Paul s’écarta de Gisèle et s’étendit à côté d’elle, haletant. Elle jeta les bras autour de son cou et il sentit les pointes érigées de ses seins frôler sa poitrine.
Elle éprouvait une joie sourde, en même temps qu’une espèce de remords. Elle ne pouvait pas arracher Balthazar de sa pensée. Elle avait trop longtemps été à lui, trop longtemps elle avait meublé sa solitude de ses pensées.
Maintenant elle essayait de l’imaginer, seul dans les rues tristes, marchant dans le froid, les mains aux poches, vers son petit logement vide et glacé.
Elle avait beau imaginer une autre femme dans la vie de Balthazar, elle ne parvenait pas à y croire. Ce n’était pas possible, ce n’était pas vrai, il ne pouvait pas, à la même heure, tenir une autre femme dans ses bras, dans ce lit qui les avait si souvent accueillis, tous les deux…
Comme la plupart des femmes, elle n’imaginait pas que son lit à elle, dans lequel, actuellement, Paul était étendu, avait été aussi le témoin de leurs caresses et elle ne se rendait pas très bien compte non plus qu’elle n’avait désormais rien à reprocher à Balthazar.
Paul lui avait donné du plaisir, un bonheur physique brutal. Elle était encore amollie par la volupté. Mais ce bonheur, toutefois, ce n’était pas le même. Avec Balthazar, il s’y mêlait autre chose, un rien de tendresse, un bouquet de fleur bleue et quand elle serrait l’homme contre elle, ce n’était pas seulement dans un but voluptueux. Elle aimait qu’il pose sa tête sur son épaule et qu’il reste là, bercé comme un petit enfant.
Avec cet inconnu, c’était différent. Et si elle venait maintenant de jeter ses bras autour de son cou, c’était beaucoup plus le désir qui la poussait. Un désir complètement latent, et une sorte de reconnaissance.
Elle glissa une jambe autour des hanches de l’homme et se serra contre lui en frissonnant. Il avait chaud, il était moite et de son corps montait une odeur forte, virile. Gisèle, doucement, laissa glisser sa main sur le torse nerveux.
Elle se demandait comment il pouvait se trouver là, maintenant qu’elle était apaisée. Sans doute qu’elle portait en elle un besoin d’amour que Balthazar avait dédaigné. Ce type était arrivé à point nommé, il avait su profiter de sa légère griserie et la caresser assez habilement pour qu’elle ne puisse plus résister. C’était la première fois qu’elle appartenait à un homme dès le premier soir. Elle n’avait jamais eu ce qu’on appelle une aventure.
Elle avait pas mal de copines à qui cette histoire était souvent arrivée. Jusqu’à présent, elle les avait méprisées. Elle ne comprenait pas qu’on puisse se donner délibérément à un homme qu’on n’aime pas. Aujourd’hui, elle était pleine d’indulgence. Elle admettait que, dans certains cas, le désir puisse être assez brutal pour qu’on appartienne au premier venu, comme ça, tout à coup, et qu’on éprouve en même temps que du plaisir une sorte d’apaisement.
Tant pis pour Balthazar ! Après tout, il n’avait pas volé ce qui lui arrivait. S’il avait été plus prévenant, plus amoureux d’elle et plus tendre, ce n’est pas dans les bras de Paul qu’elle serait maintenant, mais dans les siens.
En réalité, elle essayait de se trouver des justifications. Elle aimait toujours Balthazar. Même physiquement, elle avait toujours été plus heureuse avec lui qu’avec l’autre. Elle essayait simplement de se persuader du contraire.
Mais déjà elle savait qu’entre elle et cet intrus, c’était fini, que cette aventure n’aurait jamais plus de suites. Elle retrouverait Balthazar le lendemain, elle lui téléphonerait, et comme péché ignoré est entièrement pardonné, tout recommencerait comme avant. Simplement elle se montrerait plus compréhensive. Simplement ce pauvre chéri était malheureux. Il lui fallait quelque indulgence.
Or, elle en bouillonnait, maintenant, d’indulgence, elle était prête à lui pardonner tout ce qu’il lui avait fait, toutes ses aigreurs et ses coups de colère. Elle aurait dû accepter qu’il vienne chez elle, ce soir. L’autre, après tout, était bien venu ! Pourquoi pas Balthazar ?
Naturellement, demain matin Paul partirait, elle ne le reverrait jamais et, naturellement, elle se garderait bien de raconter cette escapade à Balthazar. Demain, elle le recevrait ici. Ce n’est pas le taulier qui irait raconter…
Pourquoi n’était-il pas là, mon Dieu, maintenant, à la place de l’autre ? C’est de lui qu’elle avait envie…
Mais ça ne l’empêchait pas de se serrer de plus en plus fort contre Paul et de passer sur la poitrine de l’homme des doigts hésitants, lourds de désir.
Elle leva la tête et le regarda.
Il était étendu sur le dos. Il avait allumé une cigarette et la fumée montait lentement vers le plafond. Ses yeux suivaient distraitement les fantômes de ses rêves.
— À quoi penses-tu ? demanda-t-elle, doucement.
— À toi, répondit-il.
C’était à peu près exact. Paul, à l’heure actuelle, essayait désespérément de reprendre son équilibre. Cette fille l’avait salement mis en l’air.
Jusqu’à présent, les frangines, il les prenait, il les sautait et il regardait ensuite ce qu’on en pouvait tirer. Avec celle-là, c’était autre chose. Ce n’était pas qu’elle soit plus belle qu’une autre. Il en avait connu de mieux baraquées que ça, des vraies poupées d’amour et de toutes les qualités, depuis la femme d’un certain âge, forte de toute expérience, jusqu’à la pucelle effarouchée, en passant par la putain qui se laissait difficilement impressionner.
Avec celle-là, c’est marrant, c’était autre chose.
Ce n’était pas non plus qu’elle fasse l’amour mieux qu’une autre, bien qu’elle lui ait apporté une volupté, quelque chose de sérieux. Non. Mais il se dégageait d’elle quelque chose de trouble et de pur à la fois. C’était le genre de fille dont un homme tombe facilement amoureux et, quand on le voit passer au bras de cette souris, les copains n’en reviennent pas. Ils se demandent ce qui peut bien vous attacher à elle.
Quand il l’avait rencontrée, ce soir, il lui avait d’abord filé le train parce qu’il n’avait rien à se mettre sous la dent et qu’elle lui avait semblé désemparée. Les femmes désemparées, c’est comme les figues trop mûres, ça tombe tout seul sur le lit. Il ne s’était pas trompé de beaucoup. Mais maintenant il ne savait que penser.
Généralement il avait une furieuse envie de s’en aller, après. Cette nuit, c’était le contraire.
Pourtant, il n’était pas amoureux, bon Dieu ! ce n’était pas possible. Ç’aurait été la première fois qu’on aurait vu Paulo avec le béguin, dans le quartier. Il considérait presque ça comme un handicap, dans la vie, voire comme une maladie honteuse. C’est avec des trucs pareils que certains gars ont fini devant monsieur le Maire avant même d’avoir pigé ce qui leur arrivait.
Et pourtant ce n’était pas tout à fait de l’amour. Il se rendait bien compte qu’il lui suffirait de la quitter pour qu’elle soit oubliée au prochain métro. Seulement, voilà, il fallait la quitter, et il n’en éprouvait pas du tout l’envie.
Après tout, rien de tout cela n’avait beaucoup d’importance. De toute manière, il fallait qu’il reste là jusqu’au matin. C’était une boîte qui était fabriquée de telle façon qu’on pouvait parfaitement y rentrer la nuit, mais pour en sortir, c’était macache.
Il resterait avec elle jusqu’à l’aube. Et puis, mon Dieu, la vie reprendrait…
Gisèle se serrait de plus en plus fort contre lui. Sa main errait doucement de sa poitrine à son ventre.
— Regarde-moi, dit-elle.
De nouveau, il sentait son désir renaître.
Il tourna la tête vers elle et rencontra des yeux noyés. Alors il écrasa sa cigarette et renversa la jeune femme.
Elle gémit de joie…