites un peu trop Alix…

— Je vous suis redevable, c’est certain. Puis-je vous inviter au restaurant ?

— On peut se tutoyer. Tu avais vraiment besoin de tout ce cinéma pour un dîner ?

Je sais, c’est lourd, mais comme tu peux le voir, ce sont encore des techniques qui fonctionnent. Rendez-vous est pris pour vingt et une heures. Je passe la prendre à la fermeture du club. Ne va surtout pas croire que j’invite cette petite juste pour passer du bon temps, tenter d’oublier le voile de tristesse qui recouvre mon cœur tandis que je me morfonds[14]. Non si je la sors ce soir c’est histoire de causer, j’ai remarqué qu’elle connaissait bien ses habitués et qu’elle en parlait facilement. Et comme je me demande si finalement madame Bibendum ne pourrait pas être le cerveau du réseau…

Bon Ok, j’ai réservé au restaurant de l’hôtel où j’ai posé mes bagages, je te le concède. Et alors ? C’est juste que comme ça, je pourrai prendre un ou deux verres, peinard sans avoir à prendre de risque pour ma santé et celle des autres vu que je ne prendrai pas le guidon.

Je dois avouer qu’avec son petit short et son petit haut moulants, Cécile était déjà canon, mais là, elle s’est glissée dans un fourreau de mousseline de soie, avec un décolleté aussi profond que ta connerie. Elle a pris soin d’habiller ses lèvres d’un rouge carmin, ses yeux sont mis en valeur par un mascara couleur de jais. Elle n’est plus seulement canon, elle est carrément bandante. Une véritable vamp.

— Tu es magnifique Cécile.

— Merci Alix, au boulot je suis tout le temps en tenue de sport, alors quand je sors, j’aime être élégante. C’est plus sympa non ?

Ah ben là, pour être sympa, c’est sympa. Je me surprends même à me poser des questions : que porte-t-elle comme dessous ? Sa lingerie est-elle de la même classe que sa robe ? Faut que je me calme, pardon mon Dieu, oui, je sais, je suis là pour trouver les démons qui ont trucidé cette pauvre Martine.

Le serveur dépose le menu, je commande l’apéro. Je dois la jouer doucement, l’amener à parler de son boulot et de ceux qui fréquentent le club. Nous entrons dans le vif du sujet au moment même où le loufiat dépose les verres, un mojito pour elle et un Nikka de vingt et un ans d’âge pour moi. Bordel c’est l’bon Dieu en culotte de velours ce whisky nippon, pardon chef, mais là, c’est…

— Tu dois en voir de drôles dans ton club, rien que la folle-dingue avec ses selfies…

— Bérengère de Mongourdaint est une excentrique. Certes elle est chiante, faut toujours être derrière elle, mais elle rapporte beaucoup au club, et on ne peut pas dire qu’elle use les machines. Elle vit dans un manoir tout près d’ici, le Galion. Elle m’y a déjà invitée, mais j’ai refusé, je me méfie d’elle.

— Faut avoir un sacré caractère pour la supporter.

Quand tu veux des réponses, toujours tu flatteras ton interlocuteur ou toujours tu le frapperas. Voilà les seules techniques d’interrogatoire qui fonctionnent.

— Il y a des métiers bien plus contraignants, tu sais. Le plus drôle ce n’est pas forcément elle, il y a ceux qui fricotent dans les vestiaires ou sous les douches, et quand je te dis fricoter, je reste soft…

— Ils s’envoient en l’air ?

— Voilà tu as tout compris, ça baise sévère dans les clubs de sport, ce sont des chauds-bouillants les fans de fitness, les gens ne se doutent pas.

Dis donc, c’est une avance qu’elle me fait miss cardio ? Elle ne serait pas en train de me proposer de jouer à la bête à deux dos ? Peut-être, mais avant j’aimerais en savoir un peu plus sur certains de ses clients. Elle vient de me tendre une belle perche, si je puis dire.

— C’est pour ça que certains de tes clients se mettent une chaussette dans le calcif ?

— Tu parles du légionnaire ?

— Le légionnaire ? Le type de cet après-midi ?

— Oui, Karl Amelmou, un ancien para. Non, lui je ne l’ai jamais vu parler à quiconque, sauf avec Bérengère. Ils échangent quelques mots. Faut dire qu’elle est sacrément bavarde. Pour en revenir à notre ex-militaire, je ne sais pas si c’est du bidon ou pas, mais je peux te dire que ce qu’il trimballe attire les regards féminins et même parfois masculins…

Elle pouffe la pouffe… oser imaginer des choses pareilles de Requiem, ce n’est plus de la provocation, mais du défi, attends que le repas soit terminé ma belle, et je vais t’en donner moi du cardio-training !

— Bref ton client est monté comme un âne, il pourrait lever de la gazelle en pagaille, mais à ta connaissance, il ne consomme pas.

— Pas au club en tout cas. Faut te dire que le garçon n’est pas des plus sympathiques. Un ancien skinhead à ce que j’ai cru comprendre, je ne sais pas si tu as vu ses tatouages ?

— Oui, j’ai vu, il a des emblèmes nazis, ça à l’air d’être un drôle de zig. Comment tu sais que c’est un ancien de la légion et un facho ? Il pourrait juste avoir ces merdes sur le derme parce qu’il trouve ça beau, il y a des cons dans ce genre-là…

— Parce que, primo, je l’ai déjà vu avec un haut laissant apparaître ses pectoraux. Il a un tatouage avec un crâne sur lequel est écrit Legio Patria Nostra, c’est bien la devise de la légion, non ? J’ai lu ça quelque part.

— Mademoiselle a de la culture, c’est bien. Et secundo ?

— Un jour j’ai entendu la folle-dingue, comme tu l’appelles, discuter avec lui. Ils ne parlaient que de groupuscules d’extrême-droite, de bandes de fachos, de ratonnades. J’ai été surprise, je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait ce genre d’idée.

— Oui, en effet, ce n’est pas un tendre ton client… je ne m’étonne pas que personne n’ose lui adresser la parole, ce n’est pas le genre de connard avec qui l’on aime faire la causette.

— Comme tu dis. Et il ne vient pas là pour ça, c’est une bête, c’est impressionnant ce qu’il lève de fonte. Mais il me fait peur.

— Pourquoi ?

— Toujours en train de te regarder comme s’il te scrutait le fond de l’âme, je n’aime pas ce type. Il me fait froid dans le dos.

Si tu savais ma pauvre chérie, tu t’en méfierais encore plus. Ce type est pire que le choléra, la diphtérie et la peste brune réunies. C’est de la chiasse noire, un phlegmon, de l’anthrax, c’est un monstre, une pourriture, un déchet de l’humanité. Un malade auquel je vais coller une ordonnance et une sévère[15].

Elle a quand même du bol cette petite de ne pas être tombée entre ses pattes. Remarque, buter une coach, ce serait peut-être trop voyant. Bon je vais lâcher la causerie sur le poney, sinon elle va flairer l’embrouille.

— Tiens dis donc, tu sais que si je suis venu au Beauty-Body c’est parce qu’une de mes amies me l’a conseillé.

— Ah bon ? Qui ça ?

— Martine Rutebeuf, ça te parle ?


— Dis donc, t’as de drôles de fréquentations… Elle tourne des vidéos de cul ta copine. Bien sûr que je la connais, elle est sympa comme tout. Mais sinon tu m’as invitée pour un interrogatoire ? Et toi, tu fais quoi dans la vie ? t’es flic ?

— Ah non, pas du tout, je suis juste curieux, j’aime bavarder. Et puis si je pose tout le temps des questions, c’est pour l’inspiration.

— L’inspiration ?

— Oui, je suis romancier, j’écris des polars, alors tu penses bien que des personnages comme ton légionnaire et ta baronne, ça me fascine. D’ailleurs Martine c’est comme ça que je l’ai rencontrée, je cherchais des renseignements pour un livre un peu cochon.

Tu as vu un peu comme je m’en sors ? Un véritable virtuose de la menteuse le Requiem ! Écrivain, ça m’est venu comme ça, sans même réfléchir. Quand je te dis que je suis un type génial. Me présente pas à ta rombière, elle risque de se barrer avec moi.

La petite, tu verrais ses mirettes s’ouvrir, s’épanouir, elle me prend pour Stephen King ou je ne sais quel cador littéraire, alors autant lui faire plaisir et en profiter.

— C’est la première fois que je rencontre un auteur… je comprends mieux tes questions maintenant.

— Voilà, et ça te dirait d’avoir ton nom dans un livre ? Que tu deviennes une héroïne ?

— Tu ferais ça ?

— Bien sûr, si je te le dis… en contrepartie, continue de me raconter les deux olibrius du club, et même d’autres, c’est de la matière première pour moi.

— Tu veux savoir quoi ?

Eh voilà, je peux remettre le couvert sur la poutre de Bamako, c’est elle qui m’invite, elle est mignonne cette petite Cécile.

— Le légionnaire là, il vient souvent ? J’aimerais le revoir, m’inspirer de ce type, il pourrait faire un vrai méchant dans mon livre…

— Presque tous les jours, un forçat je te dis, il est fou, capable de rester plusieurs heures sur la même machine.

— À part ta dinde du XVIe, il cause à qui ?

— Personne, enfin, si le dirigeant, les collègues et moi. Pas aimable, pas causant, mais poli, on ne peut pas lui reprocher grand-chose. Ah non, il y a son ami aussi, qui vient de temps en temps, un motard.

Là tu penses bien que ça carbure à deux cents à l’heure. À l’étage supérieur, une petite lumière vient de s’allumer. Ça clignote, en lettres rouges je vois grand con s’afficher dans mon cerveau telle une décoration de Noël sur les Champs Élysées. Je viens de faire la jonction : c’est bel et bien au club que Martine a été repérée.

— Un motard ? Tu pourrais me le décrire, je lui trouverais sans aucun problème un rôle dans mon bouquin.

Cécile sourit, elle se prend au jeu, elle devient ma muse, mon égérie. Elle se sent investie d’une mission, alors elle se lâche, elle extrapole, extériorise, la littérature la pénètre.

— Tu as vu Le cave se rebiffe ? Ça te dit quelque chose ?

— Oui, le film de Grangier dialogué par Audiard, une pépite, pourquoi ?

— Un beau brun, grand l’air con…

Je saisis le trait d’humour de la petite, je fais appel à ma mémoire d’éléphant[16], là ça me revient derechef, j’y vais de ma tirade.

— Ça court les rues les grands cons !

— Ouais ! Mais celui-là c’est un gabarit exceptionnel ! Si la connerie se mesurait…

Nous partons tous deux d’un fou rire, et comme je ne t’apprends rien en te disant que femme qui rit est à moitié dans ton lit, j’ai plus qu’à mettre l’autre moitié dans mon paddock, et je sens que cela ne saurait tarder.

— Alix, tu es un charmant, ce bon moment se termine malheureusement. J’ai passé une soirée merveilleuse, vraiment.

Je ne réponds rien, lis la suite mon pote et apprends, c’est cadeau. C’est Requiem qui régale.

Je me lève, viens près d’elle, lui tends une main qu’elle saisit sans réfléchir. Mes yeux plongent dans la lagune du bleu de ses iris[17]. Nous nous dirigeons vers l’ascenseur, toujours liés par nos doigts entrelacés, légèrement moites de désir. La température monte plus vite que la cabine de l’élévateur. Nous voici l’un contre l’autre, bouche contre bouche, nos langues s’essorent, nos bassins se pressent, elle se frotte contre mon sexe tendu de désir. Toi te connaissant, tu serais déjà parti, ton calbar serait à demi-écrémé, moi non, je sais me tenir !

Je sais prendre mon temps. Enfin nous arrivons devant la carrée, je glisse ma carte magnétique dans la fente, pas celle de Cécile, pervers, celle de la porte ! On se déloque fébrilement, c’est tout juste si elle ne m’arrache pas mes frusques. Rapidos, ce qui nous servait de vêtements il y a encore peu gît au pied du lit. La petite a un corps de rêve, bien ferme. Ah ce petit cul mon pote. Bon j’arrête là, un peu de pudeur, puis surtout j’ai pitié de toi, dont la sexualité se réduit à une peau de chagrin depuis des lustres. Heureusement que tu as les sites pornos pour t’éponger le poireau. Tu te rends compte, moi, un cureton, je baise plus que toi ! Et en plus pas du coït expédié en cinq ou dix minutes, non du marathon orgasmique, le pentathlon des sens, l’odyssée du plaisir, le raid du raide, l’anthologie de la sexologie, L’épornopée du Dard !

Pourquoi je te raconte ça ? Je ne sais pas, excuse-moi, je ne devrais pas, je suis prêtre c’est vrai. Et toi, mon fidèle et peut-être unique lecteur, tu te dis que je suis un salaud. Il y a encore quelques pages je pleurais la môme Martine, et là je me vautre dans la luxure. Sodome et go mort en quelque sorte. Tu remarqueras quand même que j’ai glané quelques informations, et puis merde, c’est ma façon à moi d’exorciser mes démons. On se rejoint d’ici deux heures au chapitre suivant, le temps de terminer la petite.

Загрузка...