1 Présentations et préliminaires

— Je m’appelle Requiem et je t’emmerde.

— Requiem ce n’est pas un nom, alors tu vas me dire qui tu es et ce que tu fous à me surveiller.

— Crève charogne !

Je ne l’ai pas vu venir la beigne, l’enculé. Je ne pensais pas qu’il allait cogner comme ça, c’est parti d’un coup. Ma tronche a fait un 180° et j’ai senti le raisin couler dans ma bouche. J’ai cru qu’il m’arrachait la tête, il a un de ces punch. Cet enfoiré ne m’a pas raté, il m’a éclaté la lèvre supérieure, il ne l’emportera pas au paradis, enfin au paradis, je déconne, il l’emportera en enfer, et je te jure que je vais lui payer le voyage à cette enflure. Un aller simple, direct, sans correspondance. Pour l’instant je suis ligoté sur cette chaise, mais dès que j’aurai les paluches libres, cette raclure de bidet va morfler et sévère, nom de Dieu !

Pardon Seigneur, excuse ton serviteur, mais il est des moments où le blasphème, c’est plus fort que moi, j’espère que tu ne m’en veux pas et que tu vas m’aider à me sortir de cette mélasse. Et si tu pouvais faire vite, parce que là, j’ai les joues qui chauffent, l’autre ordure me prend pour un punching-ball.

Mais lecteur, mon ami, tu arrives en plein milieu de l’action et nous n’avons pas été présentés, excuse-moi. À toi, ce n’est pas comme à l’autre mécréant au-dessus, je peux donner mon blaze, car intelligent comme tu es, tu te doutes bien que Requiem, c’est un pseudo, un nom de code, un surnom, bref ce n’est pas mon état civil. Non, mon véritable patronyme c’est Estéban Lehydeux. Je sais Estéban ça claque, ça fait exotique, ce n’est pas courant, ça plaît aux femmes. C’est le souvenir des Cités d’or[1] pour la quadra qui retrouve une seconde jeunesse. Surtout quand tu frises le mètre quatre-vingt-cinq, que tu es plutôt bien foutu, une belle crinière brune et une barbe de trois jours soigneusement entretenue, style baroudeur. Bref une belle gueule avec des yeux bleus à faire crever tous les huskys de jalousie. Par contre Lehydeux, hein, ce n’est pas ce qu’il y a de plus glamour. Et Père Lehydeux, c’est encore pire, d’où Requiem, ça sonne bien. Et pis un type qu’on surnomme Requiem, tu as tendance à t’en méfier, pas vrai ? Berceuse ça fait câlin, Requiem ça craint.

Père Lehydeux ! eh ouais, je suis curé… enfin prêtre, et d’un genre particulier, un peu comme un agent secret du bon Dieu si tu veux, un homme de main, un bodyguard of God.

Je suis un exorciste, je chasse les démons, les monstres, les incubes, les succubes et toutes sortes de merdes du même acabit.

Je te l’accorde, on ne peut pas dire que cela soit un métier facile, ça non, je peux te dire que j’en vois des belles, des vertes, des pas mûres et même des trop mûres. D’ailleurs avant d’être saucissonné sur cette chaise, j’ai vu pas mal d’horreurs, j’expliquerai après.

Bref je suis un émissaire du Christ, bon ok, un peu particulier. Je dois avouer que je me souviens plus trop de mes vœux. Moi si tu veux, par rapport à Jésus, qui quand il prenait une châtaigne sur la joue gauche tendait la droite, j’aurais plus tendance à foutre un grand coup de genou dans les orphelines de mon agresseur, histoire de lui apprendre la génuflexion et le respect.

C’est pareil pour le vin de messe, souvent on te file un pinard dégueulasse que si tu en fais tomber sur tes pompes, le cuir est mort, tu imagines l’état de mon estomac si je buvais une telle vinasse ? Non, moi, j’fais la communion au Talisker, de préférence un rocher escarpé de 12 ans d’âge minimum, mais comme dans le turbin je chasse aussi le pédophile, j’essaie toujours de m’envoyer du 18 ans d’âge, histoire d’être réglo avec moi-même.

On ne causera pas trop du péché de chair, parce que comment te dire ? C’est un véritable sujet à fâcherie avec le Patron. Si tu veux, pour lui, coquette devrait juste me servir à pisser, point barre. Seulement moi, j’suis pas comme les collègues enfermés dans les sacristies à longueur de journée, non, je voyage, je rencontre, je socialise, je discute, je sors, j’infiltre… On est tous au régime dans la religion, d’accord, mais moi j’vois des tas de menus différents, donc je suis tenté. Je ne suis pas qu’un contemplatif.

Ah je sais ce que tu vas me dire, qu’un curé il est fait pour résister à la tentation, qu’il doit se la mettre sous le bras, et quand ça lui chatouille le glandulaire, il n’a qu’à réciter deux Ave et trois Pater.

Ben non, ça ne marche pas comme ça, en tout cas pas chez moi. Puis pour tuer le démon, faut bien connaître celui qui est en nous, comprendre comment ça marche, non ? Donc je teste, je chasse le diable que j’ai au corps.

Bref, souvent le Vieux n’est pas d’accord avec moi, j’cause mal, je blasphème, je bois et je cours la gueuse. Mais comme le boulot est nickel, que je fais plus que ma part, il gueule un bon coup quand j’pointe mon museau au confessionnal, mais le reste du temps, il me laisse peinard.

Un dernier détail, ma caisse, souvent t’imagines le cureton roulant en 4 L, voire en 206 ou en C 3 s’il est un peu plus moderne, moi, j’ai d’autres goûts… Je me suis fait un petit plaisir, enfin un gros, j’ai acheté une caisse de cinéma aux enchères, une Ford Mustang Coupé 1967 bodybuildée et blindée. Sous le capot on peut apercevoir des caches culbuteurs Cobra. Le moteur c’est un V8 289 code K, High Performance de 271 chevaux. Tu mords le topo ? C’est celle de Belmondo dans Le marginal. D’un marginal à l’autre logique, non ?

Maintenant que les présentations sont faites, faut peut-être que je t’explique ce que je fous à servir de défouloir à ce type non ?

C’était il y a quoi, cinq semaines à tout péter…


Pour que tu piges bien, des démons comme dans le film de William Friedkin, l’Exorciste, il n’y en a pas des masses. Des gamines comme Regan Legland possédée qui s’mettent à gueuler : Ta mère suce des queues en enfer, Karras ! Être sans foi ! encore moins. Je dirai même que j’en croise peu, voire jamais. Alors plutôt que de filer une mini galette de pain sec enzymé aux vieilles bigotes lors des messes et autres vespérales, je m’occupe.

Parce que pour moi le démon c’est parfois un homme, peut-être pas vraiment possédé par le mal, je ne cherche pas vraiment à savoir, qui commet des choses horribles. Moi, vous m’connaissez pas encore, mais quand j’croise un salopard, j’aime bien le mettre hors d’état de nuire. Pour ça j’ai des techniques pas très catholiques, ce qui la fout mal pour un prêtre je te le concède.

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