9 Chapitre où je m’interroge

Le réveil est dur, très dur. J’ai la gueule pâteuse, j’ai un peu trop forcé sur la bière. Faut dire qu’il est seulement quatre heures, j’ai décidé de sonner les matines. Vu mon comportement d’hier, je préfère. Un, c’est tellement rare qu’un curé célèbre cet office que cela va le calmer un peu le divin créateur. Et deux, s’il est vraiment de mauvais poil, je préfère qu’il n’y ait pas de témoin dans l’église.

Une fois j’ai vraiment déconné, lors d’une enquête dans une boîte échangiste. Je me suis laissé entraîner. On est vite passé du Aimez-vous les uns et les autres, à Aimez-vous les uns dans les autres. Le Vieux n’a pas aimé. Il a encore moins apprécié que je ne passe pas me repentir un peu, même en faisant semblant. Non, je n’ai pas refoutu les pieds à l’usine pendant deux jours. Mais voilà, j’ai un petit vieux qui a avalé son bulletin de naissance en compostant un aller simple vers Saint Pierre. Je fus donc obligé d’officier pour les funérailles. Quand je me suis changé dans la sacristie, il devait faire -20°. En plein mois de juin !

L’encensoir était pire qu’un fumigène, de couleur rouge. L’eau bénite que je balançais sur le costume en sapin faisait des arcs-en-ciel et le rythme de l’harmonium, ce n’était pas ça. Le requiem en mode psychédélique ça sonne mal.

La famille était hystérique, croyant que le vieux leur jetait un sort pour l’avoir balancé plus tôt que prévu dans une maison de retraite où il était canné d’ennui. Bref un beau bordel.

Depuis cet épisode je me méfie de ces manifestations divines, alors autant que cela reste entre lui et moi.

Pour l’heure, j’ai paré le coup de l’ère glaciaire et j’ai enfilé mon Damart histoire de pas me geler les orphelines. Et crois-moi que j’ai eu raison. Le Vieux a délocalisé mon église en Sibérie ! C’est tout juste si je ne croise pas un ours polaire. Ce coup-là, il fait la gueule. J’ai dépassé les borgnes[10]. Le chauffage ne marche pas, les lumières non plus. Soit, je vais officier dans le noir, je connais quand même mes chants et mes prières par cœur. Je commence tout juste que le vent se met à souffler dans l’église. Je le prends pleine face, et il n’est pas chaud. Pas grave, j’assume mes conneries, je continue. Et voilà que maintenant le Patron se la joue régisseur des lumières, les vitraux virent au bleu et se mettent à clignoter.

Le Nordet cesse d’un coup, la température redevient normale. Seule cette lumière bleutée continue de déchirer la nuit.

Ce n’est pas un effet de la colère du Vieux. Non, ça c’est la maison Poulaga qui offre un son et lumière vu les hurlements des sirènes qui pointent en fond sonore.


Vu que je n’ai personne pour la représentation et que le Barbu à l’air d’être calmé, je décide d’aller jeter un œil, voire deux. Je retire mon aube, enfile mon Perfecto et file en direction du cirque de la maison Royco.

Plus j’avance, plus j’ai le bide qui se contracte, je serre les miches, tu ne peux même pas imaginer. Fourre-moi une olive dans la raie du cul, je te fais un litre d’huile vierge, première pression à froid. T’entraves pourquoi je ne vais pas bien ? Non ? Ben oui, plus j’avance, plus je me rends compte que c’est chez la môme Martine qu’ils sont tous…

Merde, qu’est-ce que c’est que ce merdier ? Je te jure, il y a plus de dix bagnoles de condés, des kilomètres de rubalise jaune… une scène de crime comme dans les séries que tu mates à longueur de soirée en t’empiffrant de chips. Je pique un sprint pour finir. Un poulet me stoppe net.

— Halte là, on ne passe pas !

Ce flic a tout de ce qu’il y a de plus sympathique. Je ne sais comment le décrire ? Si voilà, un Pit Bull avec des moustaches, une casquette et un gilet pare-balle. Le genre tête de con. Si on devait établir une échelle des mecs patibulaires, il servirait de mètre étalon. Avec sa gueule de six pieds de long, il est aussi souriant que Vladimir Poutine en proie à une gastro foudroyante.

— C’est chez mademoiselle Rutebeuf ? C’est une amie, laissez-moi passer…

— Rutebeuf, c’est l’amie de tout le monde, on sait tous qu’elle meuble les moments de solitude des types de ton espèce. Fous le camp avant que je te fasse goûter à mon tonfa !

Je ne sais pas pourquoi, mais entre lui et moi, ça ne va pas le faire. On ne va pas faire ami-ami, impossible. Déjà il n’a pas à parler de la môme Martine comme ça, et puis on ne menace pas Requiem. C’est que j’ai mon orgueil, pas question de me laisser maltraiter par un connard en uniforme. Et le respect dû au citoyen, bordel de merde !

— Dis donc mon poulet, si tu ne veux pas que je t’apprenne la politesse, va falloir voir à être plus respectueux. Parce que ton bâton, je vais te le ranger dans le cul et avec la poignée !

Le matuche vire au violet cramoisi, porte la main à sa ceinture pour se saisir de sa matraque. C’est à ce moment qu’une paluche salvatrice se pose sur son épaule.

— Du calme brigadier Bonneaux, ce monsieur est un ami, et en plus curé de la paroisse. Qu’est-ce que tu fous là Estéban ? La petite Martine fait partie de tes ouailles, chenapan ?

Ce que je suis heureux de voir sa trogne à celui-là. C’est mon vieil ami Régis Labavure. Oui Labavure pour un commissaire ça la fout mal, mais vu comment le gus a gagné ses galons, je peux te dire que personne n’oserait se foutre de sa gueule, même pas moi. Régis je l’ai connu il y a des années, lorsque je débutais dans l’exorcisme. Une histoire de soi-disant démons apparaissant lors de séances de spiritisme. Une vulgaire et minable magouille mise au point par deux pétasses pour tenter d’arnaquer une pauvre vieille. Elles faisaient croire qu’un poilu décédé du côté de Verdun, père de l’aïeule, lui donnait l’ordre de faire don de sa fortune à une association bidon tenue par les deux grues. Nous avions allié nos compétences pour démasquer l’escroquerie. Il était dans la mouise, ça gueulait sévère à la préfecture, la vieille était la tantine d’un ministre. Il risquait sa place. J’ai démasqué les rombières, un curé qui s’invite à une séance de spiritisme, qui fait lui aussi causer le mort, ça leur a foutu un coup aux deux malfaisantes. Sans rire, tu peux en faire des trucs avec un iPhone. De ce jour une véritable amitié est née entre nous, alors voir son museau, d’un coup, ça me redonne du baume au cœur.

— Une ouaille est un bien grand mot Régis, disons qu’elle est venue à confesse, avec comme une sorte de remord. Nous avons causé et sommes devenus amis. Elle a des soucis ? Et mes excuses pour mon emportement à l’agent Bonneaux.

— Des soucis ? M’est avis que ta pécheresse en aura plus des masses si tu vois ce que je veux dire Estéban…

— Tu veux dire que Martine est décédée ?

— On ne peut mieux mon ami. Elle est tombée entre les mains d’un sacré sadique. La pauvre est en triste état. À croire qu’ils ont voulu tourner la suite de Saw dans sa piaule. Elle avait des problèmes, elle s’est confiée à toi ? Et me les brise pas avec le secret de la confession, hein ! Pas de ça entre nous.

— Elle ne m’a causé d’aucune menace si c’est ce que tu veux savoir, elle m’a juste fait part d’un ras le bol, d’une envie de raccrocher et de mener une vie, un peu plus dans la norme, si tu vois ce que je veux dire.

Tu as compris que j’endors un peu mon pote. Je sais, c’est pas très réglo. Je me suis tâté un court instant. Cracher ou pas le morcif ? J’ai décidé de le garder pour mézigue. Juste entre moi et les fumiers qui ont descendu la môme. Au moins, je pourrai appliquer la justice divine sans avoir les flics, le procureur et toute la justice sur le paletot. Merde, quand tu penses qu’il y a quelques heures on s’offrait du bon temps avec la petite. Elle si pleine de vie, de vits, et là, mon pote me dit qu’elle s’est fait refroidir. Et façon gore en plus, pauvre petite. Je ne peux pas laisser sa mort impunie, impossible. Ne hausse pas les sourcils comme ça en lisant, ça te donne un air encore plus con. Je t’ai déjà dit que moi, tu me claques la joue droite, je t’enfonce le nez à l’intérieur. Je n’ai pas la bonté, la gentillesse du fils du Patron.

— Je peux rentrer ? Tu me le permets ?

— C’est franchement pas beau Estéban, j’espère que tu as mangé joli au petit déjeuner, car tu risques de le voir repasser plus vite que prévu.

— T’occupe pas Régis, j’ai déjà vu des trucs dégueulasses, je sais à quel point l’homme peut être horrible. N’oublie jamais que je chasse le démon.

— Comme tu voudras l’ami, comme tu voudras…

Régis lève le ruban pour me permettre d’accéder à la scène. Je ne t’explique même pas la trogne de l’agent Bonneaux lorsque je lui fais un petit clin d’œil, il est à la limite de l’apoplexie. Je sais, c’est gratuit, ça ne sert à rien, mais ça me change les idées un dixième de seconde, parce que je m’attends à voir du vilain. Du genre qui te retourne les tripes.

Je me demande aussi pourquoi Régis me laisse entrer dans l’appart’ ? Ce type est sympathique mais assez à cheval sur la procédure vois-tu. Les perdreaux sont nombreux sur le terrain, c’est du lourd, du très lourd. Il y a des types avec des combinaisons blanches, d’autres avec des brassards, certains en tenues, mal réveillés. Il y a ceux qui débutent et supportent pas la scène, ils dégueulent illico et il y a les cadors de la rousse, en costard cravate. Et moi avec Perfecto sur les endosses, croix autour du cou, je pénètre le sacro-saint lieu du crime comme si j’étais l’un des leurs. Bizarre non ?

— Tu es sûr de vouloir rentrer Estéban ?

— On y va Régis, on y va…

Il va me foutre les foies ce con. Bordel il lui est arrivé quoi à la môme ? Il ne me faut pas longtemps pour découvrir le triste spectacle… tu m’excuseras, mais je vais changer, non pas de tee-shirt, mais de chapitre pour te donner les détails.

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