VENDREDI Hongrie, 20 h 40

Quel voyage !

Et moi qui croyais fermement que j’allais tirer ma flemme à bord de ce train de légende !

Tu te rends compte de tout ce qui s’est passé depuis hier soir ? En quelque vingt-trois heures à peine, j’ai découvert que la fausse baronne Van Trickhül était la vraie et voilà qu’on la kidnappe à un mètre de moi ! Béru s’escamote aussitôt après. Trois pilleurs de train exécutent un hold-up à bord et je les neutralise. Quelqu’un glisse dans mes fringues un objet mystérieux. Enfin le cher Jérémie Blanc lâche la Grande Cabane pour me voler à l’aide !

Pour la énième fois, je relis le message qu’il m’a mis en fouille (décidément, on me prend pour une boîte aux lettres dans ce train !).

C’est écrit, de sa belle écriture de docteur ès lettres :

Sois TRÈS vigilant : tu as toute une équipe aux fesses ! On ne se connaît pas ; je te couvre.

Ayant appris ce court texte par cœur, je le confettise et le lâche de ma fenêtre au vent mauvais qui l’emporte.

Après quoi, je « fais » ma valoche en vue de l’arrivée imminente.

Putain de lui ! Dans quelle sale béchamel ce con de Buton-Debraghette, big boss de la police belge, m’a-t-il fourré ?

Franchement, j’aime pas ce cirque. Il ressemble à rien. Ce serait glandu de se laisser mettre en l’air sans seulement comprendre de quoi il retourne !

Dans le fond, j’ai bien fait de lui niquer sa grande fille, à Nicolas Buton-Debraghette. Faut dire qu’elle y a mis du sien, la gredine ! Le jour où j’ai bouffé chez eux, à Bruxelles, en compagnie du père Achille, elle était à ma gauche. Avant la fin des hors-d’œuvre, son pied dénudé me remontait le bénouse jusqu’au siège de l’amour-propre.

Au rôti, elle m’avait sorti le popof sous sa serviette et me tapait un caramel de première. Oh ! la dextère qu’il y avait là ! Je suis parti à dame sur le Chiraz de ses parents sans cesser de parler d’Interpol ; je te recommande ! Ça facilite les échanges !

Elle a voulu savoir où je créchais et, en pleine nuit, est venue me rejoindre à L’Amigo où je te lui ai interprété une fête vénitienne digne des doges (et d’éloges).

Ne l’ai jamais revue, cette frénétique, ni n’ai osé demander de ses nouvelles à papa. La manière dont elle m’avait effeuillé le coquelicot au souper, me donnait à craindre que notre collègue ait eu la puce à l’oreille ! D’autant qu’elle devait être costumière de la fête (comme dit Bérurier), et s’occuper du bonheur des invités mâles placés près d’elle. Le Chiraz, ma doué ! Ces cartes de Belgique qu’il a dû morfler ! On ne devait plus pouvoir le rouler ; à la longue, l’était devenu en zinc.

Le chef de train se met à dégoiser comme quoi ça y est, on arrive à Budapest, capitale martyre d’une nation martyre.

Moi j’aime bien les Hongrois ; leur langue ne ressemble pas aux autres, leurs gueules non plus. Ils ont le malheur dans le sang et tous leurs monuments sont néo-quelque chose ; néo, toujours, tellement que les guerres et les révolutions les ont sempiternellement rasés, même les habitants, je crois bien, sont « néo-hongrois ».

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