VENDREDI Innsbruck, 11 h 04

Le train entre en gare avec 6 minutes de retard. Je dispose de peu de temps pour téléphoner. Tiens, Bérurier a perdu patience et a quitté le wagon du peintre. Je le retrouverai plus tard, au wagon-bar, c’est couru. Là, je lui apprendrai, avec ménagement, qu’il n’est pas encore veuf et doit surseoir à ses projets concernant un second matrimoniat.

Il fait beau mais froid, l’air est limpide et sent le neuf. Un employé qui aime la bière, m’indique le téléphone. Je me munis de monnaie et compose le numéro de M. Blanc, mon dévoué second (qui n’est pas le premier venu). Fidèle au poste, le all black. Affairé. Tu sais que si je me cassais la cheville, il pourrait me remplacer au pied élevé (comme dit Béru) ?

Avant d’aller prendre le dur, je l’ai mis au courant de ma petite affaire. Lui, il était sceptique, trouvait qu’une combine pareille paraissait foireuse d’emblée. Le côté « Arsène Lupin contre Fantômas », c’est pas son blaud. Ils ont un autre sens du merveilleux, au Sénégal.

Charitable, il ne m’égosille pas des « Je te l’avais bien dit ! », ce qui te donne chaque fois envie de faire bouffer son chapeau au mec qui te chambre. S’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est qu’on me reproche mes conneries, suffisamment puni que je suis de les avoir commises !

Il résume, très sobre :

— Donc, nonobstant votre vigilance (quel vit j’y lance), on a kidnappé la baronne. Quant à Berthe, elle se trouve toujours à la maison de repos de Knock-Hout-Mazoute :

— Affirmatif, comme on dit dans l’armée pour se donner l’air important. Il faut immédiatement que tu mobilises une équipe chargée de reconstituer l’itinéraire de l’Orient-Express pour tenter de savoir où la mère Van Trickhül a pu quitter le dur. Est-ce à Zurich ? Est-ce à l’une des nombreuses haltes techniques émaillant le trajet ? En outre, prière de dépêcher Pinaud en Belgique pour qu’il rencontre Berthy à la clinique et l’interroge sur la substitution de dernière heure. L’a-t-on abusée ? Etait-elle consentante ?

Le Noirpiot prend des notes à la volée. Il écrit au stylo à encre, comme presque tous les littéraires (moi j’écris à la machine ou à la pointe Bic) et j’entends sa plume chanter sur le papier.

— Je suis obligé de te larguer, mon vieux Vendredi : le dur va décarrer.

— Pourquoi restes-tu dans l’Orient-Express si ta bonne femme n’y est plus ? demande-t-il en toute logique.

— J’adore les voyages, ricané-je, et il va y avoir des coquilles Saint-Jacques flambées au déjeuner. Je t’appellerai de Budapest.

Je saute sur le marchepied pile au moment où un gazier siffle le coup d’envoi. Dans le couloir, y a encore la jolie des deux frangines anglaises. Tu paries ta montre qu’elle m’attendait ? M’avait vu descendre, la friponne, et craignait que je ratasse le train. J’ai le ticket, mec, ça se voit gros comme l’Arc de Triomphe au milieu de ta salle à manger.

— Hello, lui lancé-je, c’était juste, hein ?

Elle me composte le slip d’un sourire qui réveillerait une marmotte en plein mois de janvier, tant il est chaleureux.

Je viens m’accouder à son côté sur la barre de cuivre. Engager la converse, dans de telles conditions, n’est pas un exploit olympique.

J’attaque par :

— Le voyage vous plaît ?

— Beaucoup.

En deux coups de cul hier à Pau, elle m’explique que leurs papa-maman fêtent leurs vingt-cinq ans de mariage. Lui est médecin, elle, galloise. Le dabe a confié sa boutique à un confrère pour emmener sa tribu vivre l’ensorcellement de l’Orient-Express. Ils passeront trois jours à Budapest, puis feront une visite au lac Balaton avant de regagner London en avion. Elle, elle est étudiante en archéologie. L’Egypte c’est sa passion, comme à la plupart des Rosbifs. Ces cons aiment tellement ce bled qu’ils lui ont tout piqué, si bien que maintenant, tu ne peux pas étudier la patrie de Ramsès II sans commencer par Londres. La petite sœur, celle qui ressemble à un trou de balle de rouquin collé sur une bouteille de Perrier, elle fait l’école hôtelière de Manchester. Elle est présentement en classe de pudding avant de passer dans celle de la panse de brebis à la merde.

Je la regarde me parler, l’admire. Comme elle est choucarde, la môme, avec son teint bronzé, ses longs cheveux noirs, ses yeux d’émeraude. Dommage que nous n’ayons pas une seconde nuit à passer à bord du train, je me serais risqué à lui proposer de me rendre une visite nocturne, avec la complicité de sa mocheté de sister. A la rigueur, elle lui aurait fait croire qu’elle se rendait aux chiches. Moi, quand la tringle est en point de mire, je redouble d’ingéniosité et tous les moyens me sont bons pour les assouvissements charneux.

Je lui bonnis comme quoi je suis diplomate (attaché d’embrassade) volant. Je vais arranger les bidons de-ci, de-là.

Elle s’en fout. Une gonzesse qui se met à tremper son slip pour un julot, que ce dernier soit nonce apostolique, malfrat notoire ou marchand de frites surgelées, elle en a rien à branler (sinon son mignon ergot bigornien).

J’y vais à fond dans la limonade-grenadine : comme quoi, voyager dans ce train de rêve au côté d’une fille aussi fabularde qu’elle, en regardant un tel paysage, tu peux, après ça, éteindre la lampe à pétrole et te laisser mourir de bien-être.

Elle sourit. Je renifle sa délicate odeur de jeune femelle. Je t’ai toujours dit que quand les Anglaises se mettent à être formides, elles grimpent dare-dare sur la plus haute marche du podium ! Imbattables, elles sont.

Allons bon, voilà la rouquine qui se pointe. Je dégode secco. L’impression qu’un yorkshire vient me japper contre ! Le charme est brisé.

Elle ne répond pas à mon sourire de commande. Jalmince, la pécore ! Sa grande sœur, ce qu’elle lui crèverait volontiers ses beaux yeux verts avec une fourchette à escargots !

— Daddy te demande, elle murmure.

La superbe s’excuse d’un sourire et va docilement rejoindre son géniteur. Avoir une fille pareille, ça mérite l’ordre de la Jarretière, l’anoblissement par la grosse mère Zabeth !

La teigne s’attarde, me couvant (des Ursulines) d’un regard sournois ; la vraie charognerie ambulante, je te dis ! Faut coûte que coûte que je me l’amadoue, cette connasse, si je veux avoir une chance de me déglander avant Budapest.

— Votre sœur m’a dit que vous faisiez l’école hôtelière de Manchester, dis-je-lui-t-il à voix pénétrée ; je vous félicite, Miss. Vous choisissez-là le plus bel art du monde et c’est un Français qui vous l’affirme.

— Je déteste la cuisine française, répond la salope à deux jambes. Je la trouve obscène.

Tiens, je n’avais jamais entendu parler de ce qualificatif pour désigner notre belle cuistance.

Un éclair de rage me fait trépider la pensarde et une poussée d’adrénaline m’incite à lui recommander de faire gaffe, qu’avec son bec-de-lièvre, on pourrait l’accommoder en civet dans son école de chiasse. Mais un gentilhomme reste un gentilhomme dans les plus cruelles circonstances.

— Vous êtes belle, lui retourné-je, sensuelle et désirable, je vais aller me masturber dans ma cabine en pensant à vous.

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