Même dans les instants de grande réflexion, l’homme se doit de garder le goût de la vie, de faire abstraction des tracas du quotidien. Il doit trouver la sérénité dans le recueillement ou toute autre chose qui l’aide à déstresser, à être zen comme l’on dit maintenant.
C’est un peu ce qui m’arrive là. Tu peux être sûr que lorsque tu vois une petite croix de bois sur un lacet de cuir crochée quelque part, c’est que je l’ai retirée et que je suis en pleine méditation.
Enfin que je me suis laissé charmer.
Que je n’ai plus l’habit de prêtre, mais la bite prête.
Que je commets une infraction aux Saintes Écritures.
Que j’oublie mes vœux.
Ce décolleté, tous ces miroirs, cette promiscuité, l’odeur de son parfum capiteux. Je dois t’avouer que là, je la sens vraiment bien la chaleur de son corps, je suis en train de prendre sa température avec mon thermomètre personnel. Tu vas rire, mais s’occuper du petit crispé avec toutes ces glaces qui nous entourent, j’ai l’impression d’être dans une partie fine de madame la baronne. La biennale de l’anal, la chenille lubrique, le mille-pattes sodomite, un concerto en raie majeure.
Si le Patron me voyait, je serais encore bon pour me faire engueuler derrière le grand vitrail de saint Georges terrassant le dragon. Ah cette Martine, quelle femme. Quelle fougue, quel tempérament, quel cul.
On réfléchissait là, dans son studio, à la meilleure façon d’agir. Et tout en posant délicatement sa main manucurée sur ma cuisse, elle me dit gentiment qu’elle est désolée de me donner autant de souci.
Seulement, avec le pucier face à moi, l’ambiance de la pièce, sa main, la toile de mon froc s’est tendue méchamment à l’entrejambe, genre il y a Casper le fantôme qui s’invite à la fête… Je peux te dire que ce n’est pas il court, il court, le furet ! que je lui joue, mais il fourre, il fourre le curé.
Non mon pote, quand tu croises une nana pareille, qui vit dans un monde où la taille minimale d’un chibre est de 26 cm et que toi tu es dans la normalité, tu as intérêt à être inventif, créatif, que dis-je récréatif. Faut lui présenter de l’inédit… Sinon c’est simple, c’est comme si tu te tapais l’ascension des Grandes Jorasses en espadrilles, t’as l’air d’un con[7].
Alors je révise mes classiques, conjugue mes bottes secrètes et j’improvise, le mode baisorama de son Palais des glaces m’inspire, de plus j’ai trouvé son coffre à jouets alors j’utilise les ustensiles. Marrant ce qu’ils te font comme prothèses d’appoint maintenant, je suis une bande de jeunes à moi tout seul comme chante Renaud.
J’espère juste que ses caméras ne sont pas en route, parce que je t’explique à toi, t’es un ami, un frère, une tombe et je sais que tu ne répéteras pas ce que tu viens de lire. Mes fantaisies libidineuses, tu les gardes pour toi, tu te les remémores le soir, quand vient l’heure de tringler bobonne. Je t’offre un peu de rêve. Mais manquerait plus que je finisse sur Internet… Si l’on me reconnaissait, j’aurais l’air doué. Faudrait voir à ne pas confondre Le journal du Seigneur avec Le journal du hard. Je pourrais toujours dire qu’il s’agit d’un rite d’exorcisme, après tout, bien assaisonné, les gens pourraient y croire. Ils sont crédules les gens, mais si, ils sont naïfs, même toi, la preuve t’es le premier à aller voter en gobant les promesses du guignol.
La môme a l’air radieuse, elle a l’œil cerné, le téton alangui, j’ai pas dû être mauvais. Enfin sans vouloir en faire trop, j’ai été comme d’habitude, exceptionnel. Si, je te jure, demande à ta femme, même les draps s’en souviennent.
— C’est la première fois que je me tape un curé, c’est pas banal.
— C’est bien, moi ça ne m’est jamais arrivé.
— De quoi ?
— Ben, je ne me suis jamais tapé de curé…
— T’es con Estéban. Bon, c’est pas le tout de s’offrir du bon temps, mais pour notre affaire, on fait comment ?
— On n’a pas trop le choix ma belle, si on veut savoir qui sont ces types et les coincer, va falloir faire croire que tu es d’accord pour tourner cette saloperie.
Elle s’y attendait, elle n’est pas conne la petite, mais elle blêmit légèrement. Une légère montée de chocottes certainement, que je comprends. Entrer dans le jeu de cinglés comme ceux-là relève tout de même de la prise de risque de haut niveau. On excelle dans la témérité.
Ce qui me chagrine le plus ce sont les gosses. Je suis intimement convaincu qu’ils ne les ont pas. Ils les kidnapperont lorsqu’ils auront l’accord de Martine, ou d’une autre. Ils courront ainsi moins de risques. Cela ne leur sert à rien d’avoir les gamins en réserve. Les avoir trop tôt, c’est le danger pour eux d’avoir rapidos les poulardins aux miches. Donc dès que Martine dira banco, là, les prédateurs se mettront en chasse.
Je me pose une autre question, et pas des moindres : est-ce que sur les photos qu’ils ont balancées ce sont vraiment les futurs participants à leur saloperie ?
Pour la poutre de Bamako, il y a de fortes chances. Le gars a une bite de cheval, mais un regard d’hyène en chaleur, tu sens le pervers. Le détraqué du bulbe, le libidineux déficient mental, le dépravé hors normes. Je pourrais bien utiliser le double fond de ma mallette.
Oui comme tout curé exorciste, j’ai reçu mon paquetage béni — made in Vatican — le genre de vieille valoche en cuir comme avaient les toubibs de campagne, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Dedans il y a tout le matos pour foutre le démon dehors, c’est inclus dans le kit : de l’eau bénite, du gros sel, de l’huile d’olive vierge, des cierges, des linges blancs, des calices, un grimoire avec les prières secrètes. Il y a aussi un goupillon à crémaillère avec roulement à billes en téflon, et un crucifix mon pote, tu verrais la bête, ébène et gaïac, marqueterie en bois précieux et un p’tit Jésus en ivoire. Je connais des grenouilles de bénitier qui seraient capables de sucer tout un régiment de parachutistes lépreux afin de le pendre au-dessus de leur pieu. Coucher avec le fils du Patron, le rêve de certaines.
Seulement moi je trouve ça léger… Suffisant pour la rombière qui se fait culbuter par tout le quartier, le genre nymphomane qui le jour où son mari apprend la chose, se met à imiter la fille possédée par le démon. Pour l’Actor studio de pacotille donc, ça le fait. J’en ai croisées pas mal, elles le jouent parfois assez bien, allant jusqu’à se griffer à sang l’escalope à crinière histoire de faire plus vrai.
Je ne suis pas salaud, je dis rien, je fais comme si. Deux trois prières avec la voix caverneuse, aspersion d’eau bénite, et quand même, histoire de leur faire piger qu’il ne faut pas prendre Requiem pour un couillon, une pincée de gros sel sur les petites estafilades qu’elles se sont faites à l’abricot. Crois-moi que le démon il se carapate vite fait bien fait. C’est pourri, je te le concède, mais le regard empli de haine qu’elles me jettent au moment où les cristaux de sodium se dissolvent sur la peau abîmée, aucune actrice ne peut le jouer. Le mari présent pense vraiment que j’ai viré le démon.
L’honneur de l’époux est sauf, sa femme n’est pas une Marie-couche-toi-là, elle, elle est tranquille de son côté, le cocu y a cru. Elle a juste à éteindre l’incendie qu’elle a au cul. S’il le faut je reviens pour une seconde séance… en duo.
En ce cas je divise l’obole reçue en deux, une moitié pour le boss et son église, l’autre pour mes frais, car comme je te disais, c’est un peu léger ce genre de mallette pour des démons tels ceux qui nous attendent cette fois.
Pas possible pour moi de les faire trépasser avec de saintes huiles, des cierges ou autres bondieuseries. Et si j’attends que tu me fasses un don pour que je m’équipe… bref, je pense que ce coup-ci je vais laisser crucifix et compagnie au vestiaire et prendre mon Desert Eagle, un bébé chambré en 50 Action-Express. Avec ça je te composte des billets pour rejoindre l’Éternel… nettement plus efficace qu’Ébola !
Va me falloir au moins ça, voire deux ou trois petits amuse-gueules supplémentaires.
— Je suis prête, je ferai l’appât s’il le faut. Ce genre de types ne devrait pas exister. Comment il fait ton Dieu pour laisser faire cela ? Excuse-moi Estéban, mais quand je vois des saloperies pareilles, je me dis que là-haut il y a personne, sinon…
— Sinon quoi ? Bien sûr que Dieu existe, et qu’il fait quelque chose !
— Ah ouais, et il fait quoi ?
— Ben il m’a donné le droit d’appliquer la justice divine, et on va les calmer.
— Et c’est quoi la justice divine ?
— Cause pas des choses qui fâchent môme, on n’a pas tout à fait la même définition avec le Patron… donc tu te lances dans l’aventure ?
— Oui, je suis venue te chercher dans ton église pour ça.
— On attend un peu, tu ne mords pas à l’hameçon tout de suite, ils t’ont donné 24 h 00. Une nana ne peut pas donner son accord d’un coup comme ça pour une merde pareille, même avec un matelas de pognon à la clé. Tu me permets d’installer un truc sur ta bécane ?
— C’est quoi ?
— Timeviewer, avec ça, si tu as besoin je peux prendre le contrôle de ton ordinateur, une application de rien du tout.
— Vas-y, je suis sûre que tu vas fouiller dans mes archives vidéos…
— Non, voyons, n’oublie pas que je suis prêtre !
Ok, il y a encore peu, je bafouais mon sacerdoce, mais pour la bonne cause. C’est toujours pour ma mission, jamais mon propre plaisir.
Je prends un bloc de papier qui traîne sur le côté du bureau, note de mon écriture racée quelques lignes.
— Voilà, avant de te coucher tu tapes ce message et tu l’envoies, si réponse il y a, tu me contactes. Pas d’initiative perso ma belle, d’accord ?
— Oui pas de problème.
Je ramasse le papelard avec les accès au site, dépose un baiser sur les lèvres fruitées de Martine. Vu où était ses labiales il y a encore peu, je te fais pas de dessin sur le fruit en question. Je remets mon Perfecto sur mes endosses et quitte ce lieu de débauche pour rejoindre mon bercail.