SAMEDI Budapest, 0 h 30

Une pure jeune fille qui frappe à la porte d’un homme ne s’y prend pas de la même manière qu’une gonzesse chevronnée du bidule. La seconde toque carrément, la première grattouille doucement, comme si, paradoxalement, elle craignait qu’on l’entende.

J’ouvre à Gwendoline. Exquise dans un pyjama de soie bleue à ramages verts. Par-dessus, elle a passé une robe de chambre trouvée dans sa salle de bains et portant le « H » du Hilton dans le dos, pareil à une élégante guillotine. Elle a des savates British Airways aux pinceaux, preuve que l’on se déplace volontiers dans sa famille. Elle grelotte de frousse à se trouver ainsi, seulâbre, dans la carrée d’un matou.

— Dorothy fait un gros dodo ? m’enquiers-je.

Elle acquiesce.

— J’ai honte d’avoir agi ainsi. Vous êtes sûr que ça ne peut pas lui faire de mal ?

— Si je n’en étais pas certain, croyez-vous que je vous aurais remis cette ampoule ?

Je lui désigne un fauteuil qu’elle accepte après s’être étroitement drapée dans le peignoir.

— Qui êtes-vous ? demande-t-elle d’un ton implorant.

Pour la rassurer pleinement, je lui produis mon éternelle carte estampillée par la Maison France. Son visage s’éclaire au néon et une immense confiance brille sur son beau visage de madone anglicane.

— J’enquête à propos de bandits internationaux qui se trouvaient dans l’Orient-Express, ajouté-je-t-il.

— Ceux que vous avez désarmés et remis à la police autrichienne ?

— Oh ! non, ceux-là sont des pilleurs de train sans grande envergure ; j’en traque de beaucoup plus importants. Accepteriez-vous de m’aider, Gwendoline ?

— Bien sûr ! Que faut-il faire ? spontane-t-elle.

Adorable fillette, prête aux offrandes extrêmes. Tu sais qu’en deux heures de lutinage efficace, je la rends femme pour le restant de ses jours ?

— Fort simple, la rassuré-je : vous téléphonez à la réception. Vous dites que vous êtes la dame de compagnie de la baronne Van Trickhül qui a retenu une suite au Hilton. Une affaire de dernière minute l’a obligée d’annuler son voyage, mais elle arrivera par avion demain ou après-demain au plus tard. Si quelqu’un vient la demander dans l’intervalle, qu’on le dirige sur la chambre 426. Vous avez tout compris ? Tout retenu ?

Elle sourit.

— Ça n’a rien de difficile.

La voilà qui tape les deux chiffres de la réception et qui se met à jacter dans ce beau dialecte dont usa Shakespeare pour écrire des pièces qu’on joue encore aujourd’hui.

Je n’entends pas ce que lui répond le préposé, toujours est-ce qu’elle semble perdre pied, Gwendoline.

Elle lâche des « Vraiment ? », des « Alors il y a eu une confusion », et d’autres bribes de ce genre qui, toutes, marquent l’étonnement.

— Problèmes ? questionné-je lorsqu’elle repose le combiné sur sa fourche.

Elle blablabutie :

— La baronne se trouve à l’hôtel, dans la chambre qu’elle avait réservée…

Oh ! cette abasourdissance ! Sûr que mes couilles vont tomber de l’arbre comme des melons trop mûrs !

— La baronne… Dans sa chambre ! répété-je avec la conviction que j’ai vraiment et totalement l’air d’un con, voire d’un con qui aurait déjà un pied dans le gâtisme et l’autre dans le ramollissement cérébral.

La baronne… Ici !

— Cela semble vous confondre ? remarque-t-elle avec discernement.

— C’est-à-dire que…

Je flotte dans la mouvance de l’abbé Soury, cet ecclésiastique bienveillant qui a tant et tant œuvré pour les règles douloureuses de nos chères compagnes. Me trouve dans l’état « comme ma queue » dont parle Béru dans sa thèse sur la date limite de conservation du beaujolais.

Pour une drôle d’affaire, c’est une drôle d’affaire ! Le palais des miroirs. Un coup je te vois plus, un coup je te vois dix !

Je rebiche le turlu et réclame M. Jérémie Blanc. On me répond que, précisément il s’apprête à sortir de l’hôtel. Bon, qu’on le hèle ! Il vient répondre, morose parce que je commets une imprudence (selon him) en le demandant ouvertement.

Sans préambule (de savon), je place le bébé dans ses bras :

— La réception prétend que la baronne est dans sa chambre. Tu vois ça et tu me fais signe !

Je raccroche, soudain détendu.

— Vous commandez sec ! remarque Gwendoline.

— Tous les vrais chefs ! réponds-je en m’asseyant sur un accoudoir de son fauteuil.

Plus fort que moi : ma foutue main salopiote se glisse par l’échancrure de son pyjama.

Opff ! Je sais pas sur lequel des deux m’attarder ! C’est tout bon : ferme, tiède, velouté. T’en as une pleine poignée de brave homme, avec le cabochon dressé, siouplaît !

Comme la lumière du lampadaire pourrait la gêner, j’entortille le fil à la pointe de mon soulier et tire un coup sec. Black-out ! Subsiste la ceinture de lumière festonnant à l’extérieur, mais c’est de la clarté au second degré, ça. Qui ajoute au contraire à la félicité du moment.

L’Antoine glisse de son perchoir pour s’agenouiller « devant » Gwendoline d’abord, puis « entre ». Dis, elle ignorait que c’était fameux à l’extrême de se faire lécher les bouts de seins puis caresser le raminagrobis avec les deux doigts du sifflet voyou.

Ce qu’elle trémousse dard-dard de la valve, Chiffonnette ! Oh ! que c’est bon quand tu découvres la chose. Après aussi mais t’as plus l’effet de surprise.

Tout de même, entre deux soupirs, elle parvient à balbutier :

— Oh ! non : vous m’aviez promis…

Bien sûr que je t’ai promis, mon bijou, mais que veux-tu : l’instant fait le larron (pas le lardon, j’espère !). Les résolutions d’un homme ne pèsent pas lourd quand la digue le chope, Charlotte ! Tu reconnais au moins que c’est de first quality, non ? Réponds franchement : t’as envie de résister, toi ? Me fais pas croire ça : j’ai le médius et l’index qui viennent de s’engager dans la Légion étrangère, sans te parler de l’annulaire qui dit déjà au revoir à son petit frère pour aller les rejoindre ! Et ce baiser caméléonesque, t’en penses quoi, la Miss ? Pas tristounet, hein ?

Tu sens comme elle balaie large, la menteuse du mec ? Ça y est : les trois frères Karamazov sont maintenant en place ; du coup, y a le minot qui part jouer sa petite partition dans ton père fouettard ! C’est aimable comme accompagnement, non ? Toujours bon à prendre au passage !

Ça ne fait de tort à personne, ma poule. Regimbe pas, tu briserais le charme. Non, on se calme spontanément. Qu’est-ce que tu dis ? Ah ! que tu me loves ? Mais j’en ai autant à ton service, chérie, nous deux, pour au moins vingt minutes, ça va être le very big amour : Roméo et Juliette, Paul et Virginie, Laurel et Hardy ! Qu’est-ce que tu crois ? Et dis : t’as vu le mandrin de l’homme avec son beau bonnet de plongée ? On la croirait d’amarrage, ma bite, non ? Tu vas voir comme, malgré tout, ils vont bien s’entendre, ton fruit fendu défendu et mister Laurence d’Arabite, sans le concours d’anabolisants, parole !

Je suis tout à mon vertige. Et au sien !

J’entends pas qu’on frappe à ma porte, ne m’aperçois pas qu’on l’ouvre, ni qu’une main tâtonneuse cherche, trouve et actionne le commutateur. Lumière, luce, light ! A plein chapeau ! Et qui vois-je-t-il, dans l’encadrure de la lourde ? La dame dévorante du train à qui j’ai dû faire croire que j’étais impuissant pour me débarrasser d’elle !

Ce qu’elle voit, d’entrée de jeu, c’est mon somptueux braque dodelineur qui lui fait « bonjour bonjour » de la tête.

— Je le savais ! s’étrangle-t-elle.

Une qu’apprécie pas, c’est la Gwendoline de mes amours ! D’une cabriole, elle rend mes quatre doigts mobilisés sur son intimité à des tâches plus domestiques et se sauve en gémissant de confusion. Pauvrette dont l’innocence est saccagée à la fleur de l’âge ! Quel con fus-je de ne pas avoir mis le verrou, bordel à cul !

Ma noctambule visiteuse, très maîtresse d’elle-même avant que de l’être de moi, lourde consciencieusement et hermétiquement. Puis s’avance sur moi d’une allure déterminée, comme Cléopâtre s’avançait vers la trique impériale de César.

J’hébète, que veux-tu. Mais dans le fond, me dis qu’avec ce bâton à un bout, mieux vaut se décaraméliser avec une solide radasse qu’avec une nymphe pucelle.

Et la chose s’accomplit, puisqu’elle était inéluctable.

La gaillarde me pousse dans le fauteuil à la place qu’occupait Gwendoline et entreprend de me gloutonner le Pollux à pleines lèvres (qu’elle a charnues), en émettant ces grognements satisfaits qui sont également ceux d’un chien trouvant sa gamelle pleine au retour de la chasse. Cette première figure n’est que le préambule de beaucoup d’autres. L’ogresse vit pour l’amour, s’en repaît avec la frénésie que donne la perspective d’une prochaine cessation provoquée par la limite d’âge. Feux de la Saint-Jean, chant du cygne, les expressions abondent pour qualifier cette mélancolique situation.

En tout cas, la mère y va à la manœuvre en grande guerrière. Elle exécute toutes les passes d’armes encore envisageables malgré son début d’arthrite et les frasques d’une vieille ménopause à épisodes. Je ne vais pas me complaire dans une nomenclature qui deviendrait vite fastidieuse. Sache seulement que nous pratiquons « un complet » doublé d’un « sans-faute ». Elle a de la tenue, de l’assiette, une énergie et une fougue stupéfiantes ; une science du cul qui lui vaudrait le Prix Nobel d’empaffage.

Une demi-heure qu’on s’escrime avec application, assurant nos coups de reins, attentifs au rythme, respirant scientifiquement et pas du tout à la va-comme-je-renifle. Un art, tout ça, mon biquet. Tout s’apprend. C’est en forgeant qu’on devient forgeron et en baisant qu’on devient baiseron.

Enfin, se dessine l’instant de la délivrance, chantée par la manécanterie de Notre-Dame. Bientôt Noël ! On se concentre, d’accord commun, pour le grand galop du déboulé final. Et voilà que, merde ! la sonnerie du bigophone retentit !

— Laisse ! laisse ! supplie ma gorgone.

Impossible. Moi, le turlu c’est l’ennemi public numéro un de mon chipolata. A la troisième sonnerie, mon joufflu commence à perdre de la valve. A la sixième, il se met en chien de fusil.

— Pardon ! déculé-je.

Je tends la main vers le bigophone.

La vioque, laissée en rideau au moment où elle déployait son aile delta, proteste en s’astiquant l’échoppe comme une furie.

— J’écoute ! lâché-je.

Jérémie :

— Grabuge.

— Grave ?

— Irréversible.

— Où ?

— Chambre 608.

— J’y vais.

— Vaut mieux pas ; ou alors passe to-ta-le-ment inaperçu.

Il raccroche.

Je regarde pendre ma pauvre chère queue, il y a un instant si glorieuse.

On est peu de chose, l’homme. Vite en déroute ; que dis-je : en débandade ! Un braque pareil, sculpté dans du buis, fier et dominateur ! Ben tu vois : ne reste plus qu’un paquet de couenne. Faudrait tout reprendre à zéro : fellation, caresses longitudinales, enfin toute la panoplie des premiers secours aux noyés, quoi ! Je n’en ai ni le courage ni l’envie.

— Il faut que je sorte ! annoncé-je à ma partenaire.

Elle m’apostrophe durement :

— Non, mais sans blague, vous n’allez pas me laisser repartir comme ça !

Pour m’intimider, elle s’agite la moulasse et tu dirais un bataillon du génie traversant un marécage.

— J’irai vous retrouver plus tard, ça n’en sera que meilleur. L’amour, c’est comme la choucroute : plus on le réchauffe, meilleur il est.

Elle se lève et remet sa robe de chambre pour reine de carnaval.

Elle murmure :

— Je m’appelle Denise Mordanlhame, je suis au 610.

Elle m’accable d’un regard de vache inséminée artificiellement.

Et moi, dans ma pensarde : « le 610 est contigu au 608, Tonio ».

Je vais cueillir discrètement mon sésame.

— Je vous accompagne, fais-je, nous serons mieux chez vous, puisque ici je suis harcelé par le téléphone.

— Vouiiiii ! dit-elle en plaçant la main devant sa chatte qui bâille.

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