3 Bienvenue chez les dingues

En fait Martine ne crèche pas si loin que ça de mon église, une dizaine de minutes à pinces. Ça va faire jaser dans le bled, les mégères nous ont vus passer ensemble, discuter. Même si j’ai enfilé une tenue un peu plus discrète que ma soutane, un jean, un tee-shirt, mon Perfecto et des Doc, je suis connu dans mon quartier, et elle aussi. Non pas pour son talent de comédienne, mais pour ses tenues provocantes. Puis une femme célibataire, jeune, sexy, avec le cureton, ça fait causer, ça donne à imaginer des choses. Et des choses pas forcément catholiques.

Alors quand j’ai franchi la porte de son appartement, ce fut l’apothéose des concierges, j’ai vu la mère Michalon piquer du nez en avant, les yeux exorbités, d’ici à ce qu’elle m’ait fait un AVC celle-là… la Michalon c’est de la grenouille de bénitier de compétition. Le genre qui se rince le cul à l’eau bénite histoire que le malin vienne pas s’y foutre au chaud.

Je ne sais pas si tu as déjà visité la galerie des glaces de Versailles ou le One-Two-Two, mais dans le genre miroirs aux murs et au plafond, tu ne peux pas faire mieux.

À peine ai-je passé la porte de l’antre de Martine que j’ai l’impression d’être une bande de jeunes à moi tout seul, je me vois en démultiplié. Requiem ad libitum. La môme voit mon étonnement.

— C’est pour les angles…

— Les angles ?

— Les angles de vue mon père, dans mon… art, faut faire très attention au cadrage, les glaces me servent à bien visualiser, parfois je filme même un des miroirs, ça donne un effet.

Le seul endroit non réfléchissant de la pièce[3], c’est un bureau sur lequel trône le dernier Mac avec l’écran aussi grand que la téloche de ton salon. Des enceintes, des caméras et des micros, sa piaule est un véritable studio de cinéma. L’Universal du X.

— Ça a dû te coûter un bras ton installation ?

— Ce n’est rien de le dire, entre l’ordi, la vidéo, la déco… puis y a aussi la collection de dessous et de gadgets, vous n’avez pas tout vu !

Patron, va falloir me pardonner par avance. Des tickets pour absoudre, en carnet de 12, vous avez ça chef ? Parce que là, je ne voudrais pas dire, mais filez-moi une soutane en bronze, et je vous sonne l’Angélus juste en lui regardant les miches à la môme.

— Je ne suis pas venu pour cela Martine, mais pour voir le message…

— Pardon monsieur le curé, pardon, parfois, quand je vous vois, ben j’en oublie vos habits sacerdotaux.


— Ça ne sert pas que d’auto, t’inquiète, moi aussi je les oublie souvent, et cesse de me donner du curé et mon père, mon blaze c’est Estéban.

— Va pour Estéban, curé. Je vous montre.

Elle bouge la souris, un fond d’écran représentant Candy apparaît… elle te fait des galipettes non recensées par le Kama-soutra, elle s’exhibe sans complexe, elle est ceinture noire 12e dan de la bête à deux dos, experte du point G, mais elle garde une âme d’enfant, j’en ai les larmes aux yeux. J’aurais vu la vierge sur le 15 pouces que je n’en aurais pas été plus ému. Elle entre son mot de passe, re-mot de passe pour accéder au site, re-re-mot de passe pour la messagerie privée, la petite est méfiante, j’ai pas eu le temps de les lire, mais jamais ses doigts n’ont dansé sur les même touches du clavier, un bon point pour elle. Le message apparaît sur l’écran :

SI VOUS DÉSIREZ CONTINUER LA SÉRIE, SACHEZ QUE NOUS SERIONS PRENEURS POUR UN ÉPISODE, PRIVÉ : MARTINE À L’ÉCOLE. REGARDEZ LES PIÈCES JOINTES, ILS SERONT LES AUTRES ACTEURS ET FIGURANTS. SI VOUS ÊTES INTÉRESSÉE, RÉPONDEZ JUSTE À CE MESSAGE.

Je clique sur le petit trombone, tu vois, je suis prêtre, ok, je suis un peu, comment dire, intéressé par la chose, je ne reste pas de bois[4], j’ai déjà testé des trucs, des trucs dont tu ne soupçonnes même pas l’existence, mais là… bordel, sur les photos, trois petites filles, deux petits garçons, et sur une autre un mec qui porte une cagoule type catcheur mexicain, la carrure est assortie. Il a dû être croisé avec un poney vu la taille de sa queue.

Comment peut-on oser proposer de tels trucs sur un site ?

J’en ai déjà vu des pervers, des bizarres, des tarés, mais là, franchement, c’est le pompon de l’ignominie, du salopard de compétition, de l’ordure. Elle a eu raison Martine, je vais m’occuper de leur cas, tout du moins je vais essayer, pis si ça foire, on refilera le bébé à la maison Poulaga.

— Je peux me mettre au clavier ? Parce que si tu veux que j’essaie de faire quelque chose, va falloir les appâter, donc répondre, donc tu sers de chèvre, donc ça peut être dangereux. Nous, on ne sait pas qui ils sont mais eux savent qui tu es.

— Allez-y Estéban, faites ce qu’il faut, je suis prête à pas mal de trucs avec mon corps, vous voyez par exemple…

— STOP, non, pas besoin que tu m’expliques, hein, pis tu peux me dire tu aussi tant que l’on y est.

Elle ne dit rien, juste opine du chef, ce qui suffit à me donner deux, trois idées bien salaces. Je me ressaisis et clique sur répondre.

BONJOUR, CE N’EST PAS DANS MES « HABITUDES » CE GENRE DE CHOSES. JE NE VOIS MÊME PAS CE QUE JE POURRAIS FAIRE. C’EST ASSEZ TENDANCIEUX ET BIZARRE, ET QU’EST-CE QUE J’AURAIS À GAGNER À FAIRE CELA.

Et zou, c’est parti dans les tuyaux du Net, je n’ai plus qu’à briffer Martine.

— Surtout, tu ne réponds pas, tu vas me filer tes identifiants et tes codes, si cela ne te dérange pas. Si tu traites d’autres affaires là-dessus, et que tu penses que cela ne me regarde pas, pas de souci, voilà mon numéro, tu m’appelles et je rapplique, mais surtout, tu ne réponds pas, au coup de fil non plus !

— Ce n’est pas la peine…

— Comment ça pas la peine ? Si tu veux de l’aide, je veux bien, mais va falloir jouer dans le même sens que moi !

— Je sais, quand je te dis pas la peine, c’est qu’il a déjà répondu…

Je regarde l’écran et en effet, une petite enveloppe rose clignote, fait du hasard, ou la réponse de Martine est désirée à ce point ?

J’hésite un instant à l’ouvrir, vu le premier, j’ai peur que cela me saute à la gueule. Je me lance, la réponse apparaît sur l’écran noir de tes nuits blanches comme dirait le petit taureau toulousain.

CE QUE VOUS AVEZ À GAGNER ? 400 000 EUROS POUR TOURNER UNE VIDÉO, C’EST PLUTÔT BIEN PAYÉ, NON ? POUR CE PRIX, NOUS AVONS BIEN SÛR QUELQUES PRÉROGATIVES. TENTÉE ?

— Quatre cent mille euros ? Ils veulent me payer ce prix pour tourner un porno avec des gamins ? Il y a des malades qui sont prêts à dépenser autant ?

— Non, je ne pense pas. C’est certainement un marché où le pognon doit être là pour acheter ces saloperies, mais c’est certainement un marché où l’on veut rester discret…

— Et ?

— Je pense qu’ils flingueront la personne qui ferait ce genre de merde. Je réponds, l’autre est en ligne, faut en profiter.

C’est sûr que la nana qui acceptera de faire ce genre de vidéo ne palpera jamais l’oseille, tout comme les autres figurants, à part peut-être le poney, il n’y aura pas de survivant.

D’ailleurs c’est cela qui m’étonne, me turlupine dans cette histoire… les gosses, comment peuvent-ils détenir cinq gamins ? Pas entendu causer de disparitions en ce moment, puis merde, cinq chiards d’un coup, ça ne passe pas inaperçu. Tout en réfléchissant je réponds à l’expéditeur :

JE NE PEUX PAS PRENDRE DE DÉCISION, SANS SAVOIR CE QUE VOUS DÉSIREZ VRAIMENT. JE N’AI JAMAIS FAIT ÇA, MAIS C’EST VRAI QUE 400 000 EUROS C’EST UNE SOMME. ET QUI ME PROUVE QUE JE TOUCHERAI CET ARGENT ?

C’est envoyé. Je lorgne l’écran, Martine ne dit rien, la fille est une vicieuse, soit, mais pas une perverse, et là, on touche le summum de l’inhumanité. Pire que des bêtes ces types-là, la gangrène de la société. Ils vont les bouffer à la gribiche leurs couilles ça tu peux me croire !

On ne peut pas laisser faire de tels personnages, ce n’est pas possible. Ces types-là ils n’ont pas vendu leur âme au diable, non ils sont le diable, ils sont le démon. Donc je suis en droit de faire un exorcisme, CQFD.

Et je ne peux pas croire qu’ils vont lâcher 400 000 raides comme ça, ils vont le tourner façon snuff movie leur truc, je ne peux pas laisser faire ça, elle a eu raison Martine de venir me trouver. J’appliquerai la justice divine. À ma sauce, c’est un fait, mais je l’appliquerai.

Il ne perd pas de temps de l’autre côté de l’écran, la réponse est déjà là, je clique.

DÈS ACCEPTATION DE VOTRE PART, VOUS TOUCHEREZ 50 000 EUROS. ENSUITE LORSQU’ARRIVERA LE TOURNAGE, VOUS TOUCHEREZ LA MOITIÉ DE LA SOMME RESTANTE EN ARRIVANT, LE SOLDE EN REPARTANT. VOUS NE CONNAÎTREZ PAS LES LIEUX, C’EST NOUS QUI VOUS Y MÈNERONS, JAMAIS VOUS NE DEVREZ PARLER DE NOUS ET DE CE FILM. VOUS DEVEZ ACCEPTER TOUTES PRATIQUES SEXUELLES AVANT LE TOURNAGE, À 400 000 EUROS DE CACHET, NOUS N’ACCEPTONS AUCUN CAPRICE. VOUS AVEZ 24 H 00 POUR NOUS RÉPONDRE, EN AUCUN CAS VOUS NE DEVEZ PARLER DE CE MESSAGE À QUICONQUE, SINON…

Ils viendront la chercher, et ne la ramèneront jamais, ça c’est certain. Alors si je veux éviter ce genre de chose, je dois être avec elle. Seulement, je ne sais pas combien ils seront, où ils iront, et comment ils iront. Bref tu l’as compris, je ne sais pas grand-chose. Ça carbure à deux cents au plafonnier, j’ai moins de vingt-quatre heures pour trouver le moyen de suivre Martine, de la localiser.

Je ne peux même pas lui foutre un micro, pour ce genre de tournage, ils ne doivent pas avoir énormément de vêtement sur le cul. Et même en interne, il risque d’être découvert, pour te dire…

— Ça va Estéban ?

Voilà que tout en réfléchissant j’étais parti en mode contemplatif dans son décolleté. Faut dire aussi que c’est une véritable publicité pour une laiterie cette fille, de l’amortisseur haut de gamme, du Robert de compétition, de la loche de première classe, du nichon 3 étoiles. Une cravate de notaire entre ces deux-là, c’est la haute couture de la gâterie !

— Oui, oui, je viens juste de piger pourquoi le fils du Patron était entouré de saints…

Elle me regarde sans trop comprendre ce que je viens de dire, j’enchaîne sur un détail, enfin un gros détail quand même.

— Dis donc Martine, il y a une question qui me… turlupine, c’est le cas de le dire.

— Vas-y, pose, aucune question n’est sotte mon cher Ralph de Bricassart…[5]

— Je ne me cache pas douce enfant, et encore moins pour mourir. Le lutteur mexicain là sur la photo, ce n’est pas humain ce qu’il trimbale entre les cannes, faut être une jument pour…

— Oui j’ai remarqué, j’ai tourné avec des hommes sacrément montés, parfois cela ne passait pas, malgré toute ma bonne volonté et le lubrifiant. Là c’est vraiment gros, faut en vouloir, et ça à l’air d’être vrai en plus. C’est pas un trucage, ou alors c’est vraiment bien fait.

— À quoi bon bidonner ce genre de chose, à un moment la nana doit se rendre compte que la publicité était mensongère…

— Je vais dans une salle de fitness, il y a un type qui doit mettre une chaussette, ou je ne sais quoi sous son short. Tu croirais qu’il en a une aussi grosse que celle du catcheur sur la photo. En plus le truc bien moulant, il le met en évidence, il aime voir les regards se poser à cet endroit-là… mais tu sais ce n’est pas ce genre d’engin qui me fait fantasmer, j’ai d’autres fantasmes comme me prendre pour Meggie Cleary[6] par exemple.

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