27 Chapitre retour à la case départ

Te dire ce que je fous là, je ne sais pas. Ma langue pèse pas loin de deux tonnes, comme l’impression d’avoir une douzaine de parpaings dans la gueule. Je vois que dalle, il fait nuit noire. J’essaie de bouger, je ne peux pas, je suis saucissonné sur une chaise, dans le schwarz le plus complet, je cherche à comprendre, récapitule ma journée…

Je suis allé au club ce matin. Je pousse un peu de fonte, tranquillement, je discute comme si de rien n’était avec Cécile. Ensuite je flashe sur une petite.

Je booste mes neurones, tente de me souvenir, de tout remettre en place pour savoir où je suis. Camille Vure, une rousse plutôt choucarde… l’arrivée de la poutre de Bamako qui repère la gamine… qui tombe sous le charme du dépravé… Je me mets en planque pour entreprendre une filature… Si je suis là, c’est parce que j’ai dû merder à ce moment-là.

D’un coup la lumière éclate, je suis tétanisé comme un lapin pris dans les phares d’une bagnole. Saloperies de lentilles ! Il me faut quelques secondes pour m’acclimater et voir autour de moi. Je dois être dans les locaux abandonnés de la ruelle, là où je me planquais.

Karl Amelmou est face à moi, le sourire mauvais aux lèvres.

— Qui es-tu ?

— Je m’appelle Requiem et je t’emmerde.

— Requiem ce n’est pas un nom, alors tu vas me dire qui tu es et ce que tu fous à me surveiller.

— Crève charogne !

Cette praline qu’il m’envoie mon pote, je déguste, et pas qu’un peu. Facile de frapper un mec ficelé, qui ne peut pas te renvoyer l’ascenseur, bougre de pourriture. J’avais déjà mal aux calots, comme une irritation, les yeux qui n’arrêtent pas de couler, là c’est un torrent, je sens même que je viens de perdre une lentille.

— Putain, mais c’est quoi ça, tes yeux changent de couleur ? Attends… mais c’est pas possible ? Bordel, bien sûr, t’es le cureton qui voulait aider l’autre chienne ! Tu as vu comme on s’est bien occupé d’elle ? Ton tour va venir. Tu sais que je tourne aussi des films homo ? Tu vas manger grave ! T’agite-pas mon pote.

Je ne peux pas bouger connard, sinon crois-moi que je te ferais passer définitivement l’envie de me sodomiser en cinémascope.

Il sort son téléphone, me regarde. De sa main libre il se masse la queue à travers ses vêtements en se léchant la lèvre supérieure, puis éclate de rire.

— Allô, Bérengère ? Tu sais, le chauve qui nous observe depuis quelque temps à la salle, celui qui drague la petite Cécile, eh bien je l’ai sous la main, là, et devine…

Je n’entends pas ce que lui répond l’autre morue, je devine juste que le petit jeu des énigmes l’emmerde prodigieusement.

— C’est le curé de la pute, oui, en personne. Non, je n’ai pas envie de le refroidir comme ça, on pourrait tourner quelques chouettes séquences. Il y a tout ce qu’il faut au Galion pour faire un bon petit film. C’est pas qu’il m’excite, mais j’ai envie de le faire souffrir. Et puis avec la rousse on va s’éclater. Oui elle est endormie dans mon Van, je lui ai fait une injection de Rémifentanil[21]. Je vais shooter aussi l’autre emmerdeur pour le transport. On se retrouve d’ici une bonne heure, O.K Bonnie ? La bête de foire pose son téléphone sur le coin d’un vieux bureau, l’air taquin. Il cherche à me provoquer, je le vois dans son regard. Il fourre la main dans sa poche, et en ressort une petite boîte jaune, il l’ouvre et vient vers moi, j’aperçois des pilules de couleur jaune en forme d’amande, dessus est gravé C 20.

— Tu ne sais pas ce que c’est ça ?

— Certainement un truc que tu vas me faire gober pour que je pionce le temps du voyage…

— Non mon chéri, tu te goures. Pour que tu ne me fasses pas chier, que tu ne joues pas au héros le temps qu’on aille là-bas, je vais te faire une piqûre, en moins de vingt secondes tu vas t’effondrer. Mais ça c’est du Cialis©, on en prescrit aux mecs qui ont du mal à bander. Moi perso’, je n’ai pas de souci de ce côté. Mais si je prends deux cachetons, une double dose, je peux rester en érection plus de trois heures, voire quatre sans aucun problème. Je te dis ça parce que je voulais que tu saches que tu vas être plus que défoncé avant de crever, tu vas regretter de t’être mêlé de nos affaires curé !


Je dois t’avouer que là, je ressens comme une crispation au niveau de la rondelle. J’ai vu de quoi ce type est capable, ce qu’il a dans le calcif. J’imagine déjà ce que je risque de subir. Et puis le tout va être enregistré, ça craint pour ma réputation. Bordel je ne peux pas finir comme ça ! Et ce cinglé qui me regarde en se marrant. Il tire de la poche intérieure de sa veste une petite trousse qu’il pose près de lui. Il sort une seringue qu’il tapote afin d’en extraire les bulles d’air. Cette fois c’est la fin des haricots mes amis. Je vais claquer, je vais finir le cul en chou-fleur, ce n’est pas Dieu possible. Oh, Patron, vous faites quoi là-haut ? Je peux canner entre les pognes de ce Caligula de pacotille c’est ça ? Vous allez vous bouger la sainte auréole bordel ?

J’entends un grand coup, comme si la foudre venait de s’abattre à moins de deux mètres de moi, puis ça hurle :

— Police, on ne bouge plus !

Merci mon Dieu… Le sodomite porte la main à l’arrière de son jean et dégaine un Smith & Wesson, un sacré calibre qui perce de jolis trous. Il n’a pas le temps de l’utiliser, trois détonations claquent, il s’effondre. Un troisième œil vient de s’ouvrir sur son front. Une balle a fini au loin, une autre a pulvérisé son téléphone.

— Alors Estéban, on dirait bien que cette fois-ci c’est moi qui te sauve la vie ?[22]

— Régis, nom de Dieu, je n’ai jamais été aussi heureux de te voir… Comment tu as fait pour me retrouver ?

— On va dire que te connaissant, je savais que tu allais jouer double jeu, ne pas me donner tous les éléments, vouloir te la jouer en solo, alors…

Il se penche et attrape le pan droit de ma veste en lin.

— Quand tu regardais les photos au bureau, tu étais si concentré que j’ai pu me calter avec ton paletot puis revenir le pendre sur le perroquet sans que tu t’en aperçoives, juste le temps de te coller un mouchard au cul.

J’ai envie de l’engueuler, de l’insulter, de lui dire que si c’est ça l’amitié, je préfère finir en solitaire, en ermite, plutôt que d’être trahi par mes amis. Mais je préfère fermer ma grande gueule, car grâce à son manque de confiance, je suis encore en vie, et mon arrière-train conserve son intégrité.

Il me détache, ses équipes collectent les indices, prennent des photos, et vont ensuite ramasser le macchabée. Ce rituel policier m’est presque devenu familier.

— Tu veux aller passer des examens à l’hosto ? Tu as une jolie bosse dans les tons bleutés à l’arrière du crâne.

— Non, je te remercie, ça va aller. Tout à l’heure c’est la crémation de Martine, je tiens à y aller. Je passerai demain pour ma déposition, de toute façon, tu as encore du boulot. Dehors il doit y avoir une camionnette, il y a une nana ligotée dedans, Camille Vure. Tu viens de lui sauver la vie à elle aussi. On devait tourner ensemble dans une super production, mais j’étais pas fan du scénario. Merci l’ami.

— Pas de merci Estéban, c’est mon boulot, et ne t’inquiète pas, je retrouverai son complice, va rendre un dernier hommage à la Rutebeuf…

Non mon pote je ne m’inquiète pas, c’est salaud de ma part, mais j’ai un coup d’avance. Tout comme moi tu as capté que c’est bien la grosse embagousée la complice du roi de la bandaison. Si tu as de la mémoire, tu te souviens que Cécile m’a filé son patronyme au resto. Alors je ferme ma gueule, vu l’état du téléphone, ils ne sont pas près de le faire parler. Et puis ce n’est pas moi qui l’ai détruit. Alors je vais écrire le dernier chapitre seul et à ma sauce. D’ailleurs puisque l’on cause chapitre final, on y va ?

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