2 Exorciste, Vous avez dit exorciste ?

Quand tu es cureton exorciste, faut pas croire que tu ne fais que la guerre à Satan, non, tu fais aussi comme tous tes collègues, la messe, les mariages, les baptêmes, les funérailles et comble de l’ironie pour un type comme mézigue, les confessions…

Ah ce que je peux me marrer quand je suis coincé dans la guérite et que les bourgeoises viennent se soulager la conscience, tu n’imagines même pas. Ça va de celle qui suit un régime et qui se goinfre de gâteaux discrètement dans les chiottes à celle qui planque sa flasque de raide, voire de quoi se repoudrer le nez, dans la chasse d’eau. Il y a aussi la lubrique qui se chatouille l’abricot avec ce qui lui tombe sous la dextre et la sage qui a juste menti à son mari afin de s’en sortir de cet aloyau trop cuit et qui reste enfermée là le temps que la colère passe. Eh oui il s’en passe de belles dans les cagoinces de la haute pétée.

Bref chacune des bigotes a quelque chose à se reprocher, bon tu vas me dire, logiquement je ne suis pas censé t’en causer, mais vu que ça restera entre toi et moi, ce n’est pas vraiment comme si je trahissais le secret de la confession, ce n’est pas pareil, c’est entre nous. Faut bien que je tisse un lien avec mon lecteur.


Tout a commencé un jour comme ça, il n’y avait pas foule dans l’église. Quinze heures le jeudi ce n’est pas l’heure de pointe. Ça tombait plutôt bien, à midi j’avais eu un déjeuner d’affaires avec un représentant en cierges et autres illuminations à enflammer pour recevoir illico un miracle.

Le miracle c’est que j’arrive à rentrer du fric dans mon diocèse avec ça. Toujours est-il que le gars voulait me refourguer des neuvaines à l’effigie de Pie VII censées te guérir de la cystite… quand j’pense que le fils du Patron a viré les marchands du temple ! Afin de me convaincre, il avait décidé de me payer à bouffer, et je dois avouer que le repas fut très arrosé. Donc c’est légèrement en différé que je recevais les doléances de mes ouailles.

Je ne bronchais même pas quand la petite rouquine, la femme du nouveau médecin, vint m’expliquer la drôle de façon qu’elle avait de signer les recommandés quand le facteur la faisait siffler trois fois de l’arrière-train. En revanche, quand la suivante prit place sur le petit siège de bois, qu’elle eut rabattu le rideau intérieur, là, je me suis demandé ce qu’elle venait faire ici. C’était pas une de mes clientes régulières celle-là.

Ce n’est pas un secret d’état que cette petite Rutebeuf arrondit ses fins de mois en s’exhibant sur Internet. J’ai déjà vu deux ou trois de ces vidéos salaces sur un site bien connu[2], ah ne me regarde pas comme ça, je ne suis pas client de ce genre de truc, n’oublie pas ma fonction ecclésiastique, je me renseigne pour le boulot, c’est tout !

La jeune Rutebeuf, Martine de son prénom, réalise donc des petits films à caractère pornographique où elle s’exhibe, seule et parfois même accompagnée. Dans ses œuvres on la voit dans une sorte de lutte gréco-romaine avec deux athlètes huilés sur une plage de sable fin, on la découvre pratiquant étrangement l’équitation, ou se faisant sodomiser par un clown.

Tu mords le topo ? Martine à la mer, Martine à la ferme, Martine au cirque. La petite a de l’humour et de la suite dans les idées, pas comme toi qui ne fais que culbuter ta régulière en missionnaire, ne me dis pas le contraire, elle vient à confesse aussi !

Martine ça la dérange pas de faire du porno, elle assume. Je ne savais pas pourquoi elle était là, peut-être voulait-t-elle provoquer un soldat de Dieu ? J’ai décidé d’en savoir plus. Pas envie de perdre mon temps, les agapes du midi me pèsent sur l’estomac, besoin d’une sieste, alors si on peut abréger.

— Martine, mon enfant, tout le monde le sait ça, enfin beaucoup de gens connaissent tes talents d’actrice, pourquoi viens-tu te confier à moi ?

— Parce que je n’ose pas aller aux flics, tout simplement.

— Et pourquoi veux-tu aller aux flics ? On t’a manqué de respect ?

— Non, j’ai reçu un message privé sur le site, comme pour une commande.

— Une commande ?

— Un tournage si vous préférez mon père, Martine à l’école, et il y avait des photos dégueulasses de gamins avec.

— Et pourquoi moi ?

— J’ai lu dans le Pèlerin un article sur les exorcistes, et dans la gazette de l’église ils disent que vous en êtes un, alors vous chassez le mal.

J’en suis resté comme deux ronds de flan, tu aurais vu ma gueule. Un cinglé a contacté la petite pour lui faire tourner un film avec des mômes, il y a de ces malades, je te jure. Je dessoûlai d’un coup. En un claquement de doigts, fini, plus de vapeurs éthyliques, j’étais frais comme un gardon.

Voilà que dorénavant l’on vient me chercher dans mon église, comme un sauveur. Un sauveur ? Mais non, messie.

Sur le coup j’ai eu envie de l’envoyer bouler, qu’elle aille voir les condés, ils sont là pour ça, ils ont tout ce qu’il faut pour traquer les pervers sur la toile. Mais je me suis dit qu’en ce moment c’était assez calme, pas envie de faire du lard, un peu d’action ne devrait pas me faire de mal.

— Tu as répondu quoi au malade ?

— Rien, j’ai eu peur, j’ai lu le message, c’est tout. Je l’ai reçu hier, je n’ai pas dormi de la nuit, je ne pouvais pas rester sans rien faire, et pas envie d’aller voir les flics.

— Tu l’as déjà dit môme, et donc tu comptes sur moi. Bon ben on va aller voir ça, je vais venir avec toi.

— Merci mon père, merci…

Elle est bien gentille à me remercier comme ça, mais j’ai encore rien fait, je vais juste aller lire un message sur son écran, dans son petit studio…

— Tu n’as qu’à m’attendre dans le coin, je vais retirer mon bleu de travail et mettre une tenue plus adéquate.

— Votre bleu de travail ?

— Mon aube, ma soutane si tu préfères.

— Ah ok, j’attends alors.

J’ai eu un instant comme l’envie de lui dire que je la porte à l’écossaise ma tenue, un peu comme un kilt, mais j’ai préféré me rabattre la menteuse et rien avouer. Que je déconne un peu, le Vieux me laisse faire, mais si je faisais ça au bureau, je risquerais gros.

Parce que la Martine, et là je ne te cause pas du poète chantre du romantisme qui se morfond de ses amours perdues au pied d’un lac, non je te cause d’une femme qui n’a pas froid aux yeux, non elle, elle a plutôt bien chaud ailleurs. Genre un brasero dans le string. Vu que j’ai déjà visionné certaines de ses œuvres, comme précisé pour raisons professionnelles, j’ai pu apercevoir ses prouesses techniques. Du grand art. Pas du ramonage papa-maman, non c’est pour des mecs entraînés. Je pense qu’elle équivaut à un semi-marathon la petite, faut tenir le rythme.

C’est du Technicolor mon pote ce qu’elle te fait, la troussée olympique, la chevauchée qui t’astique, bref, je sais que je rentre de plein pied dans le siège de la tentation.

La preuve, quand elle marche comme ça devant moi, que je regarde son cul onduler sous sa petite jupe de cuir qui luit au soleil, ben je vois mon avenir… et il est radieux.

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