JEUDI Paris, 11 h 04

Je souffre des reins, m’étant démis je ne sais quoi en exécutant cette cabriole arrière dans « ma » tombe. N’en n’outre je porte un gros pansement à la main droite car la blessure par balle s’est infectée et j’ai des lancées jusqu’à l’épaule. Pauvre viande, si bravache et si faible ! Pauvre homme, rouleur de mécaniques et si avide d’honneurs qui transforme pourtant en merde les nourritures les plus raffinées.

Je dois faire un peu de température malgré les antibiotiques qu’on m’a prodigués car mes tempes battent anormalement. Tiens, à partir de tout à l’heure, je vais m’offrir un week-end prolongé. Non : je ne partirai pas, mais resterai chez moi, seul avec m’man, Toinet se trouvant à une classe de neige dans l’Alpe homicide. Je vais mettre pour la première fois cette somptueuse veste d’intérieur Hermès que Félicie m’a offerte pour mon anniv. Pantoufles ! Pas de rasoir ! Le bigophone aux Japonais absents. Des books (j’en ai une pile en souffrance sur ma table de chevalet, comme dit Béru) ; de la télé si je parviens à sélectionner des émissions pas trop glandues sur mon Télé 7 jours.

Pour le reste, la Féloche avisera : gratin de cardons, tête de veau, blanquette, oiseaux-sans-tronche ! Tiens, au fait, c’est le veau, ma viande d’élection : mœurs bourgeoises, l’Antonio. J’écouterai notre vieille horloge dauphinoise égrener les heures, et puis je regarderai se goinfrer les petits piafs à qui m’man propose des assiettées de graines et de pain trempé dans du lait.

Est-ce que je pourrai attendre la semaine prochaine sans baiser ? Boff ! Je tirerai la bonne, samedi matin, pendant que ma vieille sera au marka. Un bon petit coup en levrette, contre la paillasse de l’évier, ça met la montre de ton kangourou à l’heure !

Chouette programme, non ?

— Vous semblez très éprouvé par cette équipée insensée ? remarque Nicolas Buton-Debraghette, mon homolo belge qui est accouru à ma demande.

Le bouquet ? Il est en compagnie de sa grande fille.

— Elle a absolument voulu m’accompagner à Paris, m’a-t-il déclaré. Vous savez la fascination que votre chère capitale exerce sur les femmes de tous les pays ?

J’ai souri. La môme était en train de promener la pointe de sa langue entre ses lèvres pendant que son dabe parlait. Mais c’est marrant : j’en ai pas envie ; les petites salopes trop salopes, ça va une fois, mais pas davantage.

Je lui ai tout narré par le menu à mon homo (logue, hein ? confonds pas !). L’hécatombe l’a impressionné, tout flic à chevrons qu’il soit ! Mais où il a été scié à la tronçonneuse, c’est quand il a appris ce qu’était sa fameuse baronne. La plus grande aventurière de l’après-guerre, ni plus ni moins. Une tueuse cynique ! Formidable marchande d’armes, tenant dans sa main les représentants d’insurgés de tout bord et de tous les continents, qu’elle approvisionnait en armes sophistiquées. Pour mener à bien ce formidable trafic, Mamie Meurtre disposait d’un gigantesque dépôt clandestin situé en Roumanie ; elle avait négocié cette installation avec feu Ceausescu comme partenaire. Le dépôt avait été aménagé dans une carrière troglodytique de la chaîne des Carpates, fermée par un portail en iridium ballotté à serrure thermo-capuchonnée double. Les charges d’explosifs les plus puissantes n’auraient pu en venir à bout. Pour pénétrer dans cette caverne d’Ali Baba de l’armement, il n’existait que deux clés. L’une se trouvait en possession du dictateur rouge, l’autre en celle de la baronne.

La rapide (et brutale) exécution des Ceausescu paniqua la mère Léocadia qui résolut de récupérer coûte que coûte la clé du défunt tyran. Entreprise qui paraissait insurmontable.

Elle mit sur pied une véritable armée secrète pour parvenir à ses fins et on alla jusqu’à déterrer clandestinement le bonhomme pour tenter de mettre la main sur ce trésor inestimable. Il convenait d’agir rapidement et avec un max de discrétion. L’obstination de l’aventurière porta ses fruits puisque, en fin de compte, c’est dans la gaine criblée de balles de la Ceausescu qu’on parvint à dénicher « la chose ».

C’est alors que le destin de la mère Van Trickhül commença à prendre de la gîte. Ses hommes de main, flairant la superbe affaire, résolurent de la faire chanter et lui réclamèrent le pactole en échange de la deuxième clé (laquelle, je te le précise pendant qu’il en est encore temps, sinon ensuite t’es cap d’écrire à mon éditeur que je suis un zozo ! laquelle clé, reprends-je, est impossible à reproduire car, même en disposant du métal qui la constitue, ce dernier ne saurait être compatible avec celui de la serrure originelle, lequel fut traité au carboniseur déontologique dépravé, tu mords l’astuce Tiburce ?).

Cette fois, la vieille finaude organisa une seconde croisade pour reprendre la fameuse clé à ceux qui l’avaient trouvée ! D’où l’affrontement sanglant des deux bandes. La seconde, comme la première, parvint à ses fins et remit la chiave à Léocadia. L’affaire, loin d’en rester là, prit une ampleur démesurée (tu as pu en juger) et ce fut une guerre sans merci, comme on dit à Saint-Alban-de-Roche qui est tout proche de Bourgoin-Jallieu. Mémère résolut de se faire protéger par la police, d’où, indirectement, mon intervention dans l’affaire. Intervention qui allait tout changer ! Bravo, San-Antonio ; une fois encore, tu t’es montré unique en ton genre ! tu demeures le premier, sois tranquille !

Mémère prenait l’Orient-Express avec l’intention de gagner la Roumanie en empruntant le chemin des écoliers. Elle avait l’une des deux clés sur elle, mais elle prit peur quand elle identifia dans son wagon, des gens qui lui parurent inquiétants. Alors, à mon nez et à ma barbe, elle confia l’objet au cher Cédric (le soir au wagon-bar), lequel aurait mieux fait de rester devant son chevalet au lieu de partir avec sa grosse (corne) muse pour une équipée sans retour.

Il se laissa subtiliser la clé, le niais. Et sais-tu par qui, Denis ? Par la petite Gwendoline qui avait décidé de jouer seule sa partie de baccara. Cette gosseline fut probablement dépistée par sa fausse frangine et, aux abois, glissa la chose compromettante dans ma fouille pendant que je l’embrassais. T’as bien suivi la trajectoire, Edouard ? Tu veux de l’Aspirine ? Non ? T’es sûr ?

Tu penses qu’à Budapest, quand la baronne a voulu faire récupérer la fameuse clé, Cédric était incapable non seulement de la rendre, mais de dire ce qu’elle était devenue, d’où sa triste fin.


— Fatigué, hé ? me demande Buton-Debraghette.

— Ça a été infernal, réponds-je.

— Comment va votre adjoint ?

— Jérémie Blanc ? M. le président de la République l’a fait ramener ce matin par avion sanitaire, son beau-père qui est sorcier et le professeur Ballepot sont à son chevet.

Mon confrère regarde sa fille avec inquiétude, craignant que ma raison ne roule sur la jante.

— Espérons, fait-il. Et la baronne ?

— Quand je l’ai quittée, après mon plongeon dans la tranchée, elle avait une jambe presque sectionnée et une plaie pas très belle au visage.

— Vous pensez qu’elle s’en sortira ?

— Comment le saurais-je ? De plus, je m’en fous.

— Ses complices ?

— Passablement en charpie, mais certains vivaient encore.

— Vous ne vous êtes pas occupé d’eux ? s’étonne le chosefrère avec de la réprobation plein la voix.

Je rejette ma tête en arrière et soupire :

— Ecoutez, Nicolas. Quand pendant deux heures vous tenez dans le creux de vos mains deux grenades dégoupillées pour les empêcher d’exploser et qu’en prime vous avez une capsule de cyanure collée à la gencive, vous n’avez pas envie de faire le ménage ni de changer l’eau du canari avant de partir. Moi, ces pourris, j’en ai rien à branler. J’ai pu m’en tirer à force d’énergie et de présence d’esprit et je m’en félicite. Une fois ces coquins neutralisés, j’ai sauté dans l’une des deux tires et foncé jusqu’au consulat de France de Bucarest.

— Bien sûr, bien sûr ! se hâte mon homo.

Sa fille lui chuchote qu’elle n’aurait jamais pu avoir un père plus con que lui et il en convient tristement.

— Et le… la… ? attaque-t-il.

— Oui ?

— La clé ?

— Avant de me tirer, je l’ai reprise à la baronne, naturellement et, en arrivant à Paname, j’ai couru la porter au président.

— Le président de… ?

— Lui-même.

— Vous le voyez beaucoup ?

— Pas plus qu’il n’est nécessaire, cher Nicolas. Mais c’est un homme astucieux, ses ennemis eux-mêmes l’admettent, il saura exploiter ce gadget.

Ma porte s’ouvre à la volée et Béru surgit, écarlate, suivi de notre ami Pourrinet avec sa polka.

— Mais voui ! Mais voui ! glapit Alexandre-Benoît, bien c’qu’ j’croivais : M’sieur l’dirluche est là, qui s’ royaume, pendant qu’on s’esquintait Pogne av’c les z’Hongrois pour s’en arracher. En v’là un qu’sa tronche enfle comme une poutre d’puis qu’il a l’fion dans c’fauteuil ! Du temps qu’il était commissaire, jamais y n’m’eusse laissé macérerer dans un caca pareil, sans s’l’ment lever l’petit doigt !

A mon tour d’aboyer :

— Et pourquoi crois-tu qu’ils t’ont relâché, les z’Hongrois, dis, grand con ? A cause de ta culture et de ta grosse queue ? Il a fallu l’intervention du président en personne pour qu’on vous élargisse !

La fille Buton-Debraghette s’approche de moi et me chuchote :

— C’est vrai qu’il l’a si grosse que ça, ou bien vous plaisantez ?

— Il ne l’a pas grosse, il l’a énorme ! réponds-je. Sa bite est incontournable, ma chérie. On n’a pas le droit de venir à Paris sans visiter ce monument !

Elle me remercie d’un gentil battement de cils.

FIN
Загрузка...