11 Chapitre où la rage monte en moi, telle la fièvre

— Dis donc Régis, tu me dois toujours un service si je ne m’abuse ?

— Oui, alors ?

— J’aimerais assister à l’autopsie de la petite…

— T’es sûr ? C’est assez hard comme truc et ce n’est pas vraiment la place d’un curé, même exorciste.

— On va dire que si le diable l’habite, je serai là pour m’occuper de lui.

— Tu fais chier, si tu demandes ça c’est que tu en sais plus que tu le dis.

— Mais non, qu’est-ce que tu vas imaginer ? Je l’aimais bien cette môme, c’est tout. Et nous deux, nous avons déjà associé nos compétences, même si pour un poulet ce n’est pas très catholique.

Bien sûr que je ne lui dis pas tout banane, lui non plus.À commencer par la façon dont ils sont arrivés ici, d’ailleurs. Qui les a prévenus ? Mais vu qu’il sait que je sais, il ne peut refuser que je traîne mes guêtres du côté de son enquête.

— Quatorze heures tapantes à l’Institut médico-légal, et tu ne mouftes pas pendant l’autopsie. Je ne veux pas d’emmerde avec le procureur, tu prendras des notes comme un flic.

— Vous savez écrire dans la rousse ?

— Dégage !

Je laisse mon pote et ses sbires faire leur boulot, je serai en début d’après-midi à l’IML. Ça ne va pas être une partie de plaisir, je le sais, mais j’ai besoin de comprendre, de savoir. Besoin aussi de faire monter la rage en d’dans pour mieux m’occuper de ces ordures.

Pas le cœur à dire la messe, pourtant j’avais promis hier, mais de toute façon je ne suis pas près de pécher de nouveau.

Une fois dans mon appartement, je me sers un bon café puis allume ma bécane. J’entre les identifiants et mots de passe de la petite sur le site.

Un nouveau message privé clignote, je clique :

GAME OVER PÉTASSE, ON AVAIT DEMANDÉ LE SILENCE… TU AS HURLÉ… QUE DIEU ET SON SERVITEUR AIENT TON ÂME.

L’expéditeur est introuvable mais je remonte la conversation. C’est bien Aigle-noir 157. Il a cramé son compte, certainement créé un nouveau. Il se doute que quelqu’un se connecte sous le compte de Martine. Comment je le sais ? Ben simplement parce que ce message est parti il y a pas une heure, donc après le meurtre. Ça y est, tu comprends mieux le : Tu as hurlé ?

Oui une belle provocation et une non belle réaction. Tu verrais la reproduction de la Cène de Dali, elle a morflé, le mug s’est fracassé dessus. Le verre a volé en éclats, la lithographie est irrécupérable. Fait chier, j’avais payé ça une blinde.

Ils ont raison de me pousser à bout, ça je peux te dire que quand je vais les avoir à ma pogne, ils vont douiller. L’ardoise va être comac, et avec des putains d’intérêts. Je ne vais pas leur faire cadeau de ma note de frais, crois-moi !

Je prends un bloc, je réfléchis toujours mieux en couchant mes pensées sur le papier. Tant que je suis debout je me sers de nouveau un jus, je ne prends même pas la peine de ramasser les débris de verre. Au bout d’un certain temps, à ma toquante il n’est pas loin de midi, j’ai noirci pas mal de feuilles.

J’ai peu de certitudes, mais j’en ai quelques-unes ; primo, ils sont du coin ; secundo, ils espionnaient Martine et du coup ceux qui l’approchaient car, tertio, ils savent qui je suis, ou tout du moins quel est mon taf.

Comment je sais qu’ils pistaient les contacts de Martine ? Tu m’imagines me trimballer avec le col romain en ville ? Non… Curé ce n’est pas vraiment écrit sur ma gueule, faut me suivre jusqu’au turbin pour le deviner.

Un mec de ton genre, un peu couard sur les bords, pas vraiment rompu à l’aventure ni à tous les sports de combat que je pratique et encore moins au maniement des armes, commencerait doucement à transpirer la trouille par tous les pores de sa peau et à avoir les sphincters qui lâchent. Moi, pas. Bien au contraire, je crois que ça excite mon côté prédateur, car s’ils savent que la petite s’est confiée, confessée au curé, ils vont tenter de m’occire. Seulement ils ne savent pas qui est Requiem, et ils vont tomber sur un os.

Je lève machinalement les yeux sur l’écran de mon MacBook, je suis resté connecté sur le compte de Martine, un nouveau message vient d’arriver. J’ouvre, pas de texte, mais un petit trombone sur le côté me fait de l’œil. Je clique. Ah les chiens, les pourritures, les raclures, les ordures, les enculés, oui j’ai bien écrit enculés, tu m’excuseras auprès du Père éternel, mais là, nom de Dieu de salopard… une photo… un plan arrêté, une capture d’écran, tu sais les images extraites d’un film, comme ça à l’arrache, ben j’en ai une sous les yeux. Pas trop gore, loin de là même. Ils sont bien plus vicieux. J’ai Martine en plein écran, elle me regarde en pleurant. La môme pleure de souffrance face caméra. La balle de cuir dans la bouche, elle veut crier, gueuler, hurler sa douleur, elle ne peut pas. Je te jure que cela m’enfonce des aiguilles dans le cœur. Dans son regard je lis tout ce qu’elle a enduré. Je lis son martyre. Ses yeux sont cernés, creusés, un masque de douleur la recouvre. Là, à l’instant précis où cette image a été tournée, la môme ne demandait qu’une chose, qu’on l’achève, que son calvaire cesse.

Cette fois c’est mon dessin dédicacé par l’excellent Maëster de Sœur Marie-Thérèse des Batignolles qui dérouille grave. L’avantage c’est que cette fois, le mug est vide, l’œuvre est sauvée. J’aurai juste à refaire l’encadrement.

Ces types sont les pires vicelards que j’ai jamais rencontrés. Ils tiennent à me foutre la trouille, ben c’est perdu ! C’est la rage, la haine qu’ils m’inoculent. Et ne viens pas me bassiner avec des préceptes à la con comme quoi ce n’est pas ce que l’on t’a appris au catéchisme. D’abord ce n’est pas moi qui t’ai donné des cours de cathé. Mais je cause, je cause, et le temps file entre mes doigts. Ce n’est pas le tout, mais on a une autopsie bonhomme. J’enfile mon Perfecto et on se retrouve dans le prochain chapitre à l’IML.

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