5 Chapitre où je fais pénitence…

Je pousse la lourde sculptée en chêne et j’ai comme l’impression que les angelots et autres saints se foutent gentiment de ma gueule. Personne dans l’église à première vue. Je trempe ma pogne dans le coquillage scellé dans la pilasse et me signe. Un courant d’air froid me fout un frisson dans le bas de l’échine.

Ça, c’est un signe divin. Le Vieux devait me surveiller, il me montre son mécontentement, va falloir faire pénitence.

Je me dirige vers la grande croix de bois derrière l’autel, le Jésus est pratiquement à l’échelle un, une belle pièce. Je m’agenouille.

— Je sais, ô oui je sais… Vous allez dire que j’ai encore déconné, que je n’aurai pas dû. Mais c’est pour le boulot. Vous vous rendez compte ? Des enfants ! Je ne peux pas laisser faire. Alors oui, je sais que je n’étais pas obligé de la… de l’… On ne peut pas causer d’autre chose ?

Je balance une belle prière avec toute la foi qui va avec, un acte de contrition, toujours le même : Mon Dieu, j’ai un très grand regret de t’avoir offensé, parce que tu es infiniment bon, et que le péché te déplaît. Je prends la ferme résolution avec le secours de ta sainte grâce de ne plus t’offenser et de faire pénitence. J’attrape le crucifix qui pend à mon lacet de cuir, le baise religieusement, ça change.

Je me relève. Le vent s’est calmé, le Vieux est détendu. J’ai plutôt intérêt à être efficace si je ne veux plus entendre causer de mes exploits au Palais des glaces.

Surtout que je risque de retourner là-bas, et donc de rechuter… La chair est aussi faible que la fidélité de ta femme.

Je vais rejoindre mes appartements, fini la pénitence pour aujourd’hui, le prochain show aura lieu demain dès laudes à l’heure où blanchit la campagne… punaise va falloir que je me lève à cinq heures. Comme d’habitude j’aurai juste la vieille Bardoure. Pratiquement centenaire, elle est présente à tous les offices. Une bigote, une vraie de vraie. Veuve depuis la seconde guerre mondiale, son bonhomme la supportait plus, il a préféré se barrer au front, où il est resté. Depuis pas un homme n’a trouvé grâce auprès de son vieux cœur desséché. Ou à la rigueur si, le chef. Elle en bouffe à toutes les sauces, je suis sûr qu’elle le bassine Mamie pruneaux. C’est le petit surnom que je lui ai donné, ça la fait sourire, elle ne comprend pas pourquoi ce sobriquet, mais vous pensez bien, monsieur le curé lui cause, alors elle est heureuse, je suis l’entremetteur avec le tout puissant. C’est vrai qu’elle m’apprécierait moins si elle savait que Mamie pruneaux c’est simplement parce qu’elle est ridée et qu’elle me fait chier.

Je me sers une bonne dose de raide. Rien de tel que de prier avec Jack Daniel’s en fin de journée pour se remettre les idées en place. Je lance le navigateur Internet et me connecte au site sur lequel Martine a été contactée.

Tu vas me demander pourquoi je lui ai dit de me prévenir en cas de message alors que j’ai tout ce qu’il faut pour y aller ? Puisque la petite m’a filé ses identifiants et mots de passe.

Simplement parce que je ne tiens pas à me connecter sous son identité, par respect pour sa vie privée. Enfin privée, sa vie sexuelle quoi, ce qu’elle fait ne me regarde pas, surtout quand c’est avec les autres.

Puis surtout je ne sais pas à qui j’ai affaire, alors pas question de poster d’une autre adresse I P, si ils ont repéré la sienne, et qu’ils voient qu’elle change, ça pourrait leur foutre la puce à l’oreille, et vois-tu, je tiens à éviter ce genre de souci.

Par contre je tiens à regarder ce que proposent les autres filles inscrites là-dessus. Non, pas par vice, même si je dois t’avouer que je ressens comme une raideur que la moralité m’interdit de nommer ici, mais que moi j’appelle une putain de gaule, n’en déplaise au Patron. Je te jure que je vois des sacrés trucs : chouettes, bandants, érotiques, sales, rebutants, débutants, envoûtants. Bref le cul c’est comme le reste il en faut pour tous les goûts, et que même pour certaines pratiques, c’est surtout pour l’égout.

En fait là-dessus il y a des filles bien plus trash que Martine, suffit de voir celle avec son clébard, elle est barrée, pauvre bête. Il ne mérite pas ça le chien. Une grosse blonde peroxydée, lunettes Cartier qui lui font des yeux de mouche, l’air conne à quatre pattes face à la caméra dans un manoir, avec un braque chocolat sur le dos langue pendante.

Ça me fait pitié, faut-il être tombé bas pour en arriver là, à s’exposer de la sorte sur la toile.

J’en trouve d’autres des trucs louches sur la libido de mes contemporains, il y a des tarés je te jure.

J’ai donc deux solutions, soit nos cinglés ont envoyé le message à plusieurs destinataires, en prenant le risque d’être balancés autant de fois, soit leur client a des critères physiques bien définis qui sont ceux de Martine.

Je pencherais plus pour ça. C’est vrai qu’elle est mignonne la petite, il y a pas à dire, carrossée comme une Bentley mais avec une mécanique de chez Ferrari. C’est le Dom Pérignon de la donzelle, le haut de gamme, pas fait pour le petit joueur. Tiens, toi par exemple, non pas toi, lui, là, celui qui bave, oui toi, tu en ferais quoi de Martine avec ton Curly ?[8]

Que dalle, rien, t’aurais l’air de quoi ?

Ce serait pire que de donner de la confiture à un cochon. Martine c’est du caviar mon pote. Le commanditaire est un foutu pervers qui mérite une ordonnance et une sévère, le genre avec Parabellum pour faire passer la fièvre, mais question gonzesse il sait choisir.

Ce qui ne m’avance pas plus, mais de t’en causer cela fait du caractère, ça soulage mon éditeur, il voit que le bouquin avance.

Je ferme l’ordinateur, j’ai beau aimer ces dames, et les multiples façons de passer du bon temps avec elle, là, sur écran, c’est glauque, c’est triste. Pas le genre de truc qui m’excite, pourtant je ressens de drôles de vibrations… je décide donc de sortir mon mobile de ma fouille et de répondre à l’appel. C’est justement Martine.


— J’ai envoyé le message comme convenu, dans les 5 minutes j’avais le retour. Ils me disent qu’ils sont heureux de mon choix, ils n’en attendaient pas moins de moi. Ils m’ont envoyé un lien, je dois télécharger un fichier, l’installer puis je dois m’inscrire sur un site au nom bizarre, créer un profil sous le nom de Martine-X69. Après j’envoie un message sur le profil d’aigle-noir 157… Je dois suivre la procédure ?

— Ton fichier, comment il se nomme ?

— Tor, tu connais ?

— Oui, et tu as une adresse à taper du genre point onion point to ?

— Exactement, c’est quoi ?

— Le côté obscur, le Darknet, là-dessus tu es invisible, ils ne laisseront aucune trace.

— Je fais quoi ?

— Rien, tu laisses ta bécane allumée, tu touches à rien, je m’en occupe, regarde juste ton écran.

Je raccroche et rallume mon Mac, ouvre une session sous Timeviewer. J’ai pris la main sur l’ordinateur de Martine, Candy me sourit. J’installe l’onion, puis vais sur Grams. Ça y est je suis dans les bas-fonds de la toile. Ici tu trouves de tout, de la drogue, des prostituées femelles, des mâles, un subtil mélange des deux, des faux papiers, des armes, et même des pédophiles.

Ici toute la racaille de la planète se donne rendez-vous. En toute discrétion, ils vendent, trafiquent, exploitent, négocient. Presque pas de risque, c’est Le bon coin des truands de tous poils. Tout ce que l’homme fait de plus abject y est en vente.

Le site est une foire à tout du cul, libertinage de bas étage où tu peux échanger une fellation de ta rombière contre une sodomie avec un hamster, le grand n’importe quoi du pervers en mal de sensation.

Même toi, qui pourtant es un sacré phénomène, ton épouse m’a expliqué le truc en tutu avec la courgette trempée dans la harissa, ben tu ne leur arrives pas à la cheville. Non, eux c’est encore plus fort, plus sale, et surtout plus interdit dans le cas qui nous concerne. Le nombre d’annonces avec Kinder dans l’intitulé est incroyable. Et crois-moi, ça ne s’adresse pas à des collectionneurs de surprises en plastique issues d’œuf en chocolat.

Non, ici la fange de la société vend, loue, exhibe, torture, viole ce qu’elle a de plus cher et noble : les gamins.

Je ne perds pas de temps à surfer, de peur de gerber mon bourbon et mes cacahouètes sur mon clavier, j’envoie le message, la réponse ne se fait pas attendre :

BIENVENUE MARTINE, NOUS AVONS PRIS CONNAISSANCE DE VOTRE ACCEPTATION, LE PREMIER RÈGLEMENT VOUS PARVIENDRA BIENTÔT. CONNECTEZ-VOUS CHAQUE JOUR VERS 18 H 00 AFIN DE VÉRIFIER SI IL Y A DE NOUVELLES INSTRUCTIONS.

Comment ils vont lui faire parvenir le pognon ?

Par mandat postal ?

Ils n’ont même pas demandé où l’expédier. D’ailleurs il ne serait pas con de faire ouvrir une boîte postale à Martine, histoire qu’ils n’en sachent pas trop sur elle. Je décide, sur cette bonne intention, d’éteindre pour de bon cet ordinateur et de casser une graine avant d’aller foutre la viande dans le torchon.

J’ouvre le frigo, une magnifique terrine de pâté de lièvre me fait de l’œil, tout comme le pot de cornichons planqué dans la porte, je ne résiste pas, si la chair est faible, la mienne est carrément friable. Avant de refermer le réfrigérateur je chope une boutanche de Karmeliet. Certains locdus lisant cela diront que c’est une hérésie, avec ce genre de victuailles rien ne vaut un beaujolais, un Saint Amour ou autre breuvage issu de la vigne… Désolé, j’n’aime pas le pinard, quelle que soit sa couleur, blanc, noir, rosé ou rouge tu ne m’en feras pas boire un verre. Même pas pour la communion, mais ça, je te l’ai déjà dit… Je mange en réfléchissant, en méditant. Comment peut-on en arriver là ?

Comment des hommes, des femmes, peuvent-ils faire ça ? J’ai déjà du mal à capter que l’on puisse s’entretuer pour des conneries telles que c’est mon Dieu qui est le bon et pas le tien…

Après tout Martine a eu raison de venir me trouver. Cette affaire relève bien de l’exorcisme. Ces tarés doivent être possédés par le démon pour faire des saloperies pareilles.

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