Cécile est repartie au petit matin, juste après que je lui ai célébré un dernier office. Je flemmarde dans le pucier, récapitule tout le merdier, depuis que la môme Martine est venue me trouver à l’église. Merde, c’est vrai que le Patron je l’ai un peu laissé tomber depuis quelques jours. Il comprendra, je suis en chasse, je colle au train des démons. J’ai passé une bonne soirée, une nuit pas dégueulasse. Je te cause surtout du côté glandulaire, parce que côté enquête, mis à part les liens avérés entre la baronne du selfie et la poutre de Bamako, je n’ai pas appris grand-chose.
Tu sais ce que je vais faire ?
Me prendre déjà une bonne douche, dire quelques prières histoire de pas trop froisser le Vieux et puis m’enfiler un petit déjeuner digne de Bérurier. Ensuite, retour au club, je vais y passer la matinée, faut que j’avance, foi de Requiem. La toute fin d’après-midi sera nettement plus tristoune. J’irai au crématorium, on incinère Martine, un service strict minimum. Sa famille n’a pas voulu de passage par l’église, juste deux ou trois chansons, puis zou, mise à la flamme. Même si je ne peux célébrer un office en sa mémoire, je l’accompagnerai.
Arrivé dans la salle de sport, je me change puis, je cours, je lève, je pousse, je tire, mais surtout je sue, je suinte, pire qu’un obèse en plein cagnard. Je me donne à fond, pas question de faire semblant. Je ne me suis pas découvert d’un coup l’âme d’un bodybuilder, non loin de moi cette idée. Mais si tu voyais cette petite rousse à la peau laiteuse, un derme légèrement éclaboussé de taches de son, une sylphide aux éphélides. Des yeux vert émeraude qui feraient défaillir un joaillier, un corps aux formes généreuses, je lui donne la petite trentaine. Et comme tout connard de mâle qui se respecte, vu que la divine rouquine me reluque, je me donne comme un furieux.
Je suis certain que là, je suis plus sexy que Bruce Willis dans Die Hard, prêt à te flinguer un hélico avec une bagnole. J’ai une de ces niaques, mon crâne lisse perle sous l’effort, mes veines gonflées propulsent mon sang, une bête, un sexe symbole, I am the best[18].
J’ai cru que j’allais crever, les muscles tétanisés sur un engin dont je te passe l’usage final, non pas que je te prenne pour un con mais, moi-même, à part donner des douleurs dans les avant-bras, je ne vois pas trop à quoi cela sert. Au bord de l’apoplexie, je vois que je ne suis plus le centre d’attraction de la fille, non, la poutre de Bamako vient de faire son entrée dans les lieux. Son cuissard moulant fait office de vitrine. Et le chibre du type hypnotise littéralement celle que je prenais pour une fée il y a encore quelques secondes. Je suis déçu…
Mais bon, pourquoi une femme n’aurait-elle pas le droit d’être envoûtée par une queue monumentale ? Pourquoi ne pourrait-elle pas fantasmer sur ce morceau de chair évocateur de tant de plaisir ? Pourquoi ne rêverait-elle pas, telle une fière amazone, de chevaucher ce pieu démoniaque pour une cavalcade sans fin ? Pourquoi, alors que nous les hommes, et même moi prêtre plus souvent défroqué qu’autre chose, nous sommes les premiers à nous extasier devant un cul féminin ?
Sur ces pensées hautement philosophiques, je ralentis le rythme de mes mouvements, je sens le sang affluer de nouveau dans mes muscles, cela fait du bien. Du regard je ne quitte ni la fille aux cheveux de feu[19], ni le poney humain[20] qui s’est installé non loin d’elle, ils sont tous deux dans mon champ de vision. D’un côté c’est très bien, d’un autre, cela m’oblige à rester soudé à ma machine infernale, ahanant comme un con.
Quand je pense que les nanas répètent sans cesse — en causant de nos braquemarts — que ce n’est pas la taille qui compte, je veux bien, mais je peux te dire qu’elle ne lâche pas des yeux l’entrejambe de l’ancien bidasse. Et lui ne la lâche pas du regard non plus. C’est la première fois que je vois ce type s’intéresser à autre chose qu’au reflet de sa musculature dans la glace. Là pépère il bouffe des yeux la mignonne, visiblement à son goût. Je me demande ce que son esprit pervers imagine, je suis sûr et certain que dans sa calebasse de détraqué il cogite sur le scénario de leur prochain snuff movie…
Les images de Martine reviennent se fracasser sur mes rétines, une envie de le flinguer là, sur place, me prend. Mais avant d’éliminer définitivement ce nuisible je veux couper l’anaconda qui lui sert de bite et lui fourrer au fond de la gorge. Je sais, le Vieux là-haut n’appréciera pas, mais bon, il n’y a pas de guerre propre comme ils disent. Le genre de frappe chirurgicale que je préconise pour cette espèce d’empaffé, c’est l’amputation !
La rouquine bombe le torse en exécutant parfaitement ses mouvements. Dans une sorte de parade nuptiale, elle fait saillir ses seins aux pointes érigées. Pauvre gosse, si tu savais que tu es en train d’attirer le pire des démons. Si tu percevais la lueur sadique dans les yeux de ce monstre sur-équipé, t’en lâcherais une filante dans le fond de ton slip en coton ma douce.
Bordel, comment cette fille ne voit-elle pas la bête tapie en face d’elle, le prédateur prêt à fondre sur sa proie. Ce type possède un charisme phénoménal, proportionnel à la taille de sa lance d’incendie, je te le concède. Mais merde, je n’en reviens pas de la fascination qu’il exerce sur cette nénette.
Lui de son côté bande ses muscles, étale la marchandise, vante la camelote. Les deux excités en deviennent indécents. À se demander s’il ne va pas finir par la prendre au milieu de tous, ruisselant de sueur sur le tapis de sol ou accrochée aux agrès.
Je me tire. Je passe près de la gisquette aux cheveux orange, elle ne m’accorde pas la moindre œillade, mais moi, je zyeute le bracelet entourant son poignet. La clé du casier cent-quatorze s’y balance.
Direction les vestiaires. En moins de temps qu’il n’en faut à ta femme pour retirer son string en ma présence, je déverrouille le placard de la fille et déniche ses papelards. Camille Vure, domiciliée au 368 rue Mercurio. C’est tout ce que je voulais savoir, où elle créchait. Mon petit doigt m’informe que je ferais bien de surveiller cette amatrice de salami.
Pas besoin de chercher, je sais où me mettre en planque pour la voir passer, et surtout vérifier si elle est suivie. Mon seul souci c’est d’être venu les mains vides, je n’ai rien à offrir à la mariée, si cela devait tourner vilain, je ne suis pas outillé — ne te fends pas la gueule comme un con, je parle de calibre, pas de bite, Ducon — et si je vais chercher mon composteur je risque de la louper…
Le bodybuilder à la trompe démesurée et sa proie ne vont pas tarder. Tu vas me rétorquer qu’il va peut-être lui offrir un verre au bar du club, histoire de faire plus ample connaissance. Je te répondrai que par principe un salopard de cet acabit évite de trop se faire voir avec sa future victime. Et puis si je ne m’abuse, docteur, le Beauty-Body est son lieu de chasse, donc il doit préférer la jouer discret. Si je me plante, la tournée est pour moi, promis.
Non loin du bâtiment, une ruelle en cul-de-sac donne sur des bureaux désaffectés, c’est là, à l’abri des regards, que je prends mon mal en patience, tandis que la petite rousse doit se liquéfier en attendant le bon vouloir du mâle.